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« Paris est le centre de gravité
pour tous les instruments financiers traités en euros »

Créé le

06.11.2023

-

Mis à jour le

17.04.2024

Première banque américaine présente à Paris en termes d’effectifs, J.P. Morgan a fait de la France son trading hub pour l’Europe. Kyril Courboin, président de J.P. Morgan France, nous livre les raisons de ce choix après le Brexit.

Pourquoi avez-vous choisi d’établir votre siège européen à Paris en 2021 ?

Ce choix est vraiment le fruit d’une analyse très objective et en profondeur conduite en amont du Brexit. Dès 2015, un groupe de travail d’une quarantaine de personnes a été mis en place, sous la responsabilité de Daniel Pinto, actuel President and Chief Operating Officer de J.P. Morgan Chase, qui était à l’époque le responsable de toutes les activités de marché de la banque de financement et d’investissement. Sept pays potentiels ont été passés au crible sur la base de 90 critères et, lors de cette première analyse, la France est arrivée bonne dernière. Le droit du travail était le principal frein.

A alors été créée la Brexit Task Force, dirigée par Christian Noyer, ancien Gouverneur de la Banque de France. Ce dernier a pris son bâton de pèlerin pour plaider la cause de la France, avec ses forces et ses faiblesses, auprès des dirigeants des principales banques étrangères. Et puis il y a eu l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, qui a changé pas mal de choses sur le plan fiscal, avec l’amélioration du régime d’impatriation et la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, et sur celui du Code du travail, avec la nouvelle grille en cas de licenciement. Lorsqu’on a refait la même analyse, en 2018, la France est arrivée deuxième, quasi ex æquo avec l’Allemagne. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de créer une banque européenne en Allemagne et d’ouvrir notre trading hub Europe continentale à Paris.

Paris est ainsi devenu votre trading hub européen ?

On a ouvert notre banque européenne en Allemagne parce qu’on y avait déjà une licence bancaire. Cette banque européenne a un bilan de 400 milliards de dollars et près de 40 milliards de fonds propres. Parallèlement, le trading hub européen est notre centre de gravité pour tous les instruments financiers traités en euro, que ce soient les obligations, les actions ou les produits dérivés.

Pourquoi Paris ?

Tout d’abord, Paris est une grande ville, avec de larges infrastructures offrant des écoles internationales et un talent pool avec les grandes écoles. Elle est aussi, avec Bruxelles, la seule ville internationale reliée à Londres par le TGV. Car même si on a déplacé tout notre trading euro à Paris, nos équipes doivent tout de même travailler et communiquer avec leurs collègues traders dollar ou monnaie exotique, restés à Londres.

L’installation ou l’expansion d’autres banques américaines a-t-elle influencé votre décision ?

Non, nous n’avons pas du tout regardé ce que faisaient les autres banques américaines. On a mené notre projet de notre côté et on est d’ailleurs organisé très différemment des autres acteurs. Pour l’instant, aucun n’a installé son trading hub euro à Paris comme nous l’avons fait. Goldman Sachs, par exemple, a régionalisé ses équipes en Europe par métier, avec son pôle d’institutions financières à Paris. Ils ont un modèle décentralisé, alors que J.P. Morgan a centralisé son trading à Paris.

Comment se répartissent vos effectifs à Paris ?

On a déplacé 500 employés et leurs familles de Londres à Paris, même pour les fonctions support.

Sur nos 850 employés, un peu plus de 500 personnes travaillent sur les activités de marché, avec le trading, les forces de vente, un peu de recherche et quelques fonctions de support. Les 350 personnes restantes se répartissent de manière à peu près homogène entre la banque de financement et d’investissement (BFI), la banque privée et l’asset management. On a aussi une petite équipe de banquiers spécialisés pour les Mid Caps, qui travaille dans la banque commerciale.

Le bureau a très fortement changé en termes de culture, puisque nous comptons désormais 40 nationalités dont environ 40 % de Français, principalement dans les activités de la BFI, la banque privée et la banque commerciale, pour servir les clients français. Notre équipe Ressources humaines, composée de 12 personnes, est chargée de recruter partout en Europe et au final, le Comité de direction est très international.

Deux ans après votre arrivée, quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Le bilan est très intéressant, parce que cette opération a tout de même été extrêmement compliquée à mener, pour deux raisons. D’abord, organiser le déménagement de 500 personnes à une date fixe n’est pas simple. Le Brexit a été effectif au 1ᵉʳ janvier 2021. Or nous n’avions pas de bureaux suffisamment grands pour accueillir ces nouveaux venus. Il a donc fallu acheter un immeuble et l’équiper de toutes les infrastructures nécessaires pour des salles de marché. Mais surtout, on a dû le faire en plein milieu de la pandémie du Covid, ce qui a compliqué les déplacements de familles et la question des transports.

Mais on a très bien géré cette opération. On était un peu sceptiques, car ces départs n’étaient pas volontaires et la plupart des employés auraient préféré rester à Londres. Dans nos enquêtes internes, on constate que nos employés sont aujourd’hui ravis d’être à Paris. L’autre avantage est que J.P. Morgan a des bureaux dans le centre de Paris. Chaque jour, 120 de nos employés viennent au bureau en vélo et 150 à pied. Notre deuxième immeuble, place du marché Saint-Honoré, est dans un quartier très vivant.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

On souffre d’un manque de place. Depuis notre installation à Paris, on a beaucoup plus de visiteurs de New York, d’Amérique latine ou d’Asie. On reçoit en moyenne 50 à 70 visiteurs par jour et ils ont besoin d’un espace de travail. On a également beaucoup de formations et de stages de longue durée, ce qui représente 50 à 60 personnes par an. On est en train de mettre en place des systèmes de rotation et de promouvoir un peu le télétravail.

Quels sont les projets ?

Un centre d’intelligence artificielle, qui va rassembler au départ sept à huit personnes, va ouvrir à Paris. On s’est posé la question de l’installer à Londres ou à Madrid, mais nos employés préfèrent venir à Paris.

La croissance de notre hub à Paris est liée au régulateur. L’activité de trading est plus régulée par la BCE et, pour l’instant, les équipes de back-office et le mid-office sont toujours en période de transition à Londres.

Par ailleurs se pose la question de la banque digitale de J.P. Morgan. Elle regroupe 1 000 employés à Londres et 80 en Allemagne. Nous nous posons toujours la question de l’opportunité d’ouvrir une banque digitale en France, mais la décision n’est pas prise. n

Propos recueillis par Ingrid Hazard le 5 octobre 2023.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº886bis
Les firmes de Wall Street en Europe
Si Paris arrive en tête des emplois financiers relocalisés depuis 2016, avec 2 800 emplois contre 1 800 pour Francfort et 1 200 pour Dublin, la compétition post-Brexit reste rude. D’après EY, 15 banques d’investissement ont choisi Paris et 19 Francfort. Goldman Sachs y a établi Goldman Sachs Bank Europe SE dès 2017 et vient d’ouvrir un bureau à Munich. Morgan Stanley prévoit de faire de même. Pour la gestion de fortune et d’actifs, les places privilégiées restent Dublin et le Luxembourg, où Bank of America a ouvert une agence en mai.Goldman Sachs a aussi transféré une partie de ses traders de swaps euro de Londres à Milan, qui bénéficie d’un régime d’impatriation très avantageux.D’après Choose Paris Region, la capitale aurait attiré 5 500 emplois dans la finance, dont 3 493 en BFI, 768 en gestion d’actifs, 381 en fintech, 266 en trading et 217 dans l’assurance.
RB