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La demande en obligations vertes gagne du terrain

Créé le

19.12.2023

-

Mis à jour le

17.01.2024

Le marché des capitaux de dette a subi des fluctuations mais se redresse en fin d’année. Les titres durables, malgré des critères d’éligibilité plus exigeants, sont de plus en plus demandés.

Quelqu’un se réveillant en décembre d’un sommeil commencé en janvier pourrait se dire que 2023 a été une année calme sur les marchés, que les taux allemands à 10 ans (2,2 % début janvier) n’ont quasiment pas bougé et que le marché crédit a connu un environnement positif tout au long de l’année.

En réalité, le marché obligataire, après une déroute historique en 2022, était reparti à la hausse lorsque les problèmes de liquidités des banques régionales américaines et le rachat de Credit Suisse en mars ont détendu les taux et généré un choc sur le marché du crédit et des inquiétudes sur la pérennité du segment AT1 (Additional Tier 1). Puis, une fois qu’il fut clair qu’il s’agissait de situations idiosyncratiques, le mantra des banquiers centraux « taux élevés plus longtemps » a recommencé de peser, les taux allemands dépassant même 3 %. Mais, depuis mi-octobre, le marché s’est focalisé sur la baisse de l’inflation et le ralentissement économique, de sorte que les taux sont revenus aux niveaux de janvier. Et comme c’est coutumier dans ces cas-là, l’obligataire a réagi positivement et offert au cours de novembre de belles opportunités de (pré)financement pour clôturer une année 2023 très volatile.

Une demande forte pour les obligations corporate malgré la volatilité

Malgré ce contexte, les entreprises ont été très actives, avec une hausse des volumes primaires de 28 % (totalité du marché euro) et même de 56 % pour les entreprises françaises, portée par des besoins de financement encore élevés, le refinancement d’acquisitions (par exemple, en France, L’Oréal, Kering, Rexel, Schneider, Suez ou Thales...) et le réveil du marché High Yield. La demande des investisseurs est restée forte pour le papier corporate toute l’année mais ils ont demandé aux émetteurs des primes d’émission plus élevées pour compenser la volatilité liée aux taux. Le rallye de fin d’année sur les taux d’intérêt a poussé certains émetteurs à émettre de façon opportuniste dans d’excellentes conditions.

L’engouement pour les émissions ESG ne s’est pas démenti avec 27 % des volumes (format Green ou Sustainability-Linked). Nous avons également constaté un nombre élevé de placements privés : une soixantaine pour un peu moins de 15 milliards d’euros pour l’ensemble du marché euro, ce qui est significatif et traduit le besoin des émetteurs pour des solutions de financement personnalisées. Une vingtaine d’émissions d’hybrides ont été réalisées pour environ 16 milliards d’euros en remplacement d’hybrides existantes, dont la remarquable offre d’échange d’Unibail Rodamco Westfield.

Nous anticipons une hausse des volumes d’émission Investment Grade de 10 % en 2024.

Les institutions financières abordent 2024 sereinement

Le marché des obligations financières en euros a fait preuve de résilience en 2023, permettant aux institutions financières de lever environ 470 milliards d’euros contre 450 milliards l’année précédente. Comme en 2022, le marché primaire a été porté par la hausse des besoins de financement avec la fin anticipée du programme TLTRO (Targeted Longer-Term Refinancing Operations) de la Banque Centrale Européenne, entraînant le maintien de volumes de covered bonds élevés, autour de 200 milliards, et une hausse de l’ordre de 40 % des émissions senior préférées, autour de 125 milliards. Les émissions de dette senior éligible au MREL (Minimum Required Eligible Liabilities) et subordonnée (AT1, Tier 2) sont quant à elles restées stables, autour de 150 milliards.

Afin de boucler des programmes d’émission conséquents, les émetteurs financiers ont fait preuve de pragmatisme en 2023. Ils ont été très actifs dès le début de l’année, avec un mois de janvier record, au cours duquel près du quart des volumes de l’année a été levé. Plusieurs émetteurs ont d’ailleurs réalisé leurs émissions les plus stratégiques dès les premières semaines. Cette approche a été payante, compte tenu du fort écartement des spreads en réaction à la faillite de SVB et au sauvetage de Credit Suisse en mars. Mais, preuve de la maturité du marché, les émetteurs financiers ont pu revenir assez vite sur le marché de la dette subordonnée, Axa réouvrant le segment Tier 2 en avril et BBVA celui de l’AT1 en juin.

L’année 2023 a également vu le renforcement des opérations de gestion de passif sur les instruments de capital principalement mais également sur la dette senior. Concernant les dettes subordonnées, faisant face à une volatilité accrue, les émetteurs sont amenés à refinancer leurs instruments plusieurs mois à l’avance afin de sécuriser les conditions. Un rachat concomitant de dette existante permet alors de réduire les coûts de portage associés, tout en offrant aux investisseurs une opportunité d’achat sur le nouvel instrument. Quant à la dette senior des banques, des rachats opportunistes de souches cotant sous le pair ont pu être effectués par les émetteurs disposant de liquidité ainsi que des rachats d’instruments ayant perdu leur éligibilité au ratio MREL au cours de la dernière année avant maturité.

Pour 2024, les volumes d’émissions en euros devraient être assez similaires à ceux de 2023, avec d’un côté un peu moins de financement pur et de l’autre, une hausse des émissions subordonnées. Ayant bénéficié d’un environnement opérationnel plutôt favorable, les banques européennes abordent l’année 2024 avec, pour la plupart, des ratios de capital confortables pour faire face aux éventuels aléas économiques. Bien que l’on ne puisse exclure de la volatilité en 2024, le marché obligataire devrait une nouvelle fois permettre aux financières de compléter leurs programmes de financement avec succès.

Des obligations durables tirées par le secteur public

Le marché obligataire durable a connu une croissance exponentielle avec un pic d’émissions ESG (environnemental, social et de gouvernance) de plus de 800 milliards d’euros atteint en 2021 (voir graphique). Après une consolidation marquée en 2022, le marché a rebondi de 7 % cette année, tendance qui devrait se poursuivre en 2024. Nous prévoyons un volume d’émissions d’obligations ESG entre 760 et 790 milliards d’euros. À noter que la Société Générale a participé, en tant que chef de file, à plus de 10 % de ces volumes.

Le marché obligataire durable continue d’être tiré par le secteur public (supra-souverains, gouvernements, agences, etc.), qui représente près de la moitié des émissions, les entreprises et institutions financières représentant chacune autour d’un quart.

En termes de géographie, l’Europe occupe toujours une place prépondérante sur ce marché, avec près de 50 % des émissions devant la région Asie-Pacifique (25 %). Enfin, c’est le format vert qui prédomine, suivi du format social, durable (vert et social) et enfin Sustainability-Linked.

La demande pour les obligations vertes devrait rester élevée, étant donné l’appétit des investisseurs pour les titres durables. Toutefois, les prérequis d’investissements sont de plus en plus stricts au regard des fonds obligataires durables, en particulier pour les fonds classés Article 9, qui prennent en compte les engagements ESG globaux, l’alignement avec la taxonomie, l’additionnalité des projets financés, ainsi que la qualité du reporting des émetteurs.

Outre l’intérêt des investisseurs institutionnels privés, les banques centrales et institutions supranationales pourraient également contribuer à une augmentation de la demande pour les obligations vertes. La Banque Européenne d’Investissement (BEI) a par exemple mis en place un cadre afin de veiller à ce que les projets qu’elle soutient soient alignés sur les objectifs de l’Accord de Paris.

Nous nous attendons à ce que l’intégration de la taxonomie européenne soit le principal déclencheur de la mise à jour du document cadre d’émissions pour de nombreux émetteurs. En 2023, la Société Générale a par exemple accompagné plusieurs entreprises, telles Ayvens (ex. ALD), Mercedes-Benz ou Holcim dans cet exercice.

Notons également que le règlement établissant les obligations vertes européennes (EU Green Bond Standard), qui a été publié au Journal officiel de l’Union européenne, commencera à s’appliquer à partir de fin décembre 2024.

En parallèle, l’angle social pourrait venir compléter les objectifs environnementaux de manière plus régulière, comme cela a été fait dans les frameworks d’émetteurs tels Saint-Gobain ou la République du Chili pour lesquels SG a tenu le rôle de structureur ESG.

Enfin le marché du Sustainability-Linked Bonds, un temps critiqué pour le manque d’ambition de certains objectifs, devrait continuer de voir ses pratiques renforcées. Ce produit, jusque-là quasiment exclusivement utilisé par les émetteurs corporate, à l’exception d’une poignée d’émetteurs comme la République du Chili (SG structureur), pourrait s’ouvrir aux institutions financières, de plus en plus nombreuses à publier des cibles de décarbonation de leurs portefeuilles ambitieuses (ex. NZBA).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº887-888
Un intérêt soutenu des émetteurs pour les obligations durables
$!La demande en obligations vertes gagne du terrain
Volumes d’obligations durables en milliards d’euros, au 7 déc. 2023
RB