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Gestion d'actifs

Les gérants de fonds à l’heure du « big data »

Créé le

13.11.2019

Les nouvelles technologies de traitement des données et d’intelligence artificielle semblent prometteuses pour la gestion d’actifs, mais représentent-elles une source durable de valeur ajoutée ?

Le terme « Big Data » désigne des ensembles de données très larges, non structurées, que les outils classiques de gestion de base de données ne sont pas en mesure de traiter. Le développement de l’intelligence artificielle et notamment l’un de ses champs d’application, le machine learning, permettent aujourd’hui de collecter, d’organiser et d’analyser ces quantités astronomiques de données qui se présentent sous de multiples formats – texte, audio, vidéo, données de localisation, imagerie satellite… L’intérêt de ces nouveaux outils pour la gestion d’actifs est évident car l’essence même de son métier est de collecter de l’information, de l’analyser et de l’utiliser pour formuler des choix d’investissement.

Applications pratiques

L’une des applications concrètes des outils du Big Data est l’analyse systématique des informations publiées trimestriellement par les sociétés cotées. Par exemple, certaines équipes de gestion utilisent le traitement automatique du langage naturel (natural language processing) pour analyser les retranscriptions des conférences téléphoniques des équipes dirigeantes des sociétés avec les investisseurs. En analysant le contenu des échanges, l’outil permet d’inférer des sentiments positifs ou négatifs sur les perspectives de la société. Par exemple si le management donne des éléments chiffrés précis sur son chiffre d’affaires à venir, alors cela est généralement considéré comme un indicateur positif. À l’inverse, s’il n’offre que des réponses vagues, alors le signal est a priori négatif. Si l’on voit difficilement la valeur ajoutée d’une telle analyse par rapport au ressenti d’un analyste expérimenté qui suivrait la société en question depuis des années, l’intérêt réside dans l’automatisation à grande échelle du processus. Au cours d’une année, plus de 20 000 conférences téléphoniques ont lieu entre les sociétés cotées et les investisseurs à travers le monde et un suivi manuel de tous ces échanges ne serait pas réaliste.

Les analyses ne se cantonnent pas au texte. L’un des objectifs des gérants quantitatifs est de parvenir à déceler les émotions et les sentiments de marché. Par exemple, la confiance des consommateurs et des entreprises est scrutée depuis des décennies comme indicateur avancé de l’activité économique. Les données alternatives et les outils du Big Data offrent de nouveaux moyens de percevoir ces baromètres de l’économie. Par exemple, certains outils parviennent à agréger les données de l’industrie du voyage et du divertissement pour les traduire en tendances macroéconomiques. Le budget vacances et les taux d’occupation des hôtels par pays et par région donne une cartographie du « sentiment » du consommateur, qu’il soit négatif, neutre ou positif. Un autre exemple est l’analyse des annonces de recrutement publiées sur LinkedIn ou Glassdoor afin de déterminer non seulement les tendances en termes d’emploi dans un secteur donné, mais également l’évolution des sentiments des employés à l’égard d’une société et, in fine, son attractivité.

Les sociétés de gestion sont de plus en plus nombreuses à utiliser ces nouvelles façons d’exploiter les données dans leur processus d’investissement. Ce sont en premier lieu les équipes de gestion quantitative qui ont adopté ces techniques car il s’agit d’une extension naturelle de leur savoir-faire. Par exemple, l’équipe de gestion systématique de BlackRock et l’équipe d’investissement quantitative de Goldman Sachs ont été pionnières aux États-Unis dans l’intégration de données alternatives pour sélectionner les actions dans les portefeuilles qu’elles gèrent. Aujourd’hui environ un tiers des signaux utilisés dans leurs modèles de sélection de titres sont basés sur des données non traditionnelles alors que leur poids était symbolique il y a seulement une dizaine d’années. En Europe, les sociétés avec une expertise reconnue dans la gestion quantitative telles que Robeco, Invesco ou Unigestion avancent également sur ce terrain. Le Tableau 1 présente les fonds actuellement notés par Morningstar dont les équipes de gestion commencent à intégrer progressivement le traitement des données alternatives et le machine learning dans leurs processus d’investissement.

Le Big Data : un outil, pas une solution miracle

Les gérants utilisent ce type de données dans leur stratégie d’investissement pour essayer de gagner un avantage concurrentiel en termes d’information. La rapidité est également un enjeu puisque les données non traditionnelles – comme par exemple le sentiment qui se dégage des discussions sur les réseaux sociaux – sont mises à jour constamment. Avec des informations plus précises, adaptées en temps réel, l’idée est que les modèles de sélection de titres peuvent aboutir à de meilleures prédictions.

Pourtant, l’arrivée de ces nouveaux outils ne va pas sauver la gestion active et la transformer en machine à générer de la surperformance. D’ailleurs, aucun gérant quantitatif n’utilise exclusivement le Big Data dans son processus de gestion et l’industrie manque de recul pour juger de l’apport en termes de performance de ces nouveaux outils. En effet, les larges quantités de données contiennent potentiellement des informations utiles mais y recourir introduit également du « bruit » dans les modèles de construction de portefeuille. Les relations de causalité mises en évidence par l’analyse des données peuvent changer au cours du temps, voire totalement disparaître. Par ailleurs, ce type d’outils se diffuse rapidement. Si les outils liés au Big Data s’avèrent efficaces, de plus en plus d’investisseurs y auront recours et les inefficiences de marché qu’ils visent à exploiter seront rapidement réduites. La technologie en soi n’est donc vraisemblablement pas un différenciateur majeur à long terme. Pour transformer les informations en bonnes idées d’investissement, l’interprétation et donc l’expertise du gérant resteront indispensables. Un autre élément à garder en tête est le coût de déploiement de ces outils. Dans le cas où les frais de gestion des fonds sont augmentés pour couvrir les investissements de recherche et développement, le gain net pour l’investisseur final en termes de performance reste à prouver.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº838