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Éditorial

Le spectre de l’arbitrage en matière bancaire et financière

Créé le

08.04.2019

-

Mis à jour le

03.07.2019

On apprend par un journal du soir (Le Monde du 5 mars 2019) que l’arbitrage est quasi général aux États-Unis dans un grand nombre d’entreprises, en particulier les banques, les opérateurs de téléphonie, les grandes plates-formes (Uber), Google et bien d’autres sociétés, non seulement pour leurs opérations et litiges propres, mais de manière générale pour leurs relations avec leurs clients de détail et leurs salariés. Il s’agit d’un arbitrage forcé, prévu par la loi. Ainsi, depuis 2000, le pourcentage de salariés concernés a plus que doublé et 56 % des salariés ne peuvent pas poursuivre leur employeur autrement que par l’arbitrage, proportion qui dépasse 65 % dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Pour les sociétés, l’arbitrage s’avère très favorable : les salariés ne remportent que 20 % des procédures contre 36 % devant les tribunaux, et le montant des dommages et intérêts est en moyenne quatre fois inférieur ; pour les consommateurs, seulement 9 % procédures ont une issue favorable. Sans doute également beaucoup n’y recourent-ils pas car le coût en est probablement dissuasif pour nombre de salariés et de clients. S’y ajoute en général une clause de confidentialité, qui met la réputation de l’entreprise à l’abri de toute atteinte et surtout d’un risque de propagation si l’affaire relève d’un problème de masse. Cette situation commence à être dénoncée ; ainsi, les démocrates tentent-ils de faire modifier la loi après que des employés de Google ont réussi à faire plier la direction, mais le combat n’est pas gagné car, outre l’incertitude politique, les lobbies s’agitent activement pour entraver le vote, argumentant principalement que s’y substitueraient des actions de groupe qui n’enrichiraient que les avocats.

Qu’en est-il en France ? De prime abord, salariés et consommateurs sont relativement à l’abri. La loi n’impose évidemment pas le recours à l’arbitrage. Plus encore, loi et jurisprudence y mettent des conditions. En droit du travail, si le compromis d’arbitrage est possible une fois le litige né, c’est-à-dire s’il a été conclu postérieurement à la rupture du contrat, la clause compromissoire n’est admise, implicitement, que parce que le salarié peut s’opposer à sa mise en œuvre le moment venu (Soc., 30 novembre 2011, n° 11-12905 et 11-12906). Le consommateur est également protégé, car l’article R. 212-2 du Code de la consommation classe la clause compromissoire en matière de consommation dans les clauses grises, c’est-à-dire dans celles dont le professionnel doit prouver qu’elles ne sont pas abusives. Le risque de l’introduction systématique d’une clause compromissoire dans les contrats de consommation reste donc très limité, plus encore dans les contrats de travail. Néanmoins, la généralisation de l’arbitrage par la loi du 18 novembre 2016 (article 2061 du Code civil) recèle un risque : si la partie faible peut refuser la naissance de l’arbitrage le jour venu, rien ne dit qu’elle saura pouvoir s’y opposer. Et l’on peut admettre que le texte général s’applique en complément du texte du Code de la consommation, faute d’incompatibilité entre eux.

Les banques françaises sont très réservées à l’égard de l’arbitrage dans l’espace interne. Elles le sont par principe, ce que démontre l’échec des tentatives d’institutionnalisation d’un arbitrage bancaire et financier. Elles préfèrent manifestement s’adresser aux juridictions étatiques auxquelles elles sont habituées. De manière générale, au moment où l’on demande aux entreprises de prendre en compte de plus en plus d’intérêts généraux et, en particulier, d’avoir un comportement responsable socialement, il est très improbable qu’elles envisagent d’introduire des clauses compromissoires dans les contrats avec leurs salariés et/ou clients. La sociologie et la psychologie françaises et l’environnement politique n’y seraient probablement pas favorables. Et la réputation de l’arbitrage, malheureusement terni par une affaire emblématique, n’y pousse pas.

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À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº184
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