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Etat et marché : complicité et défaillances

Créé le

16.05.2011

-

Mis à jour le

05.07.2013

Il est donc déterminant aujourd'hui de revenir à une appréhension épurée, et véritable, du marché : le lieu géométrique des transactions, lieu qui du coup a pour fonctionnalité première de « dire les prix » qui se forment en cette plage. C'est d'autant plus important que, revenu à ce rôle essentiel, originel et déterminant, le marché excelle et semble aujourd'hui indispensable. Dit autrement, cet éclairage change bien des choses car il réduit la démarche critique, et apologétique, qui s'abat sur le marché. En résumé, le marché ne serait pas la mégamachine sociale qui régente le monde contemporain, mais plus restrictivement la plate-forme où se rencontrent les forces économiques.

Et dans cet esprit, revenons une fois encore à la généalogie et à Smith : le marché est impensable, et hors d'état de fonctionner, en dehors de son rapport organique avec le pouvoir politique, avec l'État.

L’opposition est au cœur des esprits et des représentations : c’est l’État ou le marché, l’un ou l’autre, il faut choisir entre les deux ennemis. On ne cesse de penser l’avenir sur le mode de cette rivalité fondamentale, introduite par le libéralisme politique dont nous avons montré combien il était avant tout une doctrine antiétatique. La rivalité avait atteint son sommet politique dans la conjoncture de la guerre froide, où le marché symbolisait l’Occident libre et libéral, alors que le totalitarisme communiste, avec sa planification, son exclusion du marché, incarnait l’extrémité étatique. Mais cette matrice dialectique qui a nourri pendant 40 ans l’imaginaire du monde s’est perpétuée au-delà de la disparition ​du mur de Berlin et de l’alternative qu’il symbolisait. Encore plus de marché, et corrélativement moins d’État, semble psalmodier la ritournelle des temps modernes, mot d’ordre incontesté tant l'État impotent est devenu gauche et maladroit.

L’impensable rapprochement s’impose alors de lui-même. L’hypothèse paradoxale, voire sacrilège, gagne les esprits : et si la rivalité fondamentale n’était qu’un leurre ? Et si cette guerre n’était qu’un subterfuge ? Comment expliquer ces adjectifs communs qui s’appliquent aux deux structures réputées parfaitement antagoniques et inverses l’une de l’autre ? Une seule hypothèse semble adéquate à ce constat : instance de codage des flux économiques, le marché doit être regardé comme complémentaire de l’État dans le champ horizontal des forces économiques. Retour en force de sa généalogie, remémorisation de la place du marché dans l’Histoire… Il se dévoile alors comme le délégué opérationnel de la maladroite pyramide dans les zones éclairées de l’économie.

 

Cet article est extrait du Hors-Série de Revue Banque : « A quoi servent les marchés financiers ? », à paraître en juin 2011.

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