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Moyen-Orient et Afrique du Nord : les empires contre-attaquent

Créé le

30.08.2018

-

Mis à jour le

14.09.2018

Le 21 mars 2018 s’est tenue à l’Université Paris-Dauphine la conférence « Les empires contre-attaquent » à l’occasion des House of Finance Days, organisée par les étudiants de la 9e promotion de l’Executive Master Principes et Pratiques de la Finance Islamique. Les intervenants comptaient des représentants de l’OCDE, du MEDEF International, d’Ardian ainsi que d’Euris Group. Le présent article en restitue une synthèse.

Les regains de tensions et les incertitudes au Moyen-Orient redessinent les cartes des alliances dans la région. En effet, la chute des prix du pétrole amorcée mi-2014 a contraint les pays dépendants de l’or noir à revoir leurs paradigmes de croissance. Aujourd’hui, les politiques de diversification économique s’accentuent et offrent de nouvelles perspectives de développement pour ces régions. La finance n’est pas en reste dans cette logique de diversification où émergent désormais de nouvelles formes de finance plus éthiques et responsables, notamment la finance islamique.

Région MENA : état des lieux

La zone MENA (Middle East and North Africa ou, en français, Afrique du Nord et Moyen-Orient – ANMO) est une région qui peut se segmenter en trois parties : l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et le Golfe (voir Graphique 1). Selon la Banque Mondiale, les prévisions de croissance pour l’année 2018 affichent une moyenne mondiale estimée à 3,9 % ; mais la région MENA se voit attribuer une croissance à venir de 3 % en 2018 et de 3,2 en 2019.

Des politiques économiques de développement très hétérogènes

La zone MENA est en pleine mutation. En effet, les pays du MENA ont un objectif « commun » : la dynamisation et l’amorce d’une diversification des économies de la région, encore trop marquée par une dépendance aux revenus du pétrole. C’est pour cette raison que les pays tels que l’Arabie Saoudite (Saudi Vision 2030) ou le Qatar (Qatar National Vision 2030) ont lancé des plans de grande envergure. Le Graphique 2 illustre le repli du prix du baril qui a conduit les pays de la région MENA à mener plusieurs réformes et politiques structurelles comme conjoncturelles depuis 2016.
Mais ces politiques souffrent encore de barrières pour favoriser les investissements dans la zone. Et ces démarches restent encore très hétérogènes selon les pays où subsistent encore des règles de restriction de l’accès au capital par des investisseurs étrangers, ou de minimum contribution de capital. Les États restent encore prudents concernant la régulation des investissements étrangers, notamment par la mise en place de mécanismes de pré-autorisation ou d’attribution de licences, et ce malgré une souplesse accrue dans l’acquisition de capital par des investisseurs étrangers (v. Graphique 3).

Limites de détention de capital, autorisation préalable : outils de restrictions ?

L’Algérie et l’Autorité Palestinienne ont légiféré pour que les investisseurs étrangers ne détiennent pas plus de 49 % d’une société locale (application de la Règle dite de « 49/51 »). Contrairement à l’Égypte, le Liban, le Maroc ou encore la Tunisie, où la loi sur les investissements autorise la détention du capital à 100 % par un investisseur étranger avec quelques exceptions selon certains secteurs stratégiques définis par les États. La Jordanie a régulé en 2016 en faveur d’une extension des activités dans lesquelles les investisseurs non jordaniens peuvent détenir l’entièreté du capital d’une société locale. La Libye a récemment autorisé les investisseurs étrangers à détenir 100 % du capital, mais en intégrant cependant un seuil minimum d’investissement de 5 millions de dinars libyens.
Les mécanismes d’autorisation constituent un subtil outil d’ajustement d’une politique affichée comme souple en termes de détention de capital, mais où les États, afin de réguler sans contraindre par le capital, utilisent le « pre approval » : ainsi au Liban et en Libye, les projets d’investissement restent encore sujets à une autorisation préalable de l’État. En Algérie, en revanche, la loi de 2016 a supprimé le mécanisme d’autorisation préalable de l’État pour les IDE. En Égypte, une licence est généralement requise pour créer une entreprise dans le pays. Pour le Maroc et l’Autorité Palestinienne, certains secteurs ou activités nécessitent l’autorisation de l’État.
Il en résulte au regard du classement de l’OCDE pour le FDI Regulatory Restrictiveness Index [1] que seulement deux pays du MENA sont dans la moyenne de l’index moyen des pays de l’OCDE : l’Égypte et le Maroc, la Jordanie et la Tunisie restant en dehors de la moyenne non-OCDE mais étant présentes dans le classement (v. Graphiques 4 et 5).

Modification des paysages institutionnels de soutien aux politiques de développement

L’ensemble des pays du MENA disposent d’institutions dédiées à attirer les investissements directs à l’étranger (IDE). Ces agences de promotion des investissements (API) ont pour but de permettre une meilleure lisibilité du cadre juridique et opérationnel dans le but d’accroître l’attractivité. Des réformes institutionnelles en cours visent à améliorer leur efficacité. La Jordanie et le Maroc ont fusionné les organismes en charge de la promotion des investissements et des exportations en une seule entité. La loi d’investissement tunisienne prévoit aussi une réforme institutionnelle en rationalisant les activités des entités en charge de la promotion par la création de la Tunisia Investment Authority (TIA).
Les API doivent continuer leurs efforts pour améliorer leur performance et élargir la palette de services qu’elles peuvent offrir aux investisseurs pour une meilleure attractivité, mais aussi pour la rétention et l’extension de leurs activités.

Un contexte accentuant les risques

Les politiques économiques étant amorcées par les pays de la zone MENA, il s’ensuit un resserrement des alliances intra-régionales par les grands puissances de la région. Ceci a pour objectif d’assurer une meilleure sécurité et de renforcer les relations avec les pays occidentaux afin d’assurer le leadership de ces dernières sur la région.
Les récentes positions prises par l’Arabie Saoudite concernant ses rapports avec ses alliés occidentaux, mais aussi à l’intérieur du Royaume avec des actions à forte portée symbolique dans la société civile, ont pour objectif de montrer un nouveau visage de l’Arabie « moderne ».
Ces mêmes actions de renforcement sont aussi valables pour l’Iran qui a également consolidé ses relations avec l’UE et les USA, notamment grâce à l’accord Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) portant sur le nucléaire, mais aussi tout récemment avec les russes et les chinois en se rapprochant de l’Union Economique Eurasiatique, zone de libre-échange.
L’accord JCPOA a été menacé dès l’arrivée de la nouvelle administration américaine et le président américain en a annoncé la potentielle renégociation lors de la visite d’État du président de la République française aux USA en avril 2018.
Cette menace de sortir se concrétisera le 8 mai 2018 par Donald Trump, alors même que la communauté internationale avait enjoint les USA à respecter les termes de l’accord.
Cette décision va définitivement bouleversée les alliances « fragiles » pour certaines entre les Etats-Unis et l’Europe et la Chine et la Russie mais aussi avec les pays de la zone MENA.
Cela va obliger les poids lourds de la région MENA à revoir leurs stratégies et leurs alliances dans un très court terme.
Cette instabilité grandissante est nourrie aussi dans la région par des conflits qui s’enlisent (Syrie, Yémen, Irak).
Ces tensions grandissantes sont contre-productives pour les politiques de développement à moyen et long terme où le risque-pays pour les investisseurs est de facto accentué.
Selon Anouar Hassoune, Expert en Analyse Crédit et Directeur Général chez Euris Group, cela peut s’analyser en termes de notation des pays (v. Graphique 5), où trois grandes catégories apparaissent :
– les « bons élèves » : le Koweït et les Émirats Arabes Unis, avec des notations AA ; le Qatar et l’Arabie Saoudite ; puis l’Iran qui sort du lot selon le modèle utilisé sans avoir de notation ;
– un « cas particulier » : le Maroc (Investment Grade) ;
– les « mauvais élèves » : tous les autres pays qui restent dans une situation difficile malgré les ressources gazières et/ou pétrolières.
À cela s’ajoutent les deux principaux déficits de la région qui, selon Anouar Hassoune, sont le déficit de compétitivité et le déficit de normativité.
Il s’ensuit que les pays de la région doivent renforcer leur investissement en capital : en capital humain, en capital technologique, en capital physique et en capital normatif, afin d’assurer une pérennité et un développement soutenable à long terme.

L’essor de la finance islamique

Sur ce dernier point, l’essor de la finance islamique devient un phénomène intéressant en la corrélant aux enjeux actuels en termes de croissance technologique et de croissance physique notamment en ce qui concerne le financement des infrastructures. Deux techniques de désintermédiation et en forte croissance ont été proposées : la promotion des fonds islamiques et la croissance du marché des sukuk. D’ailleurs le rapport du FMI de février 2017 « Ensuring Financial Stability in Countries with Islamic Banking » souligne que le recours aux sukuk permettra de financer de plus en plus les infrastructures dans un certain nombre de pays de la région MENA qui ont par ailleurs mis en place des cadres règlementaires pour développer cette finance. Ce dynamisme a poussé le FMI, suite à ce rapport, à préciser dans un communiqué, que la banque islamique continue de se développer rapidement, en taille et en complexité, ce qui contribue à l’expansion des circuits financiers et à l’inclusion financière dans bon nombre de pays, mais pose aussi des problèmes aux autorités de contrôle et aux banques centrales. La finance islamique s’est établie dans plus de 60 pays et présenterait désormais un risque systémique dans plus de 14 juridictions dans le monde. Ce dynamisme dépasse aujourd’hui la région MENA et touche aussi les pays africains. Dernier exemple en date avec l’UMEOA et la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) via son gouverneur, Mr. Tiémoko Meyliet Koné, qui a publié le premier texte règlementaire sur la finance islamique. Celui-ci vise à donner le « top départ » d’un cadre juridique au développement de la finance islamique en UEMOA qui jusque là était limité, selon le gouverneur de la BCEAO, par « l’absence de cadre juridique et fiscal et de l’insuffisance des ressources humaines dédiées ».

La France et l’Afrique du Nord d’abord, et une relation fragile avec l’Iran

Les chiffres publiés annuellement par le ministère de l’Action et des Comptes Publics de la Direction générale des Douanes et Droits Indirects démontrent clairement que la France échange nettement plus avec les pays d’Afrique du Nord que les pays du Golfe (17 milliards contre 30 milliards avec l’Afrique du Nord).
Cependant, les échanges et transactions dans ces pays doivent être analysés par secteur pour des raisons de pertinence et de clarté. Les deux secteurs majeurs sont les secteurs énergétiques et technologiques.
L’Iran est un cas particulier pour les milieux d’affaires français, en effet, les enjeux en Iran pour les entreprises françaises restent le problème de financement en plus des risques financiers et risques de marché auxquels il faudra faire face.
L’Agence de la Promotion des Investissements Business France a annoncé officiellement en 2017 que plus de 300 entreprises françaises avaient visité l’Iran depuis la signature de l’accord et plus de 200 entreprises françaises avaient exprimé de l’intérêt à travailler avec des partenaires iraniens. Mais la (seule) signature actée depuis l’accord JCPOA a été celle de juillet 2017 entre l’entreprise française Total et le chinois China National Petroleum Corporation (CNPC) pour un projet énergétique d’envergure lié à l’exploitation du champ de gaz partagé par le Qatar et l’Iran.
La décision du Président américain annoncée le 8 mai de sortir de l’accord JCPOA aura un impact économique conséquent sur la région et fragilisera encore plus des alliances qui permettaient une certaine forme de stabilité dans la région.
Les perspectives de développement durement acquises dans un contexte déjà bien complexe entrent encore dans une phase encore bien plus sombre, au grand dam de la diplomatie qui a vu la réalité du dollar l’emporter.

 

1 FDI Index : il mesure les restrictions légales imposées aux investissements directs étrangers dans 68 pays

À retrouver dans la revue
Revue Banque NºHOF2018
Notes :
1 FDI Index : il mesure les restrictions légales imposées aux investissements directs étrangers dans 68 pays
RB