Les robots sont un vieux fantasme humain. Anges ou démons, ils hantent l’imaginaire de l’homme qui y voit sa propre capacité de création. Le Parlement européen a adopté en février 2017 un rapport recommandant à la Commission européenne d’adopter des règles spécifiques sur les robots en leur attribuant la personne juridique, des droits et même un
En fait, le raisonnement est le suivant : plus un robot est autonome – c’est-à-dire capable de prendre des décisions et de les mettre en pratique sans intervention humaine –, moins il peut être considéré comme un « outil » contrôlé par un tiers (le fabricant, le propriétaire, l’utilisateur, le concepteur…). Autrement dit, plus un robot apprend par lui-même (deep learning), plus il devient autonome, plus il échappe au contrôle d’un tiers. Or de telles machines peuvent être amenées à provoquer des accidents et causer des dommages à des tiers. Se pose alors la question de la responsabilité et de la réparation du préjudice. S’il n’est pas possible de déterminer avec précision qui – concepteur, fabricant, propriétaire ou utilisateur – est responsable du dommage causé par le robot, que faire ? Car il n’est pas moins possible de laisser les victimes à leur triste sort.
Au-delà des aspects financiers
La question dont s’est emparé le Parlement européen est pertinente, mais la réponse proposée est principalement axée sur les aspects financiers : comment réparer les dommages causés par un robot ? Or, décider d’attribuer une personnalité juridique aux robots est d’abord une question anthropologique et philosophique. La question ressemble au débat qui a eu lieu au XIXe siècle lors de la reconnaissance de la personnalité juridique aux groupements et institutions (sociétés, associations…) avec toutefois une différence de taille : les personnes morales sont représentées et dirigées par des êtres humains. Autrement dit, la personnalité juridique est-elle une notion abstraite et distincte de celle de personne humaine ? C’est bien un débat de société dont il s’agit, et la place de l’humain dans celle-ci, au milieu des autres êtres et choses qui l’entourent. À cet égard, le mouvement entamé il y a déjà plusieurs années visant à la reconnaissance de droits aux animaux s’inscrit dans la même logique : celle d’un anthropomorphisme au-delà de l’être humain. Depuis 2015, l’animal est défini dans le Code civil comme un « être vivant doué de sensibilité » (nouvel article 515-14) et n’est plus considéré comme un bien meuble (article 528).
Avant d’attribuer une telle personnalité juridique aux robots, ne convient-il pas d’abord de répondre aux questions suivantes : qu’entend-on par « robot », ou « intelligence » ou encore « autonomie » ? À partir de « quand » une intelligence devient-elle « autonome » ? Et surtout, la question la plus complexe car sans doute sans réponse, un robot peut-il avoir une conscience, une volonté ?
Une distinction nouvelle entre personne et être humain
Pour essayer d’y voir plus clair, revenons aux principes : une personne, c’est d’abord une réalité humaine avant d’être un concept juridique. L’être humain existe en dehors même de son attribution juridique qu’est la personnalité. C’est là un débat entre philosophes et juristes : l’existence comme personne – et non comme homme - relève-t-elle que du seul ordre juridique ou bien de la réalité des
Sujet de droit, personnalité juridique et capacité juridique
Le droit ne reconnaît fondamentalement que deux catégories : les objets de droit (les choses) et les sujets de droit (les personnes). À cet égard, la récente réforme du statut des animaux n’a pas conduit à classer ceux-ci parmi les sujets de droits : ceux-ci continuent d’être qualifiés de biens corporels. Il faut ensuite effectuer une distinction entre sujet de droit, personnalité juridique et capacité juridique. On appelle sujet de droit tout être (pas forcément physique) susceptible d’être titulaire de droits subjectifs et d’obligations. Quant à la personnalité juridique, il s’agit de l’aptitude à être titulaire, de façon active ou passive, de droits subjectifs que le droit objectif reconnaît à chacun. C’est ainsi que le droit reconnaît cette aptitude tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales. Quant à la capacité juridique, elle consiste dans l’aptitude pour une personne à exercer ses droits et obligations.
Si tous les humains sont aujourd’hui des personnes juridiques, il n’en a pas été toujours ainsi lorsque certains humains étaient des esclaves, et donc des choses, des biens, et non des personnes.
Il convient ainsi de distinguer la personnalité juridique et la personne humaine. La personnalité juridique est le lieu d’imputation de droits et d’obligations, alors que la personne humaine est constituée de la personnalité juridique plus le corps physique. Fort de cette distinction, rien n’empêcherait de conférer un statut, voire une personnalité juridique à des robots. En fait, la question de l’attribution de la personnalité juridique comme sujet de droit reflète le passage de l’objectivisme au subjectivisme. L’individu n’est plus seulement destinataire du droit (comme chez les Romains) mais aussi titulaire de droits. Il y a alors jonction entre sujet de droit et personnalité juridique. Appliqués aux robots, ces principes permettent-ils de leur attribuer une personnalité juridique ? Si l’on voit dans celle-ci une capacité d’exprimer une volonté, la réponse est négative ; si on y voit plutôt un intérêt à protéger, la réponse est positive. Si l’on considère que la personnalité juridique n’est qu’une fiction, tout devient possible. Mais peut-on aller encore plus loin et considérer qu’un robot soit doté d’une conscience et, dès lors, qu’il puisse intentionnellement être responsable d’une faute ?
Pour qu'un robot prenne une décision contrevenant à sa programmation (et ce, malgré les lois d’Asimov selon lesquelles un robot ne peut attenter à la sécurité d’un humain et doit obéir à un être humain, sauf en cas de conflit avec le principe précédent), cela revient à considérer qu’il doit se déterminer de façon différente de sa programmation. Autrement dit, qu’il acquiert une « conscience » propre. C’est le passage de l’intelligence artificielle à la conscience artificielle. Nous rentrons ici dans la plus complexe des questions : la « conscience » du robot naît-elle de la seule matière constituant l'ordinateur ?
Définir la personne est avant tout un choix collectif. Élargir la notion de personne comme sujet de droit aux robots relève ainsi d’une décision de société. Le débat est lancé.