En confiant à la BCE le rôle de superviseur pour les banques de la zone euro, les autorités européennes ont relancé un vieux débat d’économistes, celui du conflit d’intérêt entre politique monétaire et surveillance microprudentielle. Un non-sujet pour la France qui a depuis longtemps adossé son superviseur à la Banque de France (lire les interviews de Jacques de Larosière et Danièle Nouy). Mais l’Allemagne, qui a confié la mission de supervision à une autorité indépendante, la BaFin, s’en est beaucoup émue. En novembre 2012, la Bundesbank écrivait ainsi dans son rapport sur la stabilité financière que « la perspective de confier à la BCE des fonctions de supervision nécessite des mesures spécifiques pour prévenir tout conflit d’intérêt entre la politique monétaire et la surveillance des banques, et pour éviter que ces nouvelles fonctions n’empiètent sur l’indépendance de la banque centrale. »
Des risques inflationnistes
Le cœur du débat se situe en effet sur la tentation, pour une banque centrale, d’abaisser les taux d’intérêt – ou de ne pas les remonter – pour améliorer la santé financière de ses banques, générant ainsi des risques inflationnistes. Par ailleurs, alors que la politique monétaire défend bec et ongles son indépendance, la mission de supervision peut se retrouver liée aux autorités politiques. « Un des problèmes soulevés est que la BaFin n’est pas indépendante du ministère des Finances allemands. Cela signifie que certains membres du Comité de supervision [créé au sein de la BCE] ne seront pas indépendants », pointent
Un prêteur en dernier ressort mieux informé
Toutefois, fusionner les deux missions au sein de la même institution présente aussi des avantages. L’information circule mieux, la réactivité est plus grande. Une coordination difficile entre le superviseur britannique, la FSA, et la Banque d’Angleterre avait ainsi empêché la prévention de la crise de Northern Rock. Aujourd’hui, les fonctions de supervision des banques britanniques sont en train d’être internalisées à la banque centrale… comme c’était le cas avant 1997. Par ailleurs, en tant que prêteur en dernier ressort, une banque centrale a intérêt à avoir une bonne connaissance de la situation des banques qu’elle refinance. Quant à l’argument de l’indépendance, il peut être tourné en faveur du double mandat, la réputation d’une banque centrale servant favorablement son image de superviseur.
Une fragile muraille de Chine
Si la théorie peine à trancher sur la question, dans la pratique, les observateurs tendent à se rejoindre sur le constat que la BCE était, dans les circonstances actuelles, le seul choix possible. En d’autres termes, la zone euro avait plus à perdre avec une supervision éclatée de ses banques qu’avec un conflit d’intérêt potentiel, dû à une concentration des missions au sein de la BCE. Des aménagements ont toutefois été prévus dans le compromis de décembre : une séparation institutionnelle des deux missions a été instituée, avec un Comité de supervision d’un côté, dont le président ne sera pas issu de la BCE et qui sera composé des représentants des autorités nationales, et le Conseil des gouverneurs de l’autre, décideur en dernier ressort comme le veulent les traités, mais qui n’aura qu’un droit de veto sur les décisions prises. Toutefois, les observateurs pointent du doigt les limites de cette séparation. « Il n’y a pas de muraille de Chine dans la tête du président de la BCE Mario Draghi », note
Des pouvoirs d’intervention précoce
Pour se prémunir réellement contre un conflit d’intérêt, Sylvester Eijffinger et Rob Nijskens insistent sur la nécessité pour la BCE de ne pas recourir au même outil pour ses deux mandats : « Pour sa mission de supervision, la BCE doit pouvoir disposer d’un nouvel instrument qui lui permettra d’agir sur la solvabilité des établissements. Les pouvoirs d’intervention précoce dont elle va être dotée peuvent jouer ce rôle, à condition que la BCE puisse les utiliser sans interférence politique. » Quant au taux d’intérêt, il doit rester l’outil par excellence de la politique monétaire. Ces pouvoirs d’