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Transformation managériale

Feedback et Speak Up Culture : leviers d’implication des salariés

Créé le

08.07.2019

-

Mis à jour le

11.07.2019

Dans un modèle bancaire qui limite ou interdit les brevets, et dans un monde complexifié à l’extrême, ne peut-on pas percevoir les idées et recommandations des collaborateurs comme une source de rentabilité inexploitée ? En allant plus loin, peut-on réellement envisager, dans la société ouverte d’aujourd’hui, de ne pas le faire ?

Dans un monde bancaire en pleine transformation (digitalisation, apparition de nouveaux acteurs, changement des comportements clients), les banques de réseau doivent réinventer leur modèle commercial, mais aussi managérial, afin d’optimiser l’implication des collaborateurs.

L’installation d’une culture de la parole libre, une Speak Up Culture, apparaît comme une solution pour développer la rentabilité d’une banque de réseau, sans que cela n’engage des investissements financiers importants, tout en permettant de mobiliser les salariés et d’anticiper sur les futures évolutions sociétales.

La notion de Speak Up Culture n’a étonnamment pas de traduction en français. Une notion approchante pourrait être celle de « parole libérée ». Le Speak Up se définit plus exactement comme « évoquer des problèmes ou des préoccupations, soumettre des suggestions, apporter des idées et exprimer des opinions dans l’objectif de changer les choses et améliorer le travail d’un groupe ou d’une organisation ».

Pourquoi

La temporalité accélérée de ces dernières années a poussé la plupart des entreprises à repenser leurs modèles stratégiques et managériaux tout en gardant en ligne de mire les quatre impératifs suivants :

– la rentabilité inhérente à toute entreprise commerciale ;

– l’adaptation à un monde changeant ;

– l’anticipation sur les besoins de demain ;

– le développement d’une marque employeur forte permettant de capter les talents.

La rentabilité

La question de la rentabilité est d’autant plus d’actualité pour des établissements bancaires où l’on recherche en permanence de nouveaux relais de croissance pour pallier la pression exercée sur les marges traditionnelles. Car si tant d’entreprises se remettent aujourd’hui en question, c’est moins à cause d’une prise de conscience philanthropique que d’une nécessité économique. Dans un monde de concurrence exacerbée et en perpétuelle mutation, quelle entreprise pourrait ne pas profiter d’une solution peu coûteuse, permettant de se démarquer dans son marché, en optimisant seulement les ressources dont elle dispose déjà ? La notion d’implication est importante dans le milieu bancaire, particulièrement pour les activités de front office. Cela est d’autant plus vrai avec la notion d’expérience client. Il y a fort à parier qu’un collaborateur démotivé et désengagé sera peu à même de délivrer ce moment d’échange unique. À l’heure des réseaux sociaux et des NPS (système de notation de la satisfaction des consommateurs), un personnel désengagé dans une activité de service peut avoir des effets dévastateurs en termes d’image.

Un monde changeant

Le monde s’est complexifié. Or il paraît évident que des problèmes complexes nécessitent des compétences variées. L’histoire des entreprises a créé une structure hiérarchique pyramidale de nature plutôt rigide. Si l’efficacité de ce type de structure ne peut être niée dans un environnement peu complexe, il semblerait que cette pyramide tende à s’effondrer lorsque la complexité augmente, partant du principe que, si intelligents soient-ils, les dirigeants ne peuvent pas à eux seuls prendre la mesure de cette complexité et tenter d’y apporter des solutions. Le rythme d’apparition des problèmes n’est plus le même qu’il y a une dizaine d’années encore. Avant, les solutions apportées à ces problèmes avaient une durée de vie suffisamment longue pour que certaines personnes les conçoivent et que d’autres les appliquent. Mais aujourd’hui la temporalité a changé, de nouveaux problèmes apparaissent avant même que des solutions aient été trouvées aux anciens. Cela nécessite de faire preuve de toujours plus de créativité et de faire appel à tous. On peut donc entendre les maximes de nombreux dirigeants d’entreprises libérées qui énoncent que celui qui fait, sait. Que c’est celui qui est au plus proche du client qui peut avoir l’idée, qui peut déceler ce qui manque au consommateur ou qui peut capter les signaux faibles, annonciateurs de futurs changements. Ce qui a été parfaitement résumé par Woody Morcott, l’ancien P-DG de Dana Corporation : « Pourquoi avons-nous embauché 55 000 cerveaux si nous n’utilisons que trois d’entre eux ? ». En poussant à l’extrême, il serait dommage de commencer à écouter ces collaborateurs seulement une fois qu’ils sont partis, pour rejoindre la concurrence ou créer leur propre société. Concernant l’évolution de la société, la nôtre est sans doute la première dans l’histoire à vouloir chercher un sens au travail. Et il ne peut pas y avoir de plaisir quand on ne sollicite plus l’intelligence ou la créativité de l’individu, en le transformant en simple exécutant. On assiste donc, en France comme ailleurs, à une certaine forme de désengagement des salariés et sa cohorte de troubles psychosociaux. Simultanément, les réseaux sociaux envahissent la vie des consommateurs, et donc du salarié aussi. Et cette vie extraprofessionnelle lui permet d’interpeller le président de la République ou son chanteur préféré sur Twitter, de noter un restaurant ou de critiquer un hôtel sur TripAdvisor. Quand on connaît ce monde-là, il peut paraître incompréhensible de ne pas pouvoir s’adresser à son N+3 sans suivre tout un processus bureaucratique normé.

Demain

Avec l’Intelligence artificielle, l’homme ne rivalisera plus jamais avec la machine pour ce qui est des calculs purs ou de la connaissance générale. De là naît une évidence : sa supériorité aujourd’hui, et pour quelque temps encore, réside dans sa créativité. Ce qui doit donc être développé, encouragé, c’est cette créativité, et par là, le sens critique. De même, l’intelligence émotionnelle doit être développée, car plus il y aura de machines, plus il faudra réaffirmer l’importance de la relation humaine.

Les ressources humaines

Quel que soit l’établissement, le constat est partagé et factuel : les démissions sont devenues le premier motif de départ dans les banques, loin devant les départs à la retraite. Il apparaît donc nécessaire de se démarquer de la concurrence, de travailler, sur le fonds et sur la forme, cette fameuse marque employeur. Avec une question primordiale en tête : quels collaborateurs souhaitons-nous ? Investis et forces de proposition ou désengagés ? La Speak Up Culture n’est pas une philosophie managériale « Bisounours ». Premièrement parce que les entreprises n’en ont pas les moyens, et deuxièmement parce que ce n’est pas ce que les salariés recherchent. Il est rare qu’un high potential choisisse sa future entreprise parce que celle-ci dispose d’un baby-foot et d’une salle de repos. Il choisira celle qui propose la rémunération la plus attractive, ou celle qui lui permettra d’exploiter son potentiel et de donner du sens à son activité professionnelle.

Inspirations

Un rapide retour sur quelques théories choisies permet de se rendre compte que les premiers étages de la pyramide de Maslow sont souvent déjà acquis, avant même d’entrer dans la vie professionnelle, à l'idée que le taylorisme est bien souvent une théorie « historique » et que de nouvelles philosophies apparaissent, comme l’Ikigai japonais, ou renaissent, tel le Kaizen et sa notion d’amélioration continue.

Concernant les mises en pratique de nouveaux modèles managériaux dans d’autres activités que la banque, on s’aperçoit que les dirigeants concernés n’ont pas cherché à motiver les collaborateurs, mais seulement à créer un environnement où les salariés se motivent eux-mêmes. Avec parfois quelques techniques originales comme Jean-François Zobrist [1] qui a offert, à son arrivée à la tête de la société FAVI, un chèque de 500 francs à chaque employé pour acheter ce qu'il désirait, à partir du moment où cela avait un rapport avec le travail.

De la théorie à la pratique

Des dispositifs existent déjà pour favoriser l’expression de nouvelles idées ou l’émergence d’une parole libérée en entreprise. Mais ils peuvent être pollués par des éléments sociétaux (remise en cause des institutions et de l’entreprise) ou les éléments perturbateurs de l’entreprise (la règle des 3 % [2] pour qui sont érigés nombre de contrôles et de garde-fous qui vont venir brider les 97 % restants).

La sollicitation d’avis a une place essentielle dans la notion de Speak Up Culture, partant du principe que tout salarié ayant une conviction forte a autorité pour s’exprimer. Parce qu’il faut savoir interroger ceux qui connaissent le sujet et ceux qui devront vivre avec les conséquences de la décision.

Instaurer la parole en entreprise nécessite la mise en place d’un environnement favorable qui peut s’articuler autour de trois axes :

– la formation ;

– une nouvelle culture ;

– l’exemplarité à tous niveaux.

Elle appelle aussi à l’évolution vers de l’open management (créativité et co-construction), le développement des soft skills (empathie, capacité à collaborer…) chez les managers et les collaborateurs, l’application d’un réel droit à l’erreur et la responsabilisation de chacun. Parce que l’adoption d’une Speak Up Culture offre, en plus de nouveaux droits, de nouveaux devoirs aux salariés. Ce n’est plus au seul manager d’être exemplaire, mais cette obligation s’impose dorénavant à tout le monde

Conclusion

La Speak Up Culture est simple dans son principe et compliquée dans les freins qui peuvent exister encore. Cette dichotomie rappelle la sentence qui veut qu’en termes de management, tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais que personne ne le fait. Si le choix du Speak Up est fait, il faut alors s’appuyer sur les vraies valeurs de l’entreprise et s’inscrire dans le long terme sans pour autant trop promettre.

Le monde est changeant, les évolutions à venir inquiétantes et les choix difficiles à effectuer. Mais ces mêmes éléments rendent aussi cette époque passionnante et surtout débordante d’opportunités pour qui sait les saisir.

 

1 La méthode FAVI développée par Jean-François Zobrist, ancien directeur général de cette entreprise spécialisée dans la fonderie, repose sur le principe de la confiance envers les équipes de production et sur l’auto-organisation.
2 Règle selon laquelle des contraintes sont mises en oeuvre pour l’ensemble des collaborateurs alors que le problème initial à résoudre ne concerne qu’une partie très minoritaire des salariés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nºcfpb2019
Notes :
1 La méthode FAVI développée par Jean-François Zobrist, ancien directeur général de cette entreprise spécialisée dans la fonderie, repose sur le principe de la confiance envers les équipes de production et sur l’auto-organisation.
2 Règle selon laquelle des contraintes sont mises en oeuvre pour l’ensemble des collaborateurs alors que le problème initial à résoudre ne concerne qu’une partie très minoritaire des salariés.
RB