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Zone euro

La sortie de crise est possible, mais elle reste incertaine

Créé le

20.12.2022

-

Mis à jour le

08.01.2024

Le choc énergétique
de 2022 va sans doute
se résorber, mais de nombreuses questions restent en suspens
pour garantir une relative bonne santé économique.

L’année 2022 peut être caractérisée par le choc énergétique en zone euro. Depuis le 24 février, les équilibres sont franchement altérés par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les mesures de rétorsion prises par les Européens se sont traduites, très rapidement, par une réduction des approvisionnements en gaz. Or, le gaz en provenance de Russie représentait 40 % des besoins européens. Les Européens démunis sont partis chercher du gaz là où ils le pouvaient. Ce gaz a changé de nature, c’est désormais du gaz liquéfié qui est utilisé : un gaz beaucoup plus cher, en raison de disponibilités sur le marché international limitées.

Une conséquence immédiate de cette hausse du prix du gaz et de l’électricité, ce dernier étant conditionné par celui du gaz, est la vive progression de l’inflation et son maintien à un niveau élevé. La contribution de l’énergie au taux d’inflation n’a plus suivi le profil du prix du pétrole mais a été conditionnée par celui du gaz et de l’électricité. C’est pour cela que, depuis le mois de juin, cette contribution se réduit rapidement aux États-Unis, alors qu’elle reste très élevée en zone euro. C’est une différence notable entre les deux régions.

C’est pour limiter le phénomène de diffusion de ce choc énergétique que la Banque Centrale Européenne (BCE) est intervenue fortement depuis le début de l’année. Elle ne veut pas prendre le risque de voir l’inflation s’inscrire dans la durée via la propagation du choc énergétique.

Les États aussi ont aussi été très actifs pour limiter l’impact du choc énergétique sur les comportements. En France, la baisse du pouvoir d’achat des salaires a été compensée par la redistribution provenant de la mutualisation du choc par l’État. Le pouvoir d’achat des revenus a augmenté.

C’est cette combinaison d’une politique budgétaire d’accompagnement et d’une politique monétaire plus restrictive qui a permis à l’économie de la zone euro de ne pas tomber rapidement et fortement en récession. Sans l’aide des États, les ménages et les entreprises auraient eu à faire face à une augmentation sans précédent de leur facture énergétique et cela aurait fortement réduit leurs capacités de dépense et d’investissement.

Redistribution des cartes

Une autre caractéristique de l’année 2022 est le morcellement de l’environnement international. Ce point a été exacerbé par le guerre initiée par la Russie mais des divergences étaient déjà observables notamment entre les États-Unis et la Chine. Le conflit a polarisé un peu plus les positions politiques. C’est un changement majeur par rapport aux 20 dernières années, durant lesquelles il y avait une bonne coordination dans la répartition de l’activité. L’activité manufacturière se développait plutôt dans les pays du Sud et en Asie et les services dans les pays développés.

Cette distribution des cartes a été bousculée, notamment en raison d’une concurrence sur la technologie entre la Chine et les États-Unis. De ce point de vue, Joe Biden n’a pas eu une politique très différente de celle de son prédécesseur. Le monde est moins coopératif, d’ailleurs les choix américains portés par l’Inflation Reduction Act vont dans ce sens. L’économie américaine devient plus protectionniste.

Dès lors, comment aborder 2023 ? Pour les mois qui viennent, plusieurs interrogations persistent.

La première est celle du prix du gaz en Europe. Depuis février, l’Europe cherche à disposer d’approvisionnements en gaz suffisants pour satisfaire à ses besoins d’énergie. Cela s’est fait en 2022 à des coûts très élevés. C’est le risque attendu pour 2023 également. De ce point de vue, plusieurs aspects sont à considérer. Le premier est que, compte tenu du déséquilibre entre offre et demande, le prix payé par les Européens restera fort. Un montant de 140 euros le mégawatt/heure paraît le plus probable, avec une volatilité qui restera importante. Ce prix est 5 à 7 fois plus élevé que celui qui était payé avant la crise par les Européens.

Le marché du gaz est fortement lié aux infrastructures. Le gaz qui provenait de Russie arrivait par gazoduc et constituait donc un marché local. Le gaz liquéfié n’a plus cette caractéristique puisque, un peu comme le pétrole, il est dépendant des bateaux qui peuvent le transporter. Le marché change de forme et la concurrence se fera plus vive. Les approvisionnements ne seront pas garantis et l’Europe pourrait revivre une situation rappelant parfois ce qui a été observé en 2022, même si, en moyenne, le prix évolue autour de 140 euros.

Pour limiter le risque énergétique, une première réponse se dessine : la remise en route des centrales nucléaires en France. À la mi-décembre, la production d’électricité nucléaire n’était plus que 5 % au-dessous de 2021. L’autre point est le développement à grande échelle des énergies renouvelables. Le choc énergétique subi en début d’année a eu, de ce point de vue, des effets bénéfiques, avec notamment l’accélération des investissements dans le photovoltaïque et l’éolien. Ces facteurs, s’ils se maintiennent, vont réduire les besoins en gaz et rendre possible une plus grande autonomie énergétique de l’Europe. C’est probablement ce que l’on observera à terme, mais les premiers mois de 2023 risquent d’être tendus.

Autonomie et protectionnisme

Cette situation n’est pas sans conséquences sur les comportements. Plusieurs points sont importants à considérer pour 2023.

Le premier est que si le prix du gaz se stabilise, même à un haut niveau, l’impact sur l’inflation sera désormais réduit. En effet, la base de comparaison sera élevée et le taux de variation davantage réduit. L’inflation ayant été conditionnée par le prix de l’énergie en 2022, il est probable que son taux se réduise assez nettement en 2023. Cela implique que la BCE, qui va durcir le ton encore au premier trimestre, n’aura pas forcément besoin d’être trop restrictive. Elle maintiendra ses taux d’intérêt à un niveau beaucoup plus élevé que dans un passé immédiat, sans pour autant pousser l’économie dans les affres d’une récession forte. Cependant, la réduction des liquidités qu’elle provoquera agira en complément de la hausse des taux. C’est pour cela que la fin des Targeted Longer Term Refinancing Operations (TLTRO), en réduisant le bilan de la BCE d’un montant considérable, permettra de ne pas remonter les taux de façon excessive.

Le deuxième point sera le support des gouvernements. D’importants efforts budgétaires ont été faits en 2022. On l’a vu en France, en Allemagne et dans la plupart des pays européens. Ils ont fourni un support fort pour la conjoncture tout au long de l’année 2022, expliquant les bons résultats économiques de la zone euro. Les gouvernements vont maintenir les aides mais il est probable qu’ils n’iront pas au-delà de ce qui a été fait. C’est une évidence sur le plan budgétaire, c’est aussi une nécessité dans le cadre de la transition énergétique que de payer les prix de marché.

Le troisième point, toujours en lien avec le prix de l’énergie, est celui de l’autonomie de la production en zone euro. Après la pandémie, il y a eu une forte volonté politique de rapatrier et de relocaliser des productions. La hausse du prix de l’énergie change la donne et peut inciter à produire, aux États-Unis notamment. Cela veut dire que si l’effort budgétaire a été fait en faveur des ménages en 2022, pour éviter les hémorragies, il devra être fait en faveur des entreprises en 2023. En outre, les gouvernements devront prendre la mesure des biais protectionnistes que l’on voit aux États-Unis, afin de ne pas pénaliser l’économie de la zone euro. Ces éléments laissent entière la question : faudra-t-il recourir à des méthodes similaires ?

Le dernier point est en Chine avec la levée de la politique dite « zéro-Covid ». Ce changement intervient alors que la conjoncture est médiocre dans l’Empire du milieu. C’est une étape nécessaire pour retrouver des marges de manœuvre économique. Cependant, à court terme, et en raison d’une immunité collective réduite mais aussi d’un taux de vaccination limité, émerge un risque important de contamination, qui se traduira par des interruptions dans les processus de production. Cela nuira à l’économie chinoise mais aussi aux pays occidentaux, dont les chaînes de production vont être pénalisées par le manque de certaines pièces fabriquées en Chine. C’est une étape nécessaire pour la Chine, mais elle ne sera bénéfique qu’à moyen terme.

2023 va être une année de transition avec une croissance limitée et une inflation qui ralentit au sein des pays de la zone euro. Si le renouvellement des sources d’énergie via le renouvelable continue à vive allure, alors, l’horizon devrait être plus souriant en 2024.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº875-876