Square

Éditorial

« Le droit mou est-il en train de durcir ? »*

Créé le

06.06.2016

-

Mis à jour le

07.06.2016

Le Conseil d’État a rendu deux arrêts d’une grande portée le 21 mars 2016 (Fairvesta et Numericable). La Haute juridiction indique dans un communiqué : « Le Conseil d’État accepte de juger des recours en annulation contre des actes de droit souple, à certaines conditions. De tels actes n’étaient jusqu’alors pas susceptibles de recours juridictionnel dès lors qu’ils n’ont aucun effet juridique » (communiqué du 21 mars 2016). Dans la première décision, il accepte de contrôler la légalité d’un communiqué de l’AMF qui alerte les épargnants sur les risques de certains placements qui pourtant ne relèvent pas de son contrôle. Dans la seconde, il accepte de contrôler la légalité d’une prise de position de l’Autorité de la concurrence (voir le commentaire de Jérôme Chacornac dans le présent numéro, p. 28).

Auparavant, le Conseil d’État n’admettait de contrôler la légalité de tels actes que de manière exceptionnelle, quand il pouvait les assimiler à des décisions faisant grief : « lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ». La nouveauté vient de ce que, pour la première fois, il accepte d’en contrôler la légalité sans avoir à les qualifier préalablement de décisions faisant grief, dès lors qu’ils « sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou
ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ».

Là est l’essentiel : les actes de droit souple des autorités de régulation peuvent désormais être
soumis par principe au contrôle de légalité des juridictions administratives. Ils peuvent l’être dans deux cas : lorsqu’ils sont de nature à produire des effets économiques notables ou lorsqu’ils ont pour objet d’influer de manière significative sur le comportement des personnes auxquelles il s’adresse. C’est le second cas qui est le plus intéressant car, au fond, il vise l’hypothèse dans laquelle les destinataires, soit estiment qu’ils doivent en tenir compte, ce qui concerne d’abord les professionnels, soit, plus largement, risquent d’en tenir compte pour leur décision d’investissement, ce qui concerne très largement les épargnants. On voit immédiatement les potentialités d’une telle jurisprudence et l’étendue des actes informels des autorités de régulation qui pourront
désormais être soumis au contrôle de légalité des juridictions administratives.
Évidemment, il y a des conditions et des limites. Il faut que le requérant justifie d’un intérêt direct et certain, que l’acte contesté soit de nature à produire des effets notables ou ait pour objet (et pas forcément pour effet) d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s’adresse. Si ces conditions sont remplies, le juge administratif doit examiner leur légalité, mais en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation, ce qui en fait un contrôle allégé. Mais, si la juridiction administrative estime, au final, que l’acte est entaché d’illégalité, comme il ne servirait à rien qu’elle l’annule s’agissant d’une simple interprétation et non d’une norme (de la « doctrine », selon l’AMF), le Conseil d’État ajoute que, sous réserve que cela lui soit demandé, la juridiction pourra prendre une injonction exigeant de l’autorité émettrice de l’acte de le modifier pour le rendre conforme à la légalité.
À cette occasion, le Conseil d’État juge que l’AMF peut émettre tout communiqué alertant les investisseurs dans la mesure où elle veille à la protection de l’épargne investie non seulement dans des instruments financiers, mais plus largement dans « tous autres placements offerts au public », conformément à l’art. L. 621-1 du Code monétaire et financier.

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº167
RB