Avec la crise qui n’en finit pas et l’endettement, tant des ménages, des entreprises que des États, qui ne cesse de croître, la question du non-remboursement de la dette est sur toutes les lèvres. Bien sûr, une dette engage son débiteur, et nous avons souvent rappelé qu’elle est d’abord une obligation vis-à-vis du créancier, et ce quel que soit le type de dette : morale, divine, humaine et bien sûr financière. Il n’empêche. Peut-on raisonnablement penser que ces dettes financières seront toutes remboursées ?
Des techniques plus ou moins classiques
La réponse historique aux crises de dettes a le plus souvent consisté en une « remise de dette » par le pouvoir étatique : le monarque (ou le gouvernement) décide, pour le bon ordre social, que les dettes privées sont effacées. Il ne lui en coûte rien, car il ne s’agit généralement pas des dettes publiques. Le dernier exemple en ce sens est le cas de l’Islande : en 2013, le gouvernement a décidé d’« effacer » jusqu’à 26 000 euros des dettes immobilières par ménage (sur le dos des banques…). Le plus souvent, c’est toutefois le créancier qui réduit sa créance. Qu’il s’agisse de la technique de la remise de dette, du moratoire ou autre, toutes passent par l’acceptation du créancier de réviser les termes de l’accord contractuel et, unilatéralement, d’accorder une réduction de sa créance. Ainsi, dans certains pays, comme en France, il existe des procédures d’annulation de dettes pour les personnes physiques, au titre de leurs activités personnelles depuis 2003 ou professionnelles depuis 2014. C’est la procédure de « rétablissement personnel » qui permet au juge, après débat entre le créancier et le débiteur, d’annuler tout ou partie de la dette d’une personne surendettée, ou plus précisément d’une personne placée dans une situation « irrémédiablement compromise ».
Reste la situation où le créancier refuse de procéder à une remise de dette. Certains y ont répondu par une forme « classique » de résistance, tel le mouvement
L’annulation de la dette publique en débat
Peut-on aller plus loin et reconnaître un droit unilatéral au débiteur à l’annulation de sa dette (on parle alors aussi de « répudiation ») ? La question dérange en ce qu’elle vient bouleverser l’ordre établi et le principe du remboursement de toute dette. Seul le créancier (et, dans certaines situations, le juge) peut annuler la créance qu’il détient sur son débiteur. Reconnaître le droit de ne pas rembourser ses dettes pour un débiteur revient à remettre en cause les principes même de l’économie libérale de marché, fondée sur le respect de la propriété privée, la dette – comme toute créance – étant protégée par ce droit. Reconnaître un tel droit, sans l’accord du créancier et sans le contrôle du juge, ouvrirait ainsi la porte à une situation anarchique où tout débiteur pourrait, de son propre chef, considérer que, tout compte fait, il ne remboursera plus sa dette. C’est d’ailleurs là ce qui oppose les tenants de l’annulation de dette (D. Graeber) à ceux prônant la taxation du capital (T. Piketty) comme solution à l’
Et pourtant, ne faut-il pas relancer le débat et commencer la réflexion sur l’annulation des dettes publiques ? Ne convient-il pas de réfléchir hors des concepts juridiques du droit des contrats ? En particulier sur l’« injustice du contrat », selon l’expression de Georges Ripert. Comment aller plus loin ? N’est-ce pas vers l’idée d'« exploitation de l’un des contractants par l’autre » ? Elle avait été évoquée par Ripert, encore lui, dans son célèbre ouvrage La Règle morale dans les obligations civiles (1949). Ou encore, celle d’« état de nécessité », notion connue dans de
À quel titre alors, et selon quels critères, une dette ne serait-elle plus juridiquement remboursable du seul chef du débiteur ? Il s’agit de rapprocher l’analyse économique de la dette du droit, en appelant à la notion de « soutenabilité » de la dette.
La « soutenabilité » en question dans le monde développé
Qu’est-ce que la « soutenabilité » ? Cet anglicisme désigne ce qui paraît raisonnablement contrôlable et le mode d'organisation à mettre en place en vue d'assurer la pérennité de la société humaine. Ce concept a été diffusé depuis la crise financière, en particulier après le
S’agissant de la soutenabilité de la dette publique, celle-ci correspond à la situation d'un État dont la solvabilité (capacité à faire face à ses engagements) est garantie sans qu'il lui soit nécessaire d'ajuster, dans le futur, sa politique budgétaire. Ainsi, une politique budgétaire est dite « soutenable » si elle ne conduit pas à un niveau de dette publique qui, sans ajustement fiscal majeur, ne pourrait être remboursé par des excédents budgétaires dans le futur. Ce qui est nouveau, c’est le transfert de cette doctrine dans le cadre actuel de la crise de la dette des États
Soutien abusif et dette publique
Allons plus loin. Dès lors qu’une dette publique ne répondrait plus aux critères de soutenabilité définis par les instances internationales, l’État débiteur serait en droit de refuser d’honorer le remboursement de toute nouvelle dette que des créanciers viendraient lui accorder. Autrement dit, passé un état de surendettement, les nouveaux créanciers seraient prévenus du risque de non-remboursement de leurs créances. C’est une autre logique que celle du club de Paris ou du club de Londres, où les pays endettés viennent « quémander » une réduction de leurs dettes. C’est cette logique qu’il convient d’inverser. Il faudrait, bien sûr, que les organisations internationales acceptent le principe qu’au-delà certains seuils, un État peut décider de ne plus honorer ses engagements contractuels. Cela reviendrait en quelque sorte à transposer en matière de dette souveraine l’ancienne notion de soutien abusif en matière de crédit bancaire. En faisant porter la responsabilité du défaut autant sur le débiteur (dette soutenable) que sur le créancier (dette insoutenable).