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Brexit : « La question est celle du degré d’exigence que vont avoir les régulateurs nationaux »

Créé le

24.08.2017

-

Mis à jour le

31.08.2017

Comment les entreprises basées à Londres exerceront-elles leurs activités financières dans l’Union européenne (UE) après le Brexit ?

Environ 20 % des revenus générés par la City depuis le hub de Londres le sont en direction de l’UE grâce au « passeport » financier. Cela représente 30 milliards de livres par an (35 milliards d’euros), sur les 150 milliards de livres générés par les services financiers (225 milliards en comptant les services connexes). Il est certain que les activités autorisées uniquement par le régulateur britannique perdront leur passeport. Par ailleurs, si le régime d’équivalence pays tiers pourrait en théorie permettre à la City d’accéder au marché européen, sa mise en œuvre pratique est trop incertaine pour servir de fondement au développement d’une activité. Les activités financières dans l’UE menées aujourd’hui depuis la City devront donc faire l’objet d’une demande de passeport d’un régulateur européen. Selon la Financial Conduct Authority (FCA), 5 500 entreprises basées au Royaume-Uni détiennent actuellement 336 421 passeports pour mener des activités dans l’UE.

La question est celle du degré d’exigence que vont avoir les régulateurs nationaux européens pour accorder une autorisation d’exercer, et de leur décision de coopérer et d’établir des standards communs ou non. Les retombées économiques dépendront de ces facteurs. Le débat a commencé avant l’été entre régulateurs européens pour essayer de définir un minimum de règles pour limiter la course au moins-disant. L’absence de coordination mènerait à une situation de concurrence qui pourrait conduire certains à accorder le droit d’exercer dans leur juridiction avec peu de moyens humains et techniques. Les relocalisations seraient alors faibles.

Faites-vous cette hypothèse du risque de « coquilles vides » ?

Le jeu est loin d’être terminé. C’est une première pour des autorités de régulation européennes d’exiger un minimum de substance pour accorder un passeport. Elles ont commencé à émettre des avis très clairs pour dire qu’elles n’admettraient pas les « boîtes à lettres », mais les régulateurs n’ont pas totalement déterminé le niveau de substance attendu. C’est pourquoi certaines décisions de délocalisations ne sont pas encore prises. Pour le moment, par rapport aux effectifs de la City, environ 370 000 professionnels, quelques petits milliers de personnes devraient être relocalisées dans l’UE. Le reste va se jouer dans les mois qui viennent. Dans la mesure où le Brexit doit être acté fin mars 2019, il faudrait que les relocalisations aient lieu à l’été 2018.

Quid des activités de compensation des produits dérivés libellés en euros ?

Londres et les professionnels disent que si ces activités ne peuvent plus être menées à Londres, le marché sera moins efficient car une chambre de compensation est un endroit où toutes les transactions, celles en euros et en dollars notamment, sont en quelque sorte mises en commun. L’argument est fondé techniquement. Mais il y a aussi un argument d’intérêt général, de stabilité financière. Compte tenu des masses en jeu – 87 000 milliards d’euros d’encours sous-jacent, soit 8 fois le PIB de la zone euro, selon la Chambre de compensation britannique SwapClear, membre du groupe LCH –, les autorités monétaires européennes sont fondées à vouloir superviser et réguler cette activité. C’est un sujet d’aléa moral.

La Commission européenne a émis le 13 juin une proposition de réglementation pour préciser où les chambres de compensation devraient être localisées, qui dit notamment que celles qui sont « substantiellement systémiques » devraient être localisées dans l’UE. Or LCH Clearnet compense 70 % des produits dérivés libellés en euros…

Quelles sont vos hypothèses concernant l’équilibre futur des places financières ?

Le Brexit va mettre un coup d’arrêt à la concentration toujours plus importante d’activités financières à la City et Londres va perdre de son importance, mais elle part de tellement haut que même si elle conserve seulement 80 % de son activité, cela restera considérable. Londres va conserver le leadership dans un système multipolaire. Dans un monde sans concurrence réglementaire, Francfort et Paris, qui ont à peu près les mêmes exigences en termes de substance, seront gagnants. Avec de la concurrence réglementaire et fiscale, Luxembourg et Dublin entrent aussi dans le jeu.

Propos recueillis par L. B.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº811