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Crédit à la consommation et déchéance du droit aux intérêts : consécration du pouvoir du juge
de moduler le taux d’intérêt substitué au taux conventionnel

Créé le

06.12.2023

En cas de déchéance du droit aux intérêts sanctionnant
le manquement du prêteur à son obligation légale d’information précontractuelle, il incombe au juge de réduire d’office le taux légal éventuellement majoré qu’il incombe
à l’emprunteur de payer, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive du manquement
du prêteur.

La Cour de cassation jugeait que la déchéance du droit aux intérêts dans les crédits de consommation ne faisait pas obstacle à ce que le capital restant dû porte intérêt aux taux légal à compter de la mise en demeure de l’emprunteur. Le présent arrêt vient tempérer cette solution, comme y invitait un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne en date du 27 mars 20141.

Le Code de la consommation sanctionne plusieurs obligations pesant sur les établissements de crédit par la déchéance du droit à intérêt, tantôt totale, tantôt totale ou partielle au choix du juge saisi2. La Cour de cassation juge cependant depuis un arrêt du 26 novembre 20023 que lorsque la déchéance du droit aux intérêts est prononcée, l’emprunteur n’en reste pas moins tenu aux intérêts au taux légal depuis la mise en demeure, en application de l’ancien article 1153 du Code civil, devenu 1231-6. Ce taux légal est par ailleurs majoré de 5 points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire en application de l’article L. 313-3 du Code monétaire et financier – situation fréquente, puisque ce type de contentieux se noue le plus souvent parce que la situation financière de l’emprunteur est critique. Or cette solution est inadaptée car il peut advenir que le taux légal (éventuellement majoré) soit supérieur au taux conventionnel. Cela pourra être fréquemment le cas à l’avenir dans un contexte de hausse des taux (le taux légal est par exemple passé de 3,15 % à 6,82 du second semestre 2022 au second semestre 2023) ; mais un regard rétrospectif montre que la situation n’a rien d’exceptionnel4. Dans ce contexte, la sanction ne joue plus ni son rôle dissuasif pour le prêteur, ni son rôle indemnitaire pour l’emprunteur. Elle n’est plus guère effective non plus au sens du droit européen, qui s’appuie sur l’action des justiciables pour faire assurer le respect des dispositifs qu’il consacre5 – encore que le problème soit ici plus insidieux, car l’irrégularité peut être soulevée d’office par le juge, qui prononcera la déchéance sans s’imaginer qu’elle puisse se retourner contre l’emprunteur. C’est dire qu’il y avait peu de chances que le dispositif français, tel qu’interprété par la Cour de cassation, puisse être jugé conforme à l’article 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs, qui fait peser l’obligation sur les États de définir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. La Cour de Justice de l’Union européenne a précisément été saisie de cette question en 2014, dans l’hypothèse d’une violation par le prêteur de son obligation de vérifier correctement la solvabilité de l’emprunteur. Elle y a répondu que l’article 23 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’un tel régime de sanction lorsque la juridiction de renvoi constate que les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction de la déchéance des intérêts ne sont pas significativement inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier s’il avait respecté son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur.

Il ne restait donc plus qu’à la Cour de cassation d’infléchir sa position et c’est ce qu’elle fait dans la présente affaire où était en cause l’absence de remise de la fiche d’information précontractuelle. L’arrêt ne revient pas sur le principe de substitution du taux d’intérêt légal au taux d’intérêt contractuel, qui est réaffirmé : il ne s’agit donc pas à proprement parler d’un revirement. Néanmoins, la Cour retient désormais qu’il incombe au juge de réduire d’office, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive, le taux légal – le cas échéant majoré de cinq points – lorsque celui-ci est supérieur ou équivalent au taux conventionnel. La solution est rendue pour le défaut de remise de la fiche d’information précontractuelle6, mais elle devrait valoir pour l’ensemble des obligations issues de la transposition de la directive concernant les contrats de crédit aux consommateurs, dès lors que le manquement est sanctionné par la déchéance. Elle devrait pareillement valoir en matière de crédit immobilier pour les obligations incombant au prêteur découlant de la directive du 4 février 20147 et sanctionnées par la déchéance du terme. En effet, comme en matière de crédit à la consommation, la Cour de cassation a admis l’application du taux légal à compter de la mise en demeure, dans le cas où la déchéance est prononcée8 ; et identiquement, la directive oblige les États à prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.

La solution n’en appelle pas moins deux remarques. En premier lieu, la Cour de cassation réserve le pouvoir de modulation du juge dans le cas où le taux légal, éventuellement majoré, est « supérieur ou équivalent au taux conventionnel ». Or la solution ainsi formulée n’est pas conforme au droit européen, la Cour de Justice retenant que les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de la déchéance des intérêts soient « significativement inférieurs » à ceux dont il aurait bénéficié s’il avait respecté son obligation. Le juge ne saurait donc se satisfaire d’un taux simplement inférieur au taux conventionnel ; encore faut-il qu’il vérifie que ce taux inférieur constitue une sanction dissuasive et effective. L’on peut regretter que la Cour de cassation, une fois encore, se refuse à donner plein effet au droit européen tel qu’interprété par la Cour de Justice tant les évolutions futures sont prévisibles. En second lieu, la solution ainsi formulée témoigne d’une liberté surprenante prise avec des textes pourtant récents, d’autant plus regrettable qu’elle pouvait être aisément évitée. Une autre solution était possible en effet : revenir sur le principe consacré en 2002, déjà fondé sur une interprétation discutable des textes du Code de la consommation. Non seulement aucun texte ne fonde le pouvoir de modulation que les juges se réservent dans la présente décision lorsqu’ils sont amenés à substituer le taux légal au taux conventionnel, mais encore cette application du taux légal décidée en 2002 n’était guère justifiable en l’état des textes. Le Code de la consommation lorsqu’il prévoit la déchéance du droit aux intérêts, pose une sanction dérogatoire qui exclut l’application du principe de droit commun de l’ancien article 1153 du Code civil, devenu 1231-69. Il précise d’ailleurs que « lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts (...), l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu »10 (cette dernière hypothèse visant la déchéance partielle). Et si l’on doutait encore des modalités du jeu de l’adage Lex specilia generalibus derogant, deux considérations pouvaient guider le juge : la finalité du droit de la consommation, qui protège le consommateur autant qu’elle est un outil de régulation du marché ; et l’état du droit européen, étant entendu que les textes français doivent être interprétés à la lumière de la directive. Écarter l’application de l’article 1231-6 aurait été une solution respectueuse de la lettre des textes français, évitant d’ajouter à une première liberté prise avec les textes un pouvoir de modulation peu conforme à l’esprit du droit français. Le caractère effectif et dissuasif de la sanction en aurait été garanti. Quant à l’impératif de proportionnalité, il a été pris en compte par le législateur français qui a choisi de conférer un pouvoir de modulation au juge pour certains manquements, qui peut choisir de ne prononcer qu’une déchéance partielle. La Cour de justice juge quant à elle que l’article 23 ne s’oppose pas à ce qu’un État prévoit que le contrat est exempt d’intérêts et de frais, pour autant que l’élément manquant est susceptible de mettre en cause la possibilité pour le consommateur d’apprécier la portée de son engagement11. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
 CJUE 27 mars 2014, aff. C-565/12, Dalloz actualité, 11 avr. 2014, note V. Avena-Robardet ; RTD eur. 2014, p. 724, note C. Aubert de Vincelles ; D. 2014, p. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2015, p. 139, obs. D. Legeais ; Europe 2014, comm. 233, note F. Gazin ; D. 2014, p. 1307, note G. Poissonnier.
C. C. conso., art. L. 341-1 et s. – V. Th. Bonneau, Droit bancaire, 15e éd., LGDJ-Lextenso, 2023, n° 925. – D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 1795 et s.
Cass. Cass. civ. 1re, 26 nov. 2002, n° 00-17.119 ; Bull. civ. I, n° 288 ; Defrénois 2003, p. 261, note J.-L. Aubert ; JCP G 2003, 1124. - RTD com. 2003, p. 357, note B. Bouloc.
V. V. les chiffres cités par G. Poissonnier, « Pour une vraie déchéance du droit aux intérêts en droit du crédit à la consommation », Contrats, conc. consom. juill. 2013, étude 10.
H. H. Aubry, « Les sanctions effectives, proportionnées et dissuasives », Contrats, conc. consom. 2021, étude 14.
C. C. conso. ancien art. L. 311-6 devenu, L 312-12. Sanctionné par l’ancien article L. 311-48, devenu L. 341-1.
Dir. Dir. 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010.
Cass. Cass. civ. 1re, 18 mars 2003, n° 00-17.761 ; Bull. civ. I, n° 84 ; Contrats, conc. consom. 2003, comm. 97, note G. Raymond.
V. V. G. Poissonnier, « Pour une vraie déchéance du droit aux intérêts en droit du crédit à la consommation », Contrats Concurrence Consommation juill. 2013, étude 10 ; G. Poissonnier, « Crédit à la consommation : la déchéance du droit aux intérêts doit être une sanction dissuasive », Contrats, conc. consom. n° 10, octobre 2014, étude 9 ; G. Raymond, note sous Cass. 1re civ., 27 mai 2003, Contrats, conc. consom. 2003, comm. 169.
C. C. conso., art. L. 341-8 pour le crédit mobilier ; art. L. 341-47 pour le crédit immobilier.
CJUE CJUE 9 nov. 2016, aff. C-42/15, Home Credit Slovakia ; D. 2017, p. 328 , note F. Boucard ; RTD com. 2017, p. 152, note D. Legeais.
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