Comme cela était largement attendu, la Réserve Fédérale américaine a procédé ce jeudi 16 décembre au premier relèvement de ses taux d’intérêt depuis près de dix ans. Cette décision met fin à une période inédite de politique de taux zéro dans la première économie du monde. Cette politique est restée en place pendant presque sept ans. Même la reprise économique qui a commencé à se matérialiser à la fin de l’année 2009 n’y a pas mis fin rapidement. La décision du 16 décembre n’est pas une surprise, cela fait de longs mois que les membres du
Le pari risqué de la FED
Que nous a dit la FED mercredi dernier ? Tout d’abord la décision de procéder à ce premier relèvement de taux résulte de l’amélioration « considérable » des conditions du marché du travail cette année, et d’une confiance élevée quant aux perspectives de voir l’inflation converger vers l’objectif de 2 %. Lors de sa conférence de presse, la Présidente Yellen a insisté sur le fait que les facteurs qui ont poussé l’inflation à la baisse cette année sont transitoires et que l’amélioration du marché du travail va conduire à une hausse des tensions inflationnistes d’origine domestique, bienvenues pour pousser l’inflation vers sa cible. C’est sans doute un pari risqué. En effet, la nature transitoire du choc négatif d’inflation est loin d’être évidente. L’inflation mondiale est à un niveau historiquement faible, malgré la croissance retrouvée, et résulte en grande partie du phénomène d’exportation de la déflation par la Chine. La deuxième économie mondiale, aujourd’hui en phase de rééquilibrage de son modèle de croissance souhaité par les autorités, souffre de l’excès d’investissement réalisé au cours de la dernière décennie, qui pèse fortement sur ses prix de production, et donc sur le prix de ses exportations. Ce phénomène est amplifié depuis cet été par la décision de procéder à une dévaluation du
Une normalisation très lente
Le deuxième message de la FED est que la normalisation de la politique monétaire sera beaucoup plus lente que ce que nous avons connu lors des précédents cycles économiques, les membres du comité anticipant en moyenne 100 pdb de hausse des taux directeurs au cours de chacune des années 2016-2017-2018. En outre, leur niveau à long terme sera bien inférieur à ce qu’il était avant crise, soit entre 3.25 % et 3.5 % contre plus de 5 %. Ce signal reflète sans aucun doute l'idée que l'apparition de pressions inflationnistes sera très lente, compte tenu de l'environnement international défavorable mentionné plus haut, de la force probable du dollar au cours des prochaines années, et d'un affaiblissement du lien entre la baisse du chômage et l'accélération des salaires. La FED anticipe d'ailleurs une stabilisation du chômage à partir de l'année 2016, sans doute en lien avec une légère réaugmentation du taux de
Enfin, le troisième message à retenir est que la politique de réinvestissement des actifs achetés lors du quantitative easing, et arrivant à maturité sera poursuivie, afin de limiter le resserrement monétaire qui se serait produit début 2016, compte tenu de l’augmentation importante du volume d’actifs arrivant à maturité ; et ce jusqu’à ce que la normalisation du niveau des taux d’intérêt soit bien engagée. Selon notre interprétation des divers travaux réalisés par les équipes de la FED, ce niveau qui déclenchera l’arrêt des réinvestissements est compris entre 1 % et 2 %, et sera atteint sans doute dans le courant de l'année 2017. Ce pas supplémentaire en direction d'un resserrement des conditions de liquidité pourrait d'ailleurs conduire le FOMC à ralentir encore un peu le rythme de la hausse des taux d'intérêt.
En conclusion, le message délivré cette semaine par la FED renforce l'idée que malgré la poursuite de la reprise et le début du cycle de resserrement monétaire, les taux d'intérêt resteront encore anormalement bas pour une période très longue, même dans l'hypothèse d'une absence de choc négatif qui pourrait conduire la Réserve Fédérale à réassouplir sa politique avant même d'avoir atteint le niveau de long terme.
La BCE poursuit son assouplissement
Du côté de l'Europe, la situation est sans aucun doute encore plus favorable au maintien de taux d'intérêt bas, et même négatifs, pour une période considérablement longue. Lors de sa réunion du 3 décembre, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé d'assouplir encore davantage sa politique en baissant son principal taux directeur - celui qui détermine les taux de marchés dans le contexte actuel d'excédent de liquidité, c’est-à-dire le taux de la facilité de dépôt - encore davantage en territoire négatif à -0,30 %, en allongeant de six mois la période minimale pendant laquelle elle continuera d'acheter des actifs au rythme de 60 milliards d’euros par mois, et en s'engageant à réinvestir les titres arrivant à maturité, pendant une période considérablement longue. Selon Mario Draghi, cela conduira l'Eurosystème à procéder à l'achat supplémentaire de 680 milliards d’euros de titre d'ici la fin de 2019, contribuant ainsi à maintenir une politique ultra-expansionniste pendant au moins quatre ans encore. On le voit, la sortie de la politique de taux zéro, même négatifs, n'est pas pour demain en zone euro, même si les marchés ont plutôt mal réagi aux annonces du 3 décembre, sans doute en raison d'anticipations excessives après les signaux envoyés par différents membres du conseil des gouverneurs. En outre, il est tout à fait possible que la BCE procède à un assouplissement supplémentaire de sa politique en 2016, si les perspectives d'inflation restent trop faibles et ne se redressent pas au cours des six prochains mois. En Europe comme aux États-Unis, l'environnement mondial pèse sur le rythme de hausse des prix, même si la dépréciation de l'euro depuis mi-2014 a évité de tomber durablement en déflation. Mais par ailleurs, les pressions inflationnistes domestiques sont totalement inexistantes. Le niveau encore très élevé du chômage empêchera encore pendant plusieurs années une accélération des salaires, et ce d'autant plus que la désinflation importée, amplifiée par la baisse des prix du pétrole depuis juin 2014, a habitué les agents économiques à vivre dans un monde d'inflation nulle voire négative, modérant encore davantage les hausses de salaires. C'est le fameux « effet de second tour » tant redouté par la BCE, qui pourrait conduire à une chute durable des anticipations d'inflation, d'autant qu'il est peu probable que l'on assiste à un rebond massif des prix du pétrole compte tenu de l'abondance de l'offre dans un contexte de demande peu dynamique.