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Dollar digital

Les États-Unis entrent
en phase de test

Créé le

23.12.2022

-

Mis à jour le

28.06.2023

Avec l’annonce, mi-novembre, du début des expérimentations sur le dollar numérique par la Réserve Fédérale (Fed) de
New York et plusieurs banques et organismes de paiement internationaux, la première puissance mondiale fait
un nouveau pas vers une monnaie dématérialisée.

La concurrence est rude. Plus d’une centaine de pays à travers le monde – 95 % du PIB mondial – ont entamé leur projet de monnaie numérique de banque centrale (MNBC). À la traîne par rapport aux Chinois, qui continuent d’étendre l’usage du e-yuan en circulation depuis 2020, et même de l’Union européenne, qui planche sur un prototype d’euro numérique annoncé pour 2027 au plus tard, les autorités américaines entendent rester dans la course. Un des enjeux stratégiques est notamment le maintien de la suprématie du billet vert sur le système monétaire international. 60 % des réserves de change des banques centrales et des dettes internationales sont actuellement libellées en dollars américains. Cela pourrait-il changer sous l’effet du développement tous azimuts des devises numériques de banque centrale ?

Un projet prioritaire

Face à ce risque, les États-Unis veulent faire du chantier du dollar numérique une priorité.

Dès janvier, le Federal Reserve Board publie un rapport très attendu qui dessine les avantages et risques potentiels d’une MNBC américaine et explore les options pour l’émission d’un dollar numérique. Il s’agit aussi d’ouvrir le dialogue public sur la question. Parallèlement, la Federal Reserve Bank de Boston s’allie au Massachusetts Institute of Technology (MIT) afin d’explorer des solutions technologiques pour une MNBC de détail accessible au public. Le projet Hamilton montre ainsi que le dollar numérique peut traiter 1,7 million de transactions, dont 99 % en moins d’une seconde, sans recourir à la technologie blockchain, et crée un modèle de recherche de base avec un code open source.

Mais l’impulsion majeure vient du politique. Le Président Biden publie, le 9 mars, un executive order dans lequel il appelle de ses vœux la création d’une monnaie numérique de banque centrale et commande aux départements du Trésor et du Commerce, ainsi qu’à plusieurs agences fédérales, la remise sous six mois d’un rapport sur « le futur de la monnaie ».

Pour Eswar Prasad, professeur d’économie à l’Université Cornell, l’administration Biden est clairement ouverte à un dollar numérique, exposant ses nombreux avantages, et ne craint pas les risques qui en découlent. « Cela représente une étape symboliquement significative vers la numérisation inévitable de la monnaie dominante dans le monde », explique-t-il. Pour lui, le décret exécutif mentionne de manière concise les avantages et les inconvénients d’une MNBC de détail et énonce les principales considérations économiques, techniques et sociétales pertinentes pour les débats en cours sur le bien-fondé d’un dollar numérique.

Le 16 septembre, la Maison blanche poursuit son avancée et publie le fruit des différents rapports reçus dans un document cadre qui reconnaît l’intérêt d’une MNBC américaine pour assurer l’efficacité du système de paiement et des transactions transfrontalières, l’inclusion financière, la croissance et la stabilité économique et la préservation du leadership financier mondial des États-Unis. Il dresse aussi une feuille de route, encourageant la poursuite des recherches et des travaux expérimentaux de la Réserve fédérale dans ce domaine, tandis que le département du Trésor dirigera un groupe d’agences gouvernementales qui étudiera le potentiel d’une monnaie numérique émise par la banque centrale.

Selon la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, l’une des recommandations du Trésor est que les États-Unis « fassent avancer les travaux politiques et techniques sur une éventuelle monnaie numérique de la banque centrale afin que les États-Unis soient prêts si elle est jugée dans l’intérêt national ». « Certains aspects de notre système de paiement actuel sont trop lents ou trop chers », ajoute-t-elle.

De la recherche à l’expérimentation

Dernière initiative en date, le lancement mi-novembre d’une expérimentation de 12 semaines menée par la Réserve Fédérale de New York et 12 banques américaines et organismes internationaux, dont Citi, Wells Fargo, HSBC, Swift et Mastercard. Ce projet-pilote du New York Innovation Center (NYIC), appelé Cedar, marque une nouvelle étape, car il fait passer les États-Unis du stade de la recherche à celui de l’expérimentation. « La phase I du projet Cedar a révélé des applications prometteuses de la technologie blockchain dans la modernisation des infrastructures de paiement critiques, et notre expérience inaugurale fournit une rampe de lancement stratégique pour de nouvelles recherches et développements concernant l’avenir de la monnaie et des paiements du point de vue américain », a déclaré Per von Zelowitz, directeur du NYIC.

Les transactions ont ainsi pu être réglées en moins de 15 secondes en moyenne, avec des paiements 24 heures sur 24 et une variété d’institutions financières, y compris des banques centrales et du secteur privé. La prochaine phase doit tester le règlement et les transactions transfrontalières. À l’issue de celle-ci, un rapport sera rendu public et devrait permettre de mieux dessiner les contours du futur dollar numérique.

La transition vers celui-ci risque cependant de prendre encore du temps. « Nous ne pensons pas prendre cette décision avant un certain temps », a prévenu le président de la Fed, Jerome Powell, cette dernière nécessite au préalable l’approbation du Congrès et de l’exécutif. « Nous évaluons à la fois les questions politiques et les questions technologiques et nous le faisons avec une portée très large. » 

$!Les États-Unis entrent en phase de test

3 Questions à... Ananya Kumar, directrice adjointe, centre géo-économique de l’Atlantic Council

« Le vrai risque n’est pas la stabilité économique ou la cybersécurité mais la fragmentation des modèles de MNBC »

Quels défis pose le dollar numérique de banque centrale ?

Le premier défi est réglementaire. Il n’est pas évident de savoir si la Fed a le pouvoir ou non d’aller plus loin et de prendre la décision de lancer le dollar numérique. Mais il est communément admis que le Congrès devrait autoriser la Fed à prendre cette décision. En ce qui concerne la stabilité économique pointée par la Réserve fédérale, des recherches doivent encore être effectuées pour étudier comment le dollar numérique affectera le système financier et la stabilité macroéconomique.

Qu’en est-il des menaces pour la cybersécurité et la protection des données ?

Je ne classe pas la confidentialité parmi les défis, parce que je pense qu’il existe des moyens techniques de la garantir – de même que la transparence, les normes de cybersécurité et le maintien de l’anonymat – avec le système de MNBC. Pour atteindre le juste équilibre entre l’efficacité technologique et le respect de l’anonymat et de la vie privée, beaucoup de travail a déjà été fait.

Y a-t-il d’autres risques à prendre en compte ?

L’interopérabilité horizontale, avec les systèmes de paiement et les cryptos existantes, et verticale, avec les MNBC des autres pays, est un enjeu majeur.

À l’Atlantic Council, nous avons examiné plus de 100 projets différents de monnaie numérique de banque centrale. Ils sont très différents les uns des autres. Donc, s’ils ne se parlent pas entre eux et n’interagissent pas les uns avec les autres, vous devrez utiliser plus de cryptos. Il y a actuellement 112 projets de MNBC et autant de technologies, dont certaines ne sont pas interopérables. Cela pose des risques de friction et de fragmentation croissante dans les paiements transfrontaliers, compte tenu de cette prolifération.

Propos recueillis par Ingrid Hazard

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº875-876
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