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Norme IFRS 9 – Instruments financiers : enjeux stratégiques et organisationnels

Créé le

21.01.2016

-

Mis à jour le

17.02.2016

Le 24 juillet 2014, l'International Accounting Standards Board (IASB) a achevé le dernier élément de sa réponse globale à la crise financière, publiant la version finale de la norme « IFRS 9 – Instruments financiers », en remplacement de la norme « IAS 39 – Instruments financiers : comptabilisation et évaluation ». La mise en œuvre de cette norme ne se limite pas à un exercice comptable, mais recèle des enjeux en termes de coûts, d’organisation des SI et de business model.

L’IASB a achevé sa réponse globale à la crise financière il y a plus d’un an en publiant la version finale de la norme IFRS 9 – Instruments financiers qui vise à résoudre les difficultés liées à IAS 39, parmi lesquelles :

  • l’approche « Fair Value – Juste Valeur », qui permet la prise en compte de la valeur de marché lors de la valorisation des instruments financiers. En période de crise, ce principe impose la dépréciation immédiate dans le compte de résultat des pertes latentes. L’approche Fair Value qui induit volatilité du résultat et potentiellement procyclicité n’est pas pour autant remise en cause. La norme vise à rendre plus lisible la classification, limiter les arbitrages opportunistes entre classes d’actifs et mettre en adéquation l’évolution du risque de crédit avec la dynamique de provisionnement (jugée insuffisante et trop tardive) ;
  • l’absence de référentiel au business model de l’entreprise.
La norme en cours d’adoption par l’Union européenne devra être mise en application au 1 er janvier 2018. Elle regroupe les trois phases qui ont constitué le projet : « Classification et évaluation », « Dépréciation » et « Comptabilité de couverture » [1] . Le champ d’application d’IFRS ​9 est semblable à celui d’IAS 39 : il concerne toutes les entités et tout type d’instrument financier (hors exceptions citées dans IAS 39 et le cas des droits et obligations résultant d’IFRS 15).

Deux phases dans le projet

Phase 1 – Une nouvelle méthodologie de classification et évaluation des actifs financiers

La classification détermine la façon dont les actifs sont comptabilisés dans les états financiers ainsi que leur évaluation continue. Les points clés introduits par la norme sont :

  • la réduction du nombre de catégories d’actifs : trois au lieu des quatre proposées par IAS ​39 (coût amorti, juste valeur par capitaux propres et juste valeur par résultat, qui devient la catégorie par défaut) ;
  • ​la classification selon deux critères : le modèle économique et les caractéristiques des flux de trésorerie des actifs financiers considérés ;
  • ​la nécessité pour les établissements financiers d’élaborer dorénavant un diagnostic comptable de leur portefeuille plus poussé.
Ainsi, la principale amélioration apportée par la norme IFRS 9 sur ce volet concerne l’homogénéisation de la classification et de l’évaluation des actifs financiers.

Phase 2 – Une nouvelle approche de provisionnement impactante

Le second volet de la mise en œuvre de la norme concerne les prêts, les engagements hors bilan (notamment les garanties) et les titres de dettes. IFRS 9 substitue au modèle de perte encourue d’IAS 39 un modèle unique de dépréciation, prospectif, fondé sur les « pertes attendues ». Elle introduit également de nouveaux concepts tels que :

  • l’ECL (Expected Credit Loss) basée sur une PD et une LGD [2] « Point in Time », par opposition à l’EL (Expected Loss) bâloise « Through the cycle » ;
  • l’intégration du concept de « Forward looking data », qui réclame d’intégrer des données prospectives pour apprécier les paramètres de défaut ;
  • la prise en compte d’une dégradation significative du risque de crédit (passage du « Bucket 1 – sains non sensibles » au « Bucket 2 – sensibles ») durant toute la vie du contrat.
La norme IFRS 9 introduit ainsi une transformation radicale via la mise en place d’un modèle unique et prospectif dès la création du contrat (voir Schéma 1).

Les premiers impacts identifiés suite à la mise en œuvre de la norme

Les impacts engendrés par la réévaluation des actifs financiers

La simplification proposée par le volet comptable exige de nombreuses reclassifications d'actifs. L’ampleur des impacts variera selon la nature des instruments financiers détenus ou des choix exercés. Les méthodes d’évaluations retenues influenceront notamment la volatilité du compte de résultat, ou encore le niveau de la réserve de liquidité (High Quality Liquid Asset).

Les impacts suite à la mise en œuvre d’un modèle de provisionnement prospectif

Le dispositif de provisionnement basé sur une PD et une LGD converge vers les modèles bâlois, mais il conserve de fortes spécificités (prise en compte de l’amortissement dans l’EAD, retrait des marges de prudence « downturn », « Forward looking »/« Through the cycle »). Dès lors, deux options s’offrent aux établissements : favoriser la cohérence Risques/Finance en utilisant le modèle IRB et en l’adaptant aux contraintes IFRS9 ou construire un dispositif dédié non contraint par les aspects prudentiels. On a pu, dans un premier temps, envisager de concevoir des dispositifs spécifiques, avec pour ambition de les faire converger une fois la norme mieux établie. Toutefois le recours à plusieurs définitions (norme IFRS9, normes prudentielles) pour des indicateurs de même nature (EAD [3] , PD, et LGD) implique de maîtriser les causes de divergences. Les difficultés sont encore plus grandes pour les banques en approche standard n’ayant pas développé de modèles bâlois. Sur ce périmètre, des échanges sont en cours avec le régulateur. À terme, la mise en place d’IFRS9 devrait nécessiter un recalibrage du dispositif bâlois.

Par ailleurs, la notion de « détérioration significative » doit s’appuyer uniquement sur les indicateurs opérationnels de risques (notation Corporate, pool Retail) qui devront être mis en cohérence au sein des différents services utilisateurs (équipes modèles, comptabilité, recouvrement, contentieux…)

Une utilisation renforcée dans le cadre du provisionnement impactera les processus de gestion de la notation et de suivi des dossiers (comités watchlist, par exemple). Il faudra par ailleurs gérer l’adhérence avec d’autres exigences réglementaires, telles que l’insertion des notions « Non-performing Exposure » ou « Forbearance ».

Après la première application, comme le souligne Sébastien Rérolle, en charge du projet Impairment au sein des Risques chez BNP Paribas, la variation des provisions sera attribuable à deux sources distinctes:

  • d’une part, à la variation de l’EL qui pourra néanmoins être anticipée puisqu’elle doit être en ligne avec les projections réalisées par le management ;
  • d’autre part, à la détérioration du risque de crédit dont l’impact sur la volatilité des provisions reste difficile à estimer en l’absence de recul sur ce nouveau concept.

Les impacts organisationnels

Bien que la norme publiée par l’IASB soit « comptable », elle induit des évolutions au niveau de l’organisation des établissements en impliquant à la fois les fonctions Risques et Finance (coordination des processus de production des reportings comptables et réglementaires, révision des contrôles existants, etc. – voir Schéma 2).

Les enjeux à venir pour les établissements financiers

Les enjeux économiques…

Afin d’ajuster l’ampleur du projet aux effets potentiels induits, les établissements se sont lancés dans des exercices de simulation intensifs. Tout en respectant les jalons fixés par le régulateur, l’objet est de définir au mieux les périmètres et les méthodes à mettre en place, ainsi que l’impact associé en termes de provisionnement. L’estimation du coût de mise en œuvre doit prendre en compte le fait que de nouveaux processus et contrôles seront requis, des modèles inédits déployés et potentiellement de nouvelles données collectées. Il convient enfin que budgets évaluent les ressources nécessaires sur toute la durée de vie du projet (3 ans en moyenne).

Les enjeux systèmes et données…

La question de la donnée, de son exhaustivité, de sa qualité, de son historique, de son délai de production et d’analyse est un enjeur majeur. Toutes les données requises ne sont pas disponibles de manière systématique dans les systèmes (i. e. échéanciers, taux d’intérêt effectif, notation à l’origine et à date de reporting…). L’application de cette norme, par la convergence de certains processus Risque/Finance qu’elle induit, repose la question de la mise en œuvre d’un SI mutualisé réduisant d’autant les incohérences potentielles entre les univers risques, prudentiel et comptable et permettant de s’aligner avec les exigences réglementaires sur la qualité des données telles que le BCBS 239 [4] . Ainsi, on observe d’ores et déjà une accélération de chantiers tels que la mise en place de référentiels communs ou encore la redéfinition des rôles et responsabilités au niveau de la donnée.

Les enjeux métier/business model

La norme engendrera directement ou indirectement des évolutions au sein du business model de chaque établissement par son impact sur le montant des provisions et donc la charge du risque et le besoin en capital. Les simulations en cours doivent éclairer les établissements sur ces impacts par métier et ainsi permettre d’identifier les zones de forces et de faiblesses avant de faire évoluer leur portefeuille le cas échéant (e. i. cessions d’actifs, restructurations, etc.). On anticipe que certains secteurs tels que le financement des PME devraient concentrer ces effets et seront potentiellement pénalisés. Un autre enjeu consistera à gérer la communication financière et les divergences de normes à l’échelle internationale.

Conclusion

La mise en œuvre d’IFRS 9 n’est pas qu’un exercice comptable et se révèle être structurante pour l’ensemble des métiers. pour se préparer aux bouleversements qu’elle implique, il est indispensable de démarrer le projet d’implémentation par une phase d’analyse de la norme au regard des impacts. Dans un contexte où la mise en qualité des données et la robustesse des architectures système des directions Finance et Risques sont au cœur des préoccupations, la contrainte réglementaire de mise place de la norme IFRS 9 peut constituer une opportunité d’accélérer le déploiement de systèmes communs, supportant les processus partagés par les deux fonctions.

 

1 Cet article n’aborde pas le volet dédié à la comptabilité de couverture, celui-ci n’étant pas encore stabilisé (la macrocouverture fait l’objet d’un projet dédié au niveau de l’IASB).
2 Probability of Default ; Loss Given Default.
3 Exposure at Default.
4 Règle 239  du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire publiée le 9 janvier 2013 constituée de 14 principes (dont 11 pour les institutions bancaires et 3 pour les régulateurs) pour renforcer la capacité des banques à agréger les données risques et à améliorer les pratiques de reporting.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº793
Notes :
1 Cet article n’aborde pas le volet dédié à la comptabilité de couverture, celui-ci n’étant pas encore stabilisé (la macrocouverture fait l’objet d’un projet dédié au niveau de l’IASB).
2 Probability of Default ; Loss Given Default.
3 Exposure at Default.
4 Règle 239  du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire publiée le 9 janvier 2013 constituée de 14 principes (dont 11 pour les institutions bancaires et 3 pour les régulateurs) pour renforcer la capacité des banques à agréger les données risques et à améliorer les pratiques de reporting.
RB