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Risques climatiques

Les attentes de la BCE
face au principe de réalité

Créé le

25.11.2022

-

Mis à jour le

08.12.2022

Le 2 novembre 2022, la BCE a publié les résultats du plus important exercice de supervision jamais réalisé en matière
de risques climatiques et environnementaux (« risques C&E »). Malgré l’absence d’un cadre réglementaire finalisé,
les banques se sont mises en mouvement pour répondre
à ses attentes, mais en ordre très dispersé et le chemin restant à parcourir est encore long.

La « revue thématique » menée par la Banque Centrale Européenne (« BCE ») durant la première moitié de l’année1 a couvert 186 banques pour un total combiné d’actifs de 25 000 milliards d’euros (représentant plus de 80 % du total des actifs bancaires de la zone euro). Ainsi, l’échantillon comprenait non seulement l’ensemble des 107 institutions « importantes » (significant institutions) supervisées directement par la BCE, mais également 79 institutions « moins importantes » (less significant institutions), dont la supervision est encore assurée par les autorités compétentes nationales (« ACN »).

La revue thématique constitue la dernière des trois actions de supervision qui, au cours des douze derniers mois, ont été menées par la BCE pour mesurer le niveau de conformité des banques à ses attentes prudentielles (supervisory expectations) telles qu’énoncées dans son guide publié en novembre 2020. Les deux autres sont un exercice de stress-test et la revue des publications (disclosures) des banques dans le domaine des risques C&E. Leurs résultats ont déjà été publiés, respectivement, les 8 juillet et 13 mars derniers.

Concernant la revue thématique, la BCE a demandé aux banques de répondre à un questionnaire, de communiquer leurs procédures et politiques internes et de présenter, au cours d’entretiens, la façon dont avaient été instruits certains dossiers clients représentatifs. Elle souhaitait ainsi être en mesure d’évaluer non seulement l’existence et la qualité (soundness) des pratiques des banques, mais également leur complétude (comprehensiveness) et leur application effective (effectiveness).

Les résultats présentés ci-dessous ne concernent que les institutions « importantes » et se concentrent sur les conclusions relatives à l’évaluation de la matérialité, la gouvernance, la stratégie et le cadre de gestion des risques, sans détailler les aspects relatifs aux risques de crédit, opérationnel et de marché ni aux risques environnementaux.

« The glass is not even half full »

Lorsqu’il s’agit d’évoquer le travail des banques dans le domaine des risques C&E, la tonalité est souvent négative, sans prendre en considération la complexité du défi auquel elles font face. Les différents commentaires entourant la publication des résultats de la revue thématique n’ont pas échappé à la règle. Sur le blog de la BCE, dans une note publiée concomitamment au rapport, Frank Elderson, vice-président du Conseil de surveillance prudentielle, reconnaît que « le verre se remplit lentement » mais tempère aussitôt en précisant qu’« il n’est même pas à moitié plein » par rapport aux attentes du superviseur. Il met en avant que, pour 96 % des établissements, le dispositif d’identification des risques C&E présente des lacunes : certains secteurs, facteurs de risques2 et/ou régions géographiques, ne sont pas couverts. Les banques ont eu par exemple tendance à se concentrer sur le risque de transition et, plus particulièrement, sur les impacts des évolutions réglementaires sur le risque de crédit.

Ces lacunes, qui empêchent d’avoir une compréhension précise et complète de la façon dont les risques C&E peuvent affecter les activités de la banque, se reflètent dans la définition de la stratégie, qui ne prend pas en compte ces risques dans toute leur complexité. Si la majorité des établissements ont bien commencé à établir des stratégies de transition, avec pour objectif d’avoir des expositions neutres en carbone (objectif « net zero ») à horizon 2050, ils n’ont souvent pas défini de cibles intermédiaires et, dans plus de 80 % des cas, n’ont pas convenu des actions correctives à mettre en œuvre en cas de non-respect des objectifs fixés.

Les banques doivent par ailleurs poursuivre leurs efforts pour mieux quantifier les risques C&E. En l’absence de données disponibles, la quasi-totalité d’entre elles ont recours à des méthodes d’évaluation basiques reposant sur des hypothèses et estimations (proxies). Ce constat n’est toutefois pas surprenant en présence d’un cadre réglementaire peu contraignant et incomplet concernant la publication par les entreprises d’informations extra-financières suffisamment détaillées. Selon la BCE, les banques doivent désormais adopter une approche plus granulaire et prospective et, pour ce faire, collecter de manière plus proactive des données fiables au niveau de chacun des clients et des actifs3.

« How fast is the glass filling up? »

S’il est indéniable que le chemin restant à parcourir par l’industrie pour se conformer aux attentes du superviseur est encore long, il convient de tempérer ce constat, à la lumière des éléments suivants :

– les risques C&E n’ont pris que très récemment la dimension qu’ils ont aujourd’hui : le guide BCE a été publié en novembre 2020, il y a à peine deux ans. Auparavant, le risque climatique ne figurait pas parmi les priorités de supervision du MSU et la cartographie des facteurs de risques (SSM Risk Map) pour l’année 20204, publiée fin 2019, lui attribuait la plus faible importance parmi tous les facteurs de risque affectant le secteur bancaire. Cette faible importance tenait à des considérations méthodologiques, la BCE se concentrant sur les facteurs de risque matériels sur un horizon de seulement trois ans. Depuis, elle a revu sa méthodologie, publié son guide en élargissant les risques climatiques aux risques environnementaux, supprimé la cartographie des facteurs de risque et érigé la thématique en priorité de supervision pour la période 2022-2024 ;

– les banques n’ont pas aisément accès à des données comparables, détaillées et fiables sur les performances extra-financières de leurs clients. La réglementation européenne actuelle issue de la directive « NFRD » (Non Financial Reporting Directive) a un champ d’application limité (ne couvrant que les entreprises de plus de 500 salariés) et les informations devant être publiées en matière de développement durable restent trop générales. Nous attendons une amélioration sensible de la situation avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation « CSRD » (Corporate Sustainibility Reporting Directive), qui élargira le champ des entreprises couvertes5 et exigera un niveau de détail plus important des informations à publier. Toutefois, l’application effective de ce nouveau texte ne devrait pas intervenir avant 2025 et le problème restera inchangé pour les petites entreprises (qui resteront pour l’essentiel en dehors de son champ) et les entreprises non européennes. Pour ces dernières, se posera également un problème de compétitivité si les banques européennes, au contraire de leurs pairs américains, britanniques ou asiatiques, leur demandent de fournir des informations beaucoup plus détaillées en matière de risque C&E. Les proxies devraient donc encore avoir de beaux jours devant eux ;

– les progrès que les banques ont réalisés au cours des douze derniers mois sont « considérables », comme le reconnaît lui-même Frank Elderson6. Nous pouvons voir dans le graphique ci-dessous, extrait du rapport, que la partie rouge, qui matérialise l’absence totale de pratiques en adéquation avec les attentes prudentielles, s’est très fortement réduite, et ce de manière générale, entre 2021 et 2022. C’est désormais l’ensemble des banques (y compris celles, au nombre de 16, qui n’avaient encore rien mis en place l’an dernier) qui travaillent à une meilleure identification et une meilleure gestion des risques C&E. On remarque toutefois que la dispersion des résultats est très importante entre les banques les plus performantes et celles qui sont le plus en retard.

Bank-by-bank Results of the 2021 et 2022 Supervisory Assessments

$!Les attentes de la BCE face au principe de réalité

La BCE relève que la grande majorité des banques ont désormais défini « l’architecture institutionnelle » pour traiter des risques C&E, en ayant établi une première cartographie de leurs expositions, alloué les responsabilités au sein des organes de direction et des premières et secondes lignes de défense ainsi que défini les premiers indicateurs clés de performance et de risque.

Des bonnes pratiques bienvenues

Concomitamment aux résultats, la BCE a publié les bonnes pratiques qu’elle a pu identifier dans le cadre de la revue thématique. Au total, ce sont 26 bonnes pratiques, issues de 25 établissements bancaires de différentes tailles et avec différents modèles d’affaires, qui sont présentées en détail. Par cette publication, qui permet d’éclairer utilement certaines attentes prudentielles, la BCE entend répondre à une demande de l’industrie. Elle précise que les bonnes pratiques ne sont pas nécessairement réplicables pour toutes les banques, qu’elles auront vocation à être mises à jour et devront être lues en lien avec celles, tirées de l’expérience du stress-test climatique, à paraître d’ici la fin de l’année 2022.

L’impact limité sur le SREP 2022

Dans la mesure où les résultats de la revue thématique ont révélé une très grande disparité de situations, la réaction de la BCE a été graduée. L’ensemble des 107 banques ont reçu une lettre de restitution (feedback letter)7 décrivant les insuffisances identifiées (plus de 25 par banque en moyenne) et précisant les délais dans lesquels il devait y être remédié.

Les insuffisances les plus graves, comme par exemple l’absence d’évaluation de matérialité, ont donné lieu à l’établissement d’une exigence qualitative dans l’évaluation SREP8 2022, qui prend la forme d’une décision de supervision juridiquement contraignante. Plus d’une trentaine d’institutions seraient concernées, soit environ un tiers de l’ensemble des banques sous supervision directe de la BCE.

Enfin, pour seulement deux banques9, les résultats vont avoir un impact sur la notation de l’établissement au titre de l’évaluation annuelle SREP, ce qui va se traduire par une augmentation des exigences de fonds propres additionnels au titre du pilier 2, le « P2R » (Pillar 2 Requirements).

À quelques variations près, selon les circonstances particulières de chacun des établissements, ceux-ci sont soumis à la feuille de route suivante :

– avant fin mars 2023, disposer d’une évaluation de matérialité complète et fiable, y compris une revue exhaustive de l’impact des risques C&E sur l’environnement économique ;

– avant fin 2023, gérer les risques C&E de manière globale en couvrant la stratégie, la gouvernance et l’appétit pour le risque ainsi que la gestion des risques (risques de crédit, opérationnel et de marché) ;

– avant fin 2024, répondre à l’ensemble des attentes prudentielles, y compris la pleine intégration des risques C&E au sein de l’ICAAP et de l’encadrement des tests de résistance.

La BCE sera très attentive au respect de cette feuille de route dans le cadre des prochaines évaluations SREP et, le cas échéant, se réservera le droit d’émettre de nouvelles exigences qualitatives et d’appliquer des exigences additionnelles en fonds propres à un échantillon de banques plus large qu’en 2022.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874
Notes :
1 Investigation conçue et coordonnée par une direction horizontale de la BCE et concernant l’ensemble (ou un échantillon très large) de banques relevant de la supervision directe de la BCE.
2 Il s’agit des différents risques de transition (liés aux évolutions de la réglementation, du sentiment de marché ou des technologies), des risques physiques (inondations/niveau des mers, sécheresse/chaleurs extrêmes, tempêtes/ouragans, stress hydrique) et risques environnementaux (biodiversité et changement d’utilisation de la terre).
3 Pour illustrer la nécessité d’une telle approche, le rapport cite l’exemple des exploitations agricoles qui peuvent, selon les régions, être plus ou moins frappées par la sécheresse. Même au sein d’une même région, certains agriculteurs peuvent avoir réussi à surmonter ces difficultés en ayant recours à des systèmes d’irrigation intelligents ou des cultures plus résistantes.
4 Supervision bancaire de la BCE : évaluation des risques pour 2019, disponible dans la section supervision bancaire du site internet de la BCE.
5 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions d’euros (réalisé en Europe) ou ayant un bilan supérieur ou égal à 20 millions d’euros.
6 ECB Podcast, « Are banks walking the talk on climate? », interview de F. Elderson, 2 novembre 2020.
7 Cette lettre, à l’instar d’une lettre de suite (follow-up letter) envoyée à l’issue d’une mission d’inspection-sur-site, constitue un « acte opérationnel » assorti de recommandations non juridiquement contraignantes.
8 Supervisory Review and Evaluation Process, qui aboutit à l’évaluation annuelle des établissements de crédit.
9 Ce chiffre, qui ne figure pas dans le rapport, est donné par Franck Elderson dans le podcast BCE sus-mentionné.
RB