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De la charge de la preuve
du formalisme informatif
du bordereau de rétractation

Créé le

12.02.2024

Cass. 1re civ., 29 novembre 2023, pourvoi n° 22.14.440, arrêt n° 637 F-D.

En matière de crédit à la consommation, la protection des consommateurs a justifié l’octroi d’un droit de repentir en faveur des emprunteurs. L’article L. 312-19 du Code de la consommation offre ainsi à l’emprunteur la possibilité de se rétracter dans un délai de 14 jours à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit, comprenant les informations prévues à l’art. L. 312-28 du même Code. Pour faciliter l’exercice de ce droit de rétractation, à l’exemplaire du contrat de crédit doit être joint un formulaire détachable établi conformément à un modèle type annexé à l’art. R. 312-9 du Code de la consommation. L’effectivité de ce droit de rétractation est assurée par les deux sanctions que peut encourir le prêteur, que sont une peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (R. 341-4 C. consom.) et la déchéance de son droit aux intérêts (L. 341-4 C. consom.). Ce dispositif protecteur des consommateurs a donné lieu, sur le terrain probatoire, à un contentieux abondant1. En tant que débiteur d’obligations précontractuelles d’information, le prêteur doit en prouver la bonne exécution, et supporte, à ce titre, la charge de la preuve de la remise du bordereau de rétractation. Après avoir considéré que « la reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre, laissait présumer la remise effective de celui-ci »2, la Cour de cassation a opéré un revirement, sous l’influence de la jurisprudence européenne3, en affirmant que la clause de reconnaissance de remise du bordereau de rétractation « constitue seulement un indice » qu’il incombe au prêteur de corroborer par d’autres éléments complémentaires4. Mais la charge de la preuve de la remise du bordereau de rétractation qui pèse sur le prêteur implique-t-elle également que le prêteur supporte la preuve de la conformité du bordereau de rétractation aux dispositions légales ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond, dans son arrêt du 29 novembre 2023, en faisant peser sur le prêteur la charge du respect du formalisme informatif du bordereau de rétractation.

En l’espèce, M. X et Mme T ont, selon une offre acceptée du 4 août 2014, souscrit auprès de la banque un prêt à la consommation regroupant plusieurs crédits antérieurs. Après avoir prononcé la déchéance du terme pour défaut de paiement des échéances, la banque a assigné les emprunteurs en paiement du solde du prêt. Estimant que la banque à laquelle incombe la charge de la preuve des obligations lui incombant, ne fournissait à la Cour aucun élément permettant de vérifier la conformité de ce document aux dispositions légales qui imposent une teneur précise du bordereau de rétractation, la Cour d’appel a déchu le prêteur de son droit aux intérêts. Invoquant une violation de l’article 1315, devenu 1353, du Code civil, la banque estimait d’une part, qu’étant constaté que les emprunteurs avaient bien reçu le bordereau de rétractation et qu’il était démontré que le prêteur avait satisfait à son obligation, il appartenait aux emprunteurs de démontrer que le bordereau reçu n’était pas conforme aux dispositions légales en le produisant, puisqu’il était en leur possession. Sur le fondement de l’article 6.1 de la Conv. EDH, la banque estimait d’autre part, qu’en faisant peser sur elle la charge de la preuve de la conformité du bordereau de rétractation aux dispositions légales, alors que ce document était en possession des emprunteurs, la Cour d’appel lui imposait une preuve impossible à rapporter. Sourde au raisonnement de la banque, la Cour de cassation considère, au visa de l’article 1315, devenu 1353 du Code civil, que « la charge de la preuve de l’accomplissement par le professionnel de remise d’un bordereau de rétractation conforme aux dispositions légales pèse sur celui-ci » et estime que c’est « sans exiger du professionnel une preuve impossible », que la Cour d’appel a retenu à bon droit que la charge de la preuve de l’exécution des obligations incombant au professionnel pesait sur la banque qui, dès lors qu’elle ne fournissait « aucun élément permettant de vérifier la conformité de ce document aux dispositions légales imposant une teneur précise au bordereau de rétractation », devait être déchue de son droit aux intérêts. Comme le rappelle, la Cour de cassation, l’exercice du droit de rétractation reconnu à l’emprunteur en application de l’ancien art. L. 311-12, al. 1er, devenu L. 312-21, C. consom., suppose la remise d’un bordereau de rétractation conforme aux dispositions de l’ancien art. R. 311-4, devenu R. 312-9, C. consom., dont le manquement est sanctionné, en application de l’ancien art. L. 311-48, devenu L. 341-4, du même Code, par la déchéance du droit aux intérêts.

Cette solution se justifie pleinement en pratique, tant il paraît artificiel de mettre à la charge du professionnel la preuve de la remise du bordereau de rétractation, et d’exiger, une fois cette preuve rapportée, en raison du renversement de la charge de la preuve, que l’emprunteur prouve la conformité du bordereau de rétractation aux dispositions légales. C’est au prêteur de rapporter qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles d’information qui s’entendent non seulement de la remise du bordereau de rétractation, mais également du respect du formalisme protecteur qui le gouverne. Cette décision fait écho à d’autres décisions faisant peser sur les prêteurs le risque de la preuve5 afin d’assurer l’effectivité des dispositifs protecteurs des consommateurs. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 S. Hazoug, « Le contentieux en matière de bordereau de la rétractation », LPA
28 juillet 2017, n° 150, p. 16.

2 Cass. 1re civ., 16 janvier 2013, n° 12-14.122, Bull. civ. I, n° 7 ; D. 2013, 1329, note G. Poissonnier ; Dalloz Actualité 6 février 2013, 236, note V. Avena-Robardet, 1329, note G. Poissonnier, 945, note H. Aubry et 2420, obs. D.-R. Martin ; RTDCiv. 2013, p.378, obs. H. Barbier ; JCP 2013, 106, obs. J. Lasserre-Capdeville ; Contrats, conc., consomm. 2013, comm.92, note G. Raymond ; RDBFin. 2013, n° 45, obs. N. Mathey.
3 CJUE, 18 déc. 2014, n° C-449/13, CA Consumer Finance, D. 2015. 715,
note G. Poissonnier, et 588, obs. H. Aubry ; RTD com. 2015. 138, obs. D. Legeais ;
RDC 2015. 378, obs. J.-S. Bergé.

4 Cass. 1re civ., 21 octobre 2021, n° 19-18.971, Banque et Droit n° 195, 2021, p. 20, obs. S. Gjidara- Decaix ; D. 2021, 63, note G. Lardeu et 1890, obs. D.-R. Martin
et H. Synvet ; RTDCom. 2020, p. 932, note D. Legeais ; RTDEu.2021, 382, obs. A. Jeauneau ; Contrats, conc., consom. 2023, comm. 16, obs. S. Bernheim-Desvaux ; M. Leveneur-Azémar, « Revirement sur la portée de la clause de reconnaissance de remise du bordereau de rétractation en matière de crédit à la consommation », Gaz. Pal. 5 janv. 2021, p. 21.

5 À propos de la régularité du contrat conclu hors établissement Cass. 1re civ., 1er février 2023, n° 20-22.176 ; Contrats, conc., consom., comm. 69, note S. Bernheim-Desvaux ; LEDC, mars 2023, n° 3, p. 5 obs. Claire-Marie Péglion-Zika ; Gaz. Pal. 21 mars 2023, n° 10, p. 24, note N. Allix ; RTDCiv. 2023, p. 434, note J. Klein.
RB