Longtemps organisée en « silos » nationaux, regroupant sous un même holding une plate-forme de négociation, une chambre de compensation et un dépositaire central, l’industrie européenne du post-marché est fractionnée en une multitude d’acteurs. C’est particulièrement vrai pour les dépositaires – on en compte plus d'une trentaine – mais aussi pour les contreparties centrales (CCP).
Vers plus de concurrence
Les grandes manœuvres ont commencé dès l’entrée en vigueur de la première mouture de MiFID. En stimulant la concurrence au niveau des plates-formes de négociation, et par là, la création de MTF, la directive a entraîné par ricochet la création de nouvelles CCP. « Les marchés alternatifs en création avaient besoin de chambres de compensation paneuropéennes et surtout adaptées à leur modèle low cost », rappelle Gaspard Bonin, directeur associé chez Equinox Consulting. Ainsi, sous l’impulsion de Chi-X, la chambre de droit hollandais EMCF a été créée par une équipe de Fortis. De même, EuroCCP, filiale du géant américain
Interopérabilité : l’Arlésienne ?
La seconde est le début de la réflexion sur la question de l’interopérabilité de tous ces acteurs, y compris les CCP historiques, menacées sur leur marché. Le code de conduite que signent les principaux acteurs du post-marché européen fin 2006, prévoit et incite à cette interopérabilité, mais de manière non contraignante. Malgré les nombreuses tentatives, les liaisons réussies restent rares. C’est notamment le cas de la française LCH.Clearnet SA avec Cassa di Compensazione (CC&G) sur les bons du Trésor italiens (lire l’interview de Pierre-Dominique Renard). EuroCCP, EMCF,
L’interopérabilité est en effet plus aisée en théorie qu’en pratique. « Derrière les grands principes, il y a la réalité opérationnelle et économique, prévient Gaspard Bonin. Se rendre interopérables, cela signifie notamment pour les chambres de rendre compatibles leurs modèles de risques. Or ces modèles sont au cœur de leur métier. » Les investissements techniques et humains sont conséquents, sans compter les démarches réglementaires. Car – et c’est un des paradoxes de l’interopérabilité – les régulateurs, tout en appelant de leurs vœux de tels liens dans les lois qu’ils écrivent, sont assez frileux pour ce qui est de leur mise en place. Et pour cause : ces accords et prises de participation croisées facilitent la contagion d’un défaut d’une CCP à une autre. « Le paysage concurrentiel de demain des chambres de compensation pourra aller d’un système fortement concentré à un réseau de multiples CCP interconnectées. Les membres de ces chambres pourront eux aussi être plus ou moins concentrés. Il n’est pas évident de prédire comment ce paysage va évoluer. Les mouvements sont en cours et il faut s’assurer que ce processus est correctement surveillé. Or selon moi, c’est encore un point d’interrogation », s’inquiétait Peter Praet, le membre du directoire de la BCE en charge des infrastructures de marché, lors d’une conférence organisée par la Commission européenne fin octobre.
EMIR persiste
Dans sa version actuelle, EMIR réaffirme pourtant l’importance de l’interopérabilité en rendant obligatoire la justification du refus d’une CCP sollicitée par une autre. Une disposition qui pourrait rendre service à LCH.Clearnet SA, dont une importante partie du volume d’activité est menacée par le projet de fusion entre Deutsche Börse (DB) et NYSE Euronext. La Place transatlantique, partenaire historique de LCH.Clearnet, est en effet susceptible d’avoir recours demain à la chambre de compensation de DB, Eurex Clearing (lire l'article page xx). « LCH.Clearnet SA n’aurait aucune raison de ne pas demander l’interopérabilité avec Eurex sur les flux en provenance de NYSE Euronext, pronostique un acteur du post-marché. Cela éviterait à ses clients de devoir migrer vers un nouvel environnement juridique, opérationnel, technique. » L’imbroglio de l’interopérabilité, en formation depuis le milieu des années 2000, a donc de beaux jours devant lui.
Le clearing des dérivés OTC change la donne
Mais la principale nouveauté apportée par EMIR dans l’univers des chambres de compensation concerne le marché des dérivés. En rendant obligatoire le clearing des contrats de gré à gré (OTC) suffisamment standardisés, la réglementation crée les conditions d’une modification plus profonde de l’équilibre des forces entre acteurs. « À la différence des opérations sur produits listés, les intervenants du marché des dérivés OTC pourront décider de manière purement bilatérale et à chaque transaction du choix de leur chambre de compensation », remarque Gaspard Bonin. Une poignée d’acteurs s’est d’ores et déjà positionnée sur ce créneau, en compensant des positions entre clients du sell-side, et se prépare à recevoir les ordres du buy-side : LCH.Clearnet Ltd et le CME (Chicago) sur les dérivés de taux (IRS), ICE, CME et LCH.Clearnet SA sur les dérivés de crédit (CDS). Mais rien n’est figé : le marché du clearing des OTC est potentiellement mondial et la création ex nihilo d’une CCP n’est pas contrainte par le soutien d’une plate-forme de trading. « Le Japon a voté son texte sur la compensation des dérivés de gré à gré en mai 2010, Hong Kong et la Corée travaillent sur les leurs. De nouvelles chambres vont donc se créer en Asie », note le consultant.
L’incertitude réglementaire
Toutefois, de nombreux flous réglementaires freinent les investissements. Ainsi, la question de la reconnaissance des CCP entre régulateurs américains et européens se pose. Dans le cadre d’une opération transatlantique, la contrepartie de droit américain aura-t-elle le droit de faire appel à une chambre européenne ? Et sous quelle supervision ? Autant de points qui devraient théoriquement être tirés au clair d’ici fin 2012, date sur laquelle le G20 s’était engagé pour ce volet de la régulation post-Lehman.
Ce climat d’incertitude se lit aussi dans les grandes manœuvres capitalistiques qui se jouent en ce moment sur le marché européen. Le projet de fusion de Deutsche Börse et NYSE Euronext est suspendu à l’autorisation de la DG concurrence de la Commission européenne, et les activités de compensation font partie des débats. Ainsi, les deux places ont annoncé mi-décembre qu’elles étaient prêtes à céder plus d’activités sur le marché des dérivés, en donnant la « possibilité » à l’acquéreur d’accéder aux services d’Eurex Clearing. Une concession toute relative donc. La Commission a jusqu’au 9 février pour rendre son avis. Simultanément, les discussions sur le rachat de LCH.Clearnet par la Bourse de Londres (LSE) se poursuivent, l’objectif pour la chambre étant de sécuriser des volumes d’activité en prévision de la perte des ordres en provenance de NYSE Euronext.
Interopérabilité sur les marchés actions et obligations, montée en puissance des offres de clearing sur l’OTC, grands mouvements capitalistiques entre acteurs en Europe : l’actualité de 2012 sera riche pour le secteur de la compensation.