Malgré les réfutations des régulateurs qui lui préfèrent le concept de poursuite de Bâle III, le terme « Bâle IV » s’impose peu à peu dans le vocabulaire de l’industrie bancaire. Une manière de nommer une série de réformes engagées par le Comité de Bâle, plus ou moins abouties, mais structurantes pour le secteur. Leur périmètre n’est pas tiré au cordeau mais la plupart ont un point commun : elles ciblent le calcul du dénominateur du ratio de solvabilité. En effet, alors que Bâle III avait revu simultanément la définition du numérateur (les fonds propres éligibles) et le niveau minimal du ratio, rien ou presque n’avait été entrepris pour rajeunir le dénominateur, à savoir les actifs pondérés par les risques ou
La refonte est complète. Tout d’abord parce qu’elle porte sur l’ensemble des risques traditionnels – risques de crédit, de marché et opérationnels – et en introduit même un nouveau – risque de taux. Ensuite parce qu’elle s’attaque à la fois à la méthode standard pour calculer ces RWA et à la méthode avancée utilisée par certains établissements, généralement les plus gros, pour un traitement sur-mesure de leurs expositions. Ils ont alors recours à des modèles dits « internes », pour tout ou partie de leurs risques. L’objectif des régulateurs avec cette refonte est de rendre ces RWA plus représentatifs des risques réels mais aussi plus comparables d’une banque à l’autre. La question est surtout de savoir dans quelle mesure ils augmenteront du fait des nouvelles règles. Car plus le dénominateur du ratio de solvabilité est grand, plus ce dernier sera faible et devra être remis à niveau, par une réduction des expositions ou une augmentation des fonds propres prudentiels.
Risque de marché : des règles finalisées
Les travaux les plus aboutis du Comité de Bâle portent sur le risque de marché et concernent tant la méthode standard que les modèles internes. Ils sont connus sous le terme de « revue fondamentale du portefeuille de négociation », ou
Elle prévoit la réduction des opportunités d’arbitrage réglementaire entre le portefeuille de négociation (trading book) et le portefeuille bancaire (banking book). Elle remplace l’outil statistique de la Value at Risk (VaR), très décriée, par celle de l’espérance mathématique de perte extrême (Expected Shortfall), moins procyclique. Elle introduit plusieurs horizons temporels pour mieux intégrer le risque d’illiquidité de certains instruments. Surtout, elle révise le mode de validation des modèles internes, qui sera non seulement plus rigoureux mais s’opérera activité par activité et non plus de manière globale. « Des critères supplémentaires sont introduits et il faut les respecter en permanence, au risque sinon de voir le modèle d’un de ses desks perdre son homologation pour 6 mois et basculer en méthode standard. Le périmètre des activités mesurées par des modèles internes va être très variable d’un arrêté à l’autre », regrette la même banquière.
Toutes les calibrations finales ne sont pas encore gravées dans le marbre mais les premières estimations font état d’une augmentation conséquente des RWA du fait de la FRTB. Le Comité de Bâle lui-même chiffre à 22 % la hausse médiane des fonds propres requis au titre du risque de marché et même 40 % si l’on regarde la moyenne pondérée des banques de son panel. « C’est un sujet complexe sur lequel les investisseurs ont une visibilité réduite car ils ne savent pas quelle proportion des desks d’un établissement verront leur modèle interne validé par le superviseur. Mais nous nous attendons à une augmentation assez forte pour les banques concernées, en particulier pour celles qui sont diversifiées sur leurs activités de marché », note Jérôme Legras, responsable de la recherche chez Axiom AI.
Risque opérationnel : la fin des modèles
Fraudes internes, process de conformité défaillants, pannes informatiques… les banques sont susceptibles d’essuyer des pertes du fait d’incidents opérationnels plus ou moins graves. Depuis Bâle II, ce risque est couvert de manière spécifique, via le calcul de RWA adaptés, soit en méthode standard, soit via des modèles internes. Cette dernière option, retenue de manière très hétérogène parmi les grandes banques européennes, ne sera vraisemblablement plus proposée sous Bâle IV. La suppression de la méthode avancée
Risque de crédit : le sujet numéro 1
Combien faut-il de fonds propres pour couvrir correctement le risque pris par la banque lorsqu’elle octroie des prêts ? C’est la question première posée par la réglementation prudentielle. Et là encore, le Comité de Bâle s’attelle à une révision profonde de la manière dont on calcule ce risque. Un premier texte révisant la méthode standard avait été soumis à consultation en décembre 2014 et avait essuyé de nombreuses critiques : en particulier, l’utilisation des notations externes d’agences pour les expositions corporate et bancaires, était prohibée, suivant la voie tracée par les États-Unis, et remplacée par une mesure jugée simpliste du profil de risque des entités emprunteuses. Une seconde consultation est parue en décembre 2015, rétablissant le recours aux notations externes pour les juridictions qui l’autorisent. « C’est une bonne chose : de nombreux critères sont nécessaires pour évaluer le niveau de risque d’une banque par exemple et il n’y a pas de raison de n’en prendre que deux parmi l’ensemble. Mieux vaut utiliser les notes des agences qui, elles, en analysent un grand nombre, justifie Michel Bilger, responsable supervision et régulation pour Crédit Agricole SA. En revanche, en prévoyant deux options pour l’utilisation de ces notes, le Comité crée une brèche très contestable dans l’homogénéité du cadre réglementaire. Qui cela favorisera-t-il ? Il est encore trop tôt pour le dire. » La formule de calcul ne convainc pas non plus : selon l’industrie, seraient pénalisés les financements spécialisés (infrastructures, matières premières…), les entreprises notées investment grade ainsi que le risque immobilier
Des floors pour encadrer les modèles internes
Le floor revient à définir un niveau plancher en dessous duquel les RWA ne peuvent pas descendre lorsqu’ils sont calculés via les modèles internes. Il en existe déjà un historique, remontant à Bâle II, qui prévoit que l’application des modèles ne peut pas permettre aux établissements de descendre trop en-dessous du niveau prévu par Bâle I. Les contours de ce nouveau plancher sont encore très flous : le Comité a émis l’idée en décembre 2014 mais aucun calibrage n’a été donné. Ils le seront lorsque l’ensemble des travaux sur la révision des méthodes standard seront achevés. Il se pourrait d’ailleurs qu’il y ait plusieurs floors, un pour le risque de crédit, l’autre pour le risque de marché, voire un différent selon les catégories d’expositions. Plus ces floors seront élevés, plus la contrainte sur les banques qui utilisent les modèles internes sera forte (voir Encadré 1). Et plus l’addition pour les banques qui les utilisent sera salée.
Le recours à la modélisation a-il permis des économies de fonds propres excessives au fil des années ? L’enjeu des floors est de s’assurer que ce n’est pas le cas et d’encadrer cette économie. « Le système des planchers me semble très positif. Le niveau de fonds propres des banques s’est beaucoup renforcé ces dernières années mais il n’est peut-être pas suffisant au regard de la nouvelle pondération des risques », estime Sam Theodore, directeur général pour les institutions financières de l’agence Scope Ratings. Et l’analyste de souligner le cas de pays comme la Suède, relativement épargnée par la crise et dont le cadre prudentiel est peut-être trop optimiste (voir Encadré 2). « Sur les portefeuilles de crédits immobiliers, la densité de RWA de certaines banques [qui rapporte le niveau des RWA au total des actifs] peut descendre à 10-15 %, voire 5 %. C’est très faible si l’on compare à une densité requise par la méthode standard qui pourrait être autour de 35-40 % », chiffre de son côté Jérôme Legras. Enfin, outre la révision de la méthode standard et l'introduction de floors s'y référant, le calcul des RWA pour le risque de crédit sera aussi impacté par la révision de la méthode avancée, dite approche
Risque de taux : bientôt dans le ratio ?
Aux risques de crédit, de marché et opérationnel traditionnellement couverts par les règles de Bâle et donnant lieu à une charge en capital, le Comité travaille actuellement à l’ajout d’un nouveau risque, celui de taux d’intérêt (ou
Le risque souverain : l’Arlésienne
Riche programme que celui du Comité de Bâle. Pourtant, il y a un éléphant dans la pièce que l’on fait mine de ne pas voir. Celui de la pondération des dettes souveraines, qui représentent tout de même plus de 2 000 milliards d'euros dans les bilans bancaires européens. « Le problème avait été soulevé au moment de la crise en zone euro car tout le monde avait peur. Aujourd’hui, il est devenu tabou et très politique : ajuster la pondération des crédits corporate, c’est une chose, imposer que tel pays soit pondéré à un certain niveau et son voisin le soit à zéro, en est une autre ! », souligne Sam Theodore. Le Comité de Bâle a inscrit le sujet à son agenda mais rien de concret n’est pour l’instant sorti. « Les sujets sont nombreux, précise Jérôme Legras. Il y a tout d’abord la remise en cause de la dérogation des banques européennes qui peuvent utiliser la calibration standard pour les souverains quand bien même elles seraient en modèles internes. C’est le débat autour du permanent partial use. Il y a ensuite la pondération à 0 % pour l’ensemble des pays de l’Union européenne et une vingtaine de pays dits équivalents, et ce indépendamment de leur rating. Il y a enfin la prise en compte du soutien implicite de l’Etat pour certaines collectivités locales qui permettent d’appliquer une pondération de 0 % à ces dernières. » Un débat qui empoisonne les relations au sein de la zone euro : que les dettes des pays du sud soient pondérées de la même manière que celles de pays du nord freine par exemple les négociations autour du système unique de garantie des dépôts, les seconds arguant que le risque souverain n’est pas suffisamment encadré pour se permettre de le partager. « Tant que l’Italie, troisième émetteur obligataire au monde, est aussi mal notée, il sera difficile de supprimer sa pondération à 0 % sans que ce soit très douloureux », estime Jérôme Legras. Un sujet pour Bâle V ?
Achevé de rédiger le 24 mars 2016.