Le 18 décembre dernier, les États européens ont trouvé un accord sur une classification des activités économiques dites « vertes » qui distingue celles effectivement neutres en carbone, celles qui permettent une transition en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et celles participant au développement des activités « vertes ». Cette grammaire de la transition énergétique devrait permettre de tenir le principal engagement de l’Accord de Paris, à savoir « rendre les flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Concrètement, cela devrait impacter plus les financements que les investissements, et soutenir le green deal européen.
Côté investissement
Côté investissement, les sociétés cotées de plus de 500 salariés devront communiquer la part de leur chiffre d’affaires qui correspond à des activités « vertes », ainsi que la part de leurs investissements qui participent de la transition, de façon à permettre aux investisseurs de déterminer la part de revenus issus d’activités « durables » qu’ils financent. Mais aujourd’hui, les entreprises ont déjà beaucoup de mal à rendre compte de tous leurs impacts environnementaux et sociaux ainsi que de leur gouvernance (critères dits ESG), c’est-à-dire à recueillir et compiler des données, généralement non monétaires, liées directement ou indirectement à leurs activités. Ne sachant pas à quel ensemble de conventions et de règles se vouer, certaines restent fidèles au référentiel de l’ISO
Des méthodologies très diverses
On est loin de la coupe aux lèvres, car une fois les informations extrafinancières rassemblées, ces dernières sont retraitées tant par les agences de notations extrafinancières, que par les labels ISR et les gestionnaires de fonds, ce qui fait dire à certains que la RSE a été préemptée par une poignée d’opérateurs privés, « assis sur leur boîte noire comme des pirates sur un coffre au trésor »
Les méthodologies utilisées par les labels et les gestionnaires de fonds dits « responsables » sont également foisonnantes. Certains ont une stratégie purement défensive et n’investissent que dans des entreprises dont les pratiques sont compatibles avec leurs valeurs ou celles de leurs clients, ou cherchent avant tout à se prémunir des risques ESG qui menacent les entreprises de leur portefeuille. D’autres ont une approche plus offensive, et cherchent d’abord à identifier les opportunités de croissance des entreprises ou des secteurs d'activité qui s'adaptent ou anticipent les nouvelles attentes des clients ou les nouvelles contraintes économiques. Dans un cas, on parle d’exclusion et dans l’autre de sélection, sachant que la plupart des acteurs combinent les deux approches. Quoi qu’il en soit, le résultat ne satisfait pas les étudiants portant le « manifeste pour un réveil écologique », qui dénoncent le fait que les fonds supposément responsables continuent de financer les énergies fossiles et restent à 90 % basés sur le même univers d’investissement. À titre d’exemple, le label ISR, institué et soutenu depuis 2016 par les Pouvoirs Publics français, n’est attribué qu’aux fonds qui intègrent des critères ESG dans la notation de plus de 90 % des émetteurs et qui réduisent en conséquence d'au moins 20 % leur univers d’investissement, ou dont la notation ESG moyenne est meilleure que celle de leur univers de départ. La taxonomie n’aura donc d’impact que sur les seuls fonds thématiques environnementaux (15 % du marché français de l’ISR) et les labels dédiés à la transition énergétique.
Vers un cadre normé pour les notations extrafinancières ?
Parce que les approches des uns et des autres restent « propriétaires », en janvier 2019, le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a demandé à l'Autorité des normes comptables (ANC) d’apporter un cadre aux différentes pratiques existantes en matière de notation extrafinancière. Pour mettre à la disposition de toutes les parties prenantes des entreprises une information extrafinancière de qualité, l’ANC
Mais combien de critères permettent de rendre compte de la responsabilité sociétale d’une entreprise : 21 comme sur la plateforme Ecovadis, 42 comme dans feu l’article 225 de la loi Grenelle II, ou 100 comme dans la PPL de Dominique Potier ? Ces facteurs de risques doivent-ils être équitablement répartis et pondérés entre les 3 piliers E, S et G, ou divisés en 10 catégories (environnement, climat, biodiversité, ressources humaines, conditions de travail, droits humains, éthique des affaires, parties prenantes, communautés, gouvernance) ? Doivent-ils être standards ou adaptés à chaque secteur, voire à chaque entreprise en fonction de sa « matrice de matérialité »
Côté financement
Si la taxonomie européenne n’est pas en mesure de trancher le nœud gordien de l’investissement responsable, elle peut par contre aligner les financements sur un scénario 2°, en servant d’une part de référentiel aux émissions d’obligations vertes, et d’autre part de cadre au Green Supporting Factor (GSF), un dispositif prudentiel qui pourrait inciter les banques à prêter aux activités « vertes », via une réduction de charge en capital. Ce dispositif, proposé dès 2016 par la Fédération bancaire française, est toujours à l’étude, alors même que les banques centrales regroupées dans le NGFS
La traduction de l’exposition climatique en risque de crédit
D’aucuns craignent que l'application d'un GSF dispense les banques de leur prudence habituelle en matière de gestion des risques, lorsque de « bons » investissements verts seront impliqués. Mais, de la même manière qu'un gestionnaire d'actifs différencie l’allocation d'actifs et la sélection des titres, un banquier différencie les comités de stratégie de portefeuille, où les actifs sont pondérés en fonction des risques et répartis entre les lignes-métiers, et les comités de risque de crédit, où les décisions de financement sont prises au sein d’un métier. Les responsables de ces comités ne donnent pas d’accords en fonction d'avantages extrinsèques (impôts, charges de capital, garanties, covenants…), mais après étude des forces, faiblesses, opportunités et menaces intrinsèques de l'emprunteur. Il y a même un dicton bancaire qui pose que « sûretés traquées = crédit détraqué ».
D’autres questionnent le fait de savoir si les actifs verts sont moins risqués que les autres, dans la mesure où l’on manque de données historiques pour en apporter la preuve. Mais, si la transition énergétique en cours est d’une ampleur sans précédent, la traduction de l'exposition climatique en risque de crédit peut-elle se faire à l'aide de modèles basés sur des données historiques ? Quoi qu'il en soit, on constate d’ores et déjà que certaines banques ont introduit soit un facteur de pondération vert (GWF
« Sortir du cadre »
Comme le changement climatique est un évènement sans précédent, il faut savoir « sortir du cadre » et se comporter comme William Webb Ellis, le prétendu inventeur du rugby, quand, selon la légende, il a ramassé le ballon et a couru avec, lors d'un match de football scolaire en 1823. Si nous voulons financer avec succès la transition énergétique, nous avons besoin de nouvelles règles, et la taxonomie européenne comme le GSF en font partie. En 1974, face à la crise de l'énergie, le gouverneur de la Banque de France n'a pas hésité à favoriser les crédits bancaires aux économies d'énergie, en leur accordant une « dérogation exceptionnelle sur les réserves obligatoires ». O tempora, o mores ?