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Quel est le point de départ
du délai de prescription de l’action
en responsabilité du banquier
pour manquement à son devoir
de mise en garde ?

Créé le

12.02.2024

Le délai de prescription de l’action en responsabilité
du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde, s’agissant d’un prêt amortissable, commence à courir,
non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face.

La question du point de départ de l’action en responsabilité du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde a donné lieu ces dernières années à une jurisprudence abondante et évolutive. Le bilan qui peut en être tiré est que cette action, qui se prescrit par 5 ans sur le double fondement des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. Il en résulte que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. En matière de devoir de mise en garde, la détermination du point de départ de la prescription dépend de la conception que l’on retient du préjudice subi par l’emprunteur. Sans le dire expressément, la première chambre civile de la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’une perte de chance d’éviter un risque, ce qui l’a conduite, dès 2009, à fixer le point de départ de la prescription « au jour du premier incident de paiement permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un manquement de l’établissement de crédit à son devoir de mise en garde »1. De son côté, la chambre commerciale a d’abord analysé le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son devoir de mise en garde en une perte de chance de ne pas contracter. Fort logiquement, elle en a déduit que le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de conclusion du crédit, sauf ignorance légitime2. Puis, la chambre commerciale a remis en cause cette analyse en présence de prêts in fine. Redéfinissant le préjudice en une perte de chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la chambre commerciale de la Cour de cassation a déplacé le point de départ de la prescription à la date de la réalisation du dommage, c’est-à-dire à la date du terme du prêt3 et, ultérieurement, à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face4. Rendue dans des espèces relatives aux prêts in fine, la question s’est posée de savoir si la solution pouvait également valoir pour les prêts amortissables5. La formulation générale de l’arrêt du 25 janvier 2023 semblait le laisser entendre, et l’arrêt rendu le 8 novembre 2023 le confirme clairement.

Bénéficiaire d’un prêt destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier, un emprunteur a assigné en responsabilité la banque qui le lui avait consenti pour manquement à son obligation de mise en garde lors de l’octroi de ce prêt. Pour déclarer prescrite l’action en responsabilité de l’emprunteur, la Cour d’appel énonce que « le préjudice né du manquement de l’établissement de crédit à son obligation, qui s’analyse en une perte de chance de ne pas contracter, est censé, s’agissant des prêts amortissables, survenir à la date de conclusion du contrat, de sorte que c’est à cette date que la prescription commence à courir, sauf à ce que l’emprunteur prouve qu’il ne pouvait légitimement ignorer la prise de risque qu’il prétend disproportionnée ». Au visa combiné des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, la Cour de cassation rappelle, au contraire, que « le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n‘est pas en mesure de faire face ». La Cour de cassation censure ainsi l’arrêt de la Cour d’appel pour ne pas avoir recherché la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’était pas en mesure de faire face, qui constituait le point de départ de la prescription de son action en responsabilité contre la banque.

En définitive, peu importe que le prêt soit amortissable ou in fine, cette distinction n’ayant a priori pas d’impact sur la détermination du point de départ de la prescription de l’action en réparation du préjudice né d’un manquement au devoir de mise en garde, qui est donc unique6. Cette nouvelle décision marque la volonté de la Cour de cassation d’uniformiser sa jurisprudence par faveur pour l’emprunteur. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08- 10.820 : Juris-Data n° 2009-049065 ; JCP G 2009, act. 154, obs. L. Dumoulin ; Banque et Droit n° 128, 2009, p. 37, obs. Th. Bonneau ; RTD com. 2009, p. 794, obs. D. Legeais - Cass. 1re civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-17325 et n° 20-18893 et Cass. 1re civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 20-22626, Banque et Droit n° 202, mai-juin 2022, p. 15, note Th. Bonneau ; Cass. 1re civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-17325, JCP E 2022, 1243, note A. El Mejri.
2 Cass. com. 26 janvier 2010, Banque et Droit n°131, mai-juin 2010, 21, obs. Th. Bonneau ; JCP E 2010, 1153, note D. Legeais ; JCP G 2010, 354, note A. Gourio ; D. 2010, p. 578, note V. Avena-Robardet ; D. 2010, p. 934, note J. Lasserre-Capdeville – Cass. com. 3 décembre 2013, pourvoi n° 12.26934, arrêt n° 1170 : Juris-Data n° 2013-027918 et Cass. com. 25 octobre 2017, pourvoi n° 16-15116, arrêt n°1301, Juris-Data 2017-021363, décisions citées par Th. Bonneau, Banque et Droit, mai-juin 2022, p. 15.
3 Cass. com. 13 février 2019, pourvoi n° 17-14785 et Cass. com. 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22668, arrêt n° 241, Banque et Droit n° 185, mai-juin 2019, p. 22 et p. 23, notes Th. Bonneau.
4 Cass. com. 22 janvier 2020, n° 17-20.819, JCP E 2020, 1256, note A. Salguerio, Banque et Droit n° 190, 2020, p. 22, note Th. Bonneau ; RDBFin. 2020, comm. 22, obs. T. Samin et S. Torck – Cass. com. 25 janvier 2023, pourvoi n° 20-12811, Banque et Droit n° 209, mai-juin 2023, p. 23, note C. Coupet ; JCP E 2023, Act. 279, note Th. Bonneau ; JCP G 2023, 1052, note D. Legeais.
5 J. Lasserre-Capdeville, « Le banquier dispensateur de crédit et le devoir de mise en garde », RDBFin. 2023, N°1, dossier 3, p.1.
6 Th. Bonneau, op. cit., note sous Cass. com. 25 janvier 2023.
RB