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L’arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2023 relatif aux exceptions au régime du démarchage bancaire
et financier est-il salutaire
pour les entreprises de pays tiers ?

Créé le

29.03.2024

Dans le cadre de la procédure pénale menée contre une grande banque suisse et sa filiale française, la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 novembre 2023, autorise, contrairement aux juges du fond, les entreprises de pays tiers à se prévaloir
des exceptions aux règles du démarchage bancaire et financier prévues par l’article L. 341-2 du Code monétaire et financier. Cette décision a-t-elle
les mêmes répercussions en matière de monopole qu’en matière de démarchage ?

Ce n’est un secret pour personne : la législation française sur le démarchage se traduit, pour les établissements bancaires et financiers de pays tiers1, par une interdiction de principe de démarcher sur le territoire français2. En effet, seuls les prestataires de services bancaires, de paiement et d’investissement français agréés et européens passeportés sont habilités à se livrer à une activité de démarchage bancaire et financier en France (art. L. 341-3 du Code monétaire et financier – CMF)3, dès lors qu’ils respectent le dispositif mis en place par le régime du démarchage, notamment certaines règles de bonne conduite (art. L. 341-11 et s. du CMF).

En dépit de cette interdiction de principe, les banques étrangères disposent classiquement de trois possibilités afin de solliciter une clientèle française : d’une part, elles peuvent démarcher tout client qui s’est spontanément déplacé à l’étranger dans le pays où elles sont établies (il s’agit là de la conséquence logique de la territorialité du régime du démarchage)4 ; d’autre part, elles peuvent répondre à toute demande d’information ou à toute question portant sur leurs produits et services provenant d’un client qui les a contactées à distance depuis la France (art. L. 341-1, al. 1, du CMF) ; enfin, lorsque la qualité du client exclut le risque d’investissements irréfléchis, elles bénéficient5 d’un certain nombre d’exceptions à l’interdiction qui leur est faite de démarcher en France (art. L. 341-2 du CMF).

C’est précisément sur cette troisième possibilité que la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à se prononcer dans son arrêt du 15 novembre 2023 qu’elle a pris le soin de publier au Bulletin6. Elle a ainsi jugé, contrairement aux juridictions du fond, que les banques étrangères sont effectivement autorisées à recourir aux exceptions prévues par l’article L. 341-2. Après avoir examiné ces décisions successives (I.), il conviendra d’analyser les implications de l’arrêt de 2023 tant sur le régime du démarchage que sur celui des monopoles des prestataires de services bancaires, de paiement et d’investissement (II.).

L’article L.341-2 du CMF prévoit que « les règles concernant le démarchage bancaire ou financier ne s’appliquent pas » à onze situations qu’il décrit dans le détail7.

Ce texte ne précise pas que ces exceptions bénéficient aux banques étrangères ; mais il ne dit pas non plus qu’elles ne peuvent pas en bénéficier. C’est la raison pour laquelle, en pratique, ces dernières se prévalaient des exemptions prévues par cet article, sans que cela ne donne lieu à débat jusqu’à ce que, dans le cadre de la procédure pénale menée par les autorités françaises contre une grande banque suisse et sa filiale française, les juges du fond, corrigés par la Cour de cassation, se livrent à une interprétation contra legem de cette disposition.

Ces juridictions ont décidé que les banques étrangères ne peuvent bénéficier des exceptions à l’interdiction qui leur est faite de démarcher en France.

Ainsi, le Tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 20 février 20198 a jugé qu’« il est inutile, en ce qui concerne [la banque suisse], de se livrer à l’examen des situations non soumises aux règles concernant le démarchage bancaire ou financier (article L. 341-2 du CMF) puisque toute activité de démarchage lui est interdite ». Il est difficile de comprendre les raisons pour lesquelles l’interdiction qui est faite aux banques étrangères de démarcher sur le territoire français aurait pour corollaire une interdiction pour celles-ci de bénéficier des situations dans lesquelles le droit français considère que les règles du démarchage ne s’appliquent pas !

Contre toute attente, la Cour d’appel de Paris a, dans son arrêt du 13 décembre 20219, confirmé ce point de vue tout en tentant de l’expliquer : « l’article L. 341-2 du code monétaire et financier ne prévoit pas d’exceptions aux situations de démarchage illicite mais des exceptions aux règles [de bonne conduite] applicables au démarchage bancaire et financier ». Là encore, cette motivation est infondée : pourquoi l’article L. 341-2 déclarerait-il, de manière restrictive, comme étant non applicables les seules règles de bonne conduite devant être respectées par une banque agréée et non pas plus généralement tout le régime du démarchage, que la banque soit agréée ou non ?

Les décisions de première instance et d’appel contredisant l’article L. 341-2 du CMF, la chambre criminelle, dans son arrêt du 15 novembre 2023, a nettement manifesté son désaccord avec elles en rappelant l’évidence, telle qu’elle résulte des termes parfaitement clairs du texte :

« C’est à tort que la cour d’appel a écarté l’application des dispositions de l’article L. 341-2 du code monétaire et financier au motif qu’elle constatait que la [banque suisse] n’était pas habilitée à démarcher sur le territoire national.

En effet, si l’article L. 341-1 du code monétaire et financier définit les comportements constitutifs d’actes de démarchage bancaire ou financier, l’article L. 341-2 dudit code décrit les cas particuliers dans lesquels, bien que soit accompli un acte de démarchage tel que défini par l’article L. 341-1, les règles concernant le démarchage bancaire ou financier ne s’appliquent pas.

Il s’en déduit que l’article L. 341-3 du code monétaire et financier, qui autorise les personnes qu’il énumère à se livrer à l’activité de démarchage bancaire ou financier, cesse d’être applicable si l’acte de démarchage auquel il est procédé relève des situations spécifiques de l’article L. 341-2 dudit code.

En conséquence, lorsque l’activité de démarchage entre dans les prévisions de l’un des cas d’exclusion exposés à l’article L. 341-2 du code monétaire et financier, toute personne, même non habilitée, peut y recourir. »

La Cour de cassation applique10, de manière cohérente et rationnelle, l’article L. 341-2 en autorisant sans la moindre ambiguïté les banques étrangères, en dépit de leur absence d’agrément par l’ACPR, à se prévaloir des exemptions à l’interdiction qui leur est faite de démarcher en France. Cet article rend donc bien inapplicable, dans le cadre de ces exemptions, l’ensemble du régime du démarchage, que la banque soit ou non française. À cet égard, l’arrêt relève que les agissements décrits par le texte constituent en réalité des actes de démarchage mais que le démarcheur bénéficie d’une exemption11 – à la différence de la reverse solicitation relevant de l’article L. 341-1, al. 1, du CMF, où la réponse faite à distance depuis l’étranger à la demande ou la question d’un client présent en France ne constitue pas un cas d’exemption (ce n’est tout simplement pas une situation de démarchage12).

Soulignons que le démarchage par une personne non habilitée est avant tout une infraction pénale sanctionnée par l’article L. 353-2 du CMF et que la Cour se fonde ici sur le principe de la légalité criminelle et son corollaire, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale13 qui prohibe toute interprétation arbitraire et déformante de celle-ci. En effet, le juge pénal ne saurait s’écarter d’un texte dont le sens est clair.

Cela signifie-t-il pour autant que la Cour a entrouvert, au travers de ces exceptions, les portes du marché français aux banques étrangères ? Une réponse nuancée doit être apportée à cette question.

Si la chambre criminelle autorise les banques étrangères à invoquer les exceptions prévues par l’article L. 341-2 du CMF, il n’en demeure pas moins que ces dernières doivent prendre garde de respecter le régime des monopoles des prestataires de services bancaires, de paiement et d’investissement.

Les banques étrangères pourront désormais profiter des exonérations prévues à l’article L. 341-214. Ainsi, elles peuvent démarcher en France ou à distance depuis l’étranger :

– des clients professionnels par nature15 ou sur demande et des contreparties éligibles au sens de la directive MIF 2 ;

– des sociétés « économiquement importantes », c’est-à-dire dont le total du bilan dépasse 5 M€, le chiffre d’affaires ou les recettes 5 M€, le montant des actifs gérés 5 M€, ou dont les effectifs sont supérieurs à 50 personnes16;

– des sociétés dans leurs locaux professionnels si elles en ont fait la demande ;

– des sociétés afin de leur proposer des opérations de haut de bilan17 ; ou

– des clients existants, si l’opération proposée correspond, à raison de ses caractéristiques, des risques ou des montants en cause, à des opérations habituellement réalisées par ceux-ci.

Une attention particulière doit être portée à l’article L. 341-2, 11e alinéa qui précise que les règles du démarchage ne s’appliquent pas « à la diffusion auprès des personnes physiques ou morales d’une simple information publicitaire, à l’exclusion de tout document contractuel ou précontractuel, quel que soit le support ». Cette exemption en matière de publicité est curieuse. En effet, tous les autres cas visés par le texte portent sur des cas de démarchage proprement dit pour lesquels les règles du CMF sont écartées. La publicité quant à elle ne saurait être qualifiée d’exception au démarchage puisqu’il s’agit là de deux notions distinctes, soumises donc à des régimes différents. Ainsi, à la différence du démarchage, la diffusion de publicités ne vise pas à recueillir l’accord d’un client déterminé sur une opération donnée mais simplement à informer, de manière générale et indifférenciée, le public sur différents produits ou services. Soulignons qu’en raison de cette « maladresse » législative18, les banques étrangères étaient jusqu’ici privées de la possibilité de se livrer à des actions publicitaires en France, ce qui est contestable, surtout pour de la publicité générique. Louons la Cour de leur avoir rendu cette faculté.

Sa décision doit néanmoins être mise en perspective avec les règles des monopoles.

L’arrêt de la Cour de cassation ne concerne que le régime du démarchage. Il ne porte pas sur celui des monopoles, lesquels se traduisent en France par une interdiction d’exercice19 pour les banques étrangères20. Ces deux régimes sont autonomes et soumis chacun à des règles qui leur sont propres. Si le recours aux exceptions de l’article L. 341-2 est donc permis en matière de démarchage, il ne doit pas donner lieu à une transgression des monopoles. Cela résulte de l’article L. 341-1 du CMF : « l’activité de démarchage bancaire ou financier est exercée sans préjudice de l’application des dispositions particulières relatives à la prestation de services d’investissement, à la réalisation d’opérations de banque et de services de paiement ».

Ainsi, les exemptions en matière de démarchage n’en sont pas en matière de monopoles. Pire encore, le recours à celles-ci pourrait donner lieu à une violation de ces derniers.

À cet égard, la jurisprudence retient en matière monopolistique deux critères « primaires » qui permettent à eux seuls de localiser l’activité d’une banque étrangère sur le territoire français en violation des monopoles. Il s’agit du critère de la formation du contrat et de celui de son exécution. Cependant, elle n’a jamais décidé que l’absence de ces critères en France suffit à faire échapper l’activité d’une telle banque au régime des monopoles. Ainsi, elle fait parfois référence à des critères « secondaires » qui ne permettent pas, pris isolément, de localiser une activité en France, mais que les juges peuvent retenir pour renforcer une localisation au titre des critères primaires. Ces critères, qui correspondent à des éléments qui se situent à la périphérie du service monopolistique, pourraient, s’ils sont présents de manière prépondérante sur le territoire français, créer une localisation. C’est la méthode du faisceau d’indices : plus ces éléments sont présents en France, plus le risque de violation des monopoles existe21.

Les exceptions au régime du démarchage sont, à l’évidence, des critères secondaires puisqu’elles constituent un point d’entrée vers les services monopolistiques. Ainsi, le recours trop fréquent par une banque étrangère à celles-ci pourrait être apprécié comme contrevenant aux monopoles. Cela est particulièrement vrai lors de visites de conseillers de clientèle étrangers sur le territoire français (lesquelles constituent déjà en elles-mêmes un critère secondaire), voire de prises de contact actives avec des prospects. Ainsi, si ces exceptions peuvent être utilisées, elles doivent l’être avec prudence et discernement, en veillant à les documenter.

En définitive, si l’arrêt du 15 novembre 2023 est salutaire pour les banques étrangères en matière de démarchage, le régime des monopoles devrait les amener à faire preuve de modération dans le recours à l’article L. 341-2. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº214
Notes :
1 Ensemble, les banques étrangères.
2 Wadie Sanbar et Hugues Bouchetemble, Droit des opérations bancaires et financières transfrontalières, RB Édition, 2013, n° 66 à 104.
3 L’article L. 341-3 autorise d’autres professionnels à démarcher en France (par ex. les CIF, les IOBSP ou les agents liés, etc.) mais, pour notre propos, il s’agit là des principaux d’entre eux.
4 W. Sanbar et H. Bouchetemble, op. cit., n° 101.
5 Comme les prestataires français et européens.
6 Cass. crim. 15 nov. 2023, n° 22-81.258. Pour une analyse globale, voir J. Lasserre Capdeville, D. 2024, p. 251.
7 Voir infra II.1.
8 T. corr. Paris, 32e ch., 20 févr. 2019, n° 11055092033, Dalloz actualité, 1er mars 2019, obs. J. Gallois ; Banque et Droit n° 184, mars-avril 2019, p. 91, obs. J. Lasserre Capdeville.
9 CA Paris, pôle 2, ch. 12, 13 déc. 2021, n° 19/05566, J. Lasserre Capdeville, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 19, 12 mai 2022, 1182.
10 Pour autant, son appréciation est sans incidence sur le principe de condamnation de la banque suisse concernée.
11 P. Arestan, Démarchage bancaire ou financier & conseillers en investissements financiers, MA éd., 7e éd. 2023, n° 27.
12 Ce texte ne règlemente que le démarchage « actif » à distance. Ainsi, « le prévenu fait justement valoir que la prise de contact avec le plaignant ne peut recevoir la qualification de démarchage dès lors qu’il a été sollicité [par celui qui se plaint d’un démarchage illicite] » (CA Paris 4 oct. 2005, n° 05/00508 : Juris-Data n° 2005-294594).
13 Articles 111-3 et 111-4 du Code pénal.
14 P. Arestan, op. cit., n° 27 et s.
15 Voir l’article D. 533-11 du CMF.
16 Ces seuils sont définis à l’art. D. 341-1 du CMF.
17 Voir sur ce service la Position AMF, Doc‐2018‐03.
18 C’est la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 qui a ajouté ce 11e alinéa à l’article L. 341-2. En réalité, cet alinéa aurait dû faire l’objet d’un article spécifique. Mais, peut-être qu’à défaut de « place » dans le chapitre consacré par le CMF au démarchage, le législateur a cru bon de l’insérer à l’endroit des exceptions au régime du démarchage.
19 Art. L. 511-5, L. 521-2 et L. 531-10 du CMF.
20 Alors que, sauf les exceptions de l’art. L. 341-2, celui du démarchage déclenche une interdiction de solliciter.
21 Sur ces critères primaires et secondaires, voir W. Sanbar et H. Bouchetemble, op. cit., n° 185 et s.
RB