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Éducation financière

L’expérience ivoirienne : mieux former les enseignants pour toucher les jeunes

Créé le

17.09.2014

-

Mis à jour le

28.10.2014

Ancien enseignant, Félix Yao Kouassi a été sensibilisé à la question du surendettement du corps professoral ivoirien. Il témoigne du dispositif qu'il a mis sur pied pour remédier à cette situation.

En 2001, alors enseignant du primaire, j’ai été témoin de la fuite d’un collègue par l’une des fenêtres de sa classe lorsque celui-ci a vu venir l’usurier – le « Margouillat » comme nous les dénommons auprès duquel il s’était endetté. Cette situation, à la fois cocasse et triste, m’a permis de comprendre qu’il y avait une action à mener et un déficit de formation à combler (lire aussi l'article d'Estelle Brack). Une dizaine d’années plus tard, je suis arrivé à la direction de la Vie scolaire où j’ai alors pu monter le programme d’éducation financière auquel je réfléchissais depuis lors et mis en place une équipe pour sa conduite. J’ai bénéficié plus tard d’une formation en éducation financière à Paris auprès de la Fédération bancaire française, des Clés de la banque, de la Finance pour tous et de Finances et Pédagogie.

La phase pilote du programme a été conduite au cours de l’année scolaire 2012-2013 dans les Centres de formation pédagogique d’élèves-maîtres. Au regard de l’intérêt accordé par les bénéficiaires au programme et notant une expression de réels besoins en la matière, le programme a été soumis à la ministre de l’Éducation nationale et son cabinet qui l’ont cautionné et encouragé les initiateurs à le déployer à l’ensemble des personnels du ministère. Aujourd’hui, le programme est devenu un outil au service de la DRH dans la sensibilisation des enseignants sur la question du surendettement, qui mine le corps professoral et, conséquemment, menace les résultats et l’avenir scolaires de milliers d’enfants. Il est logé au Bureau d’exécution des projets (BEP) du ministère depuis le 14 mars 2014.

Le programme consiste à donner aux personnels le corpus de connaissances et de savoir-faire leur permettant de faire des choix informés et pertinents dans le domaine de la finance de base. Dans cette veine, nous sensibilisons les enseignants sur le surendettement. Plusieurs thèmes sont abordés au cours des formations:

  • la relation avec l’argent ;
  • les revenus et l’impôt ;
  • le budget et l’élaboration d’un budget personnel et familial ;
  • les services bancaires et financiers ;
  • l’épargne et l’investissement ;
  • les notions de base du crédit ;
  • l’endettement et le surendettement ;
  • le consommateur averti.
Le programme développe depuis peu des formations en direction des apprenants (élèves) en vue de les préparer à une approche saine des questions d’argent. Les notions d’épargne et de budget sont au centre de leurs formations. Plusieurs activités sont ainsi prévues pour leur éducation et inclusion financières : formation des présidents et trésoriers des coopératives scolaires en éducation financière et à la tenue d’une comptabilité simplifiée et des jeux-concours.

À ce jour, le programme a visité 11 directions régionales de l’éducation nationale et de l’enseignement technique (Drenet) et a formé 2 754 enseignants et 562 apprenants. Une formation de 41 assistants sociaux des différentes régions a été programmée pour une meilleure prise en charge des personnels surendettés du ministère.

L’évaluation en matière d’éducation financière n’est pas une chose aisée. Cependant, le constat qui est établi aujourd’hui, c’est que les personnes formées ont commencé à intégrer dans leurs habitudes, l’élaboration de budgets pour un meilleur suivi leurs ressources. C’est déjà encourageant.

Un accent sera maintenant particulièrement mis sur la formation de formateurs pour démultiplier le programme. En dehors du ministère de l’Éducation nationale, l’équipe réfléchit en ce moment à des stratégies pour développer une alphabétisation financière des populations fragiles et à faibles revenus. Nous pensons notamment aux groupements associatifs de femmes et aux jeunes non scolarisés.

Difficultés et perspectives

Les contraintes rencontrées dans le développement du programme sont de plusieurs ordres. D’abord, il y a l’épineuse question du financement. Les déplacements et la prise en charge de l’équipe pour le déploiement du programme dans les différentes régions reviennent cher. Or, le programme n’étant pas encore inscrit au budget du ministère, l’équipe peine à le déployer sur toute l’étendue du territoire. L’équipe se débat comme elle peut pour amener quelques structures privées à l’accompagner dans l’organisation des séances de formation. Ensuite, l’absence de documents sur l’éducation financière adaptés au contexte national est un autre défi qu’il faut relever. Pour étendre l’éducation financière à tout pays, il faut l’intégrer dans les programmes scolaires, amplifier la formation des formateurs et outiller les enseignants. Cela suppose qu’une réponse durable soit trouvée à la question du financement qui demeure, comme précisé précédemment, une contrainte majeure.

La question de la promotion de l’éducation financière doit être traitée d’une manière globale au plan sous-régional et même continental. Dans cette optique, nous envisageons de soumettre sous peu à notre ministère de tutelle, un projet d’organisation d’une rencontre sous-régionale des ministères de l’Education afin de dégager ensemble des stratégies pour le développement de l’éducation financière à l’école dans nos différents États.

En effet, l’éducation financière des populations s’impose aujourd’hui à tous. Elle est devenue « une exigence à la fois pratique et morale », afin de donner aux personnes démunies « les instruments élémentaires de leur survie et les outils qui les aideront à sortir de la trappe de la pauvreté [1] ». C’est à ce titre que j’invite les pouvoirs publics à s’approprier l’éducation financière comme un véritable outil de lutte contre l’exclusion financière et la pauvreté. C’est un passage obligé pour aller à l’émergence. Aussi, doivent-ils l’inscrire dans leurs différentes stratégies économiques et accepter d’appuyer les initiatives de promotion de l’éducation financière.

Nous demandons par ailleurs aux bailleurs et aux institutions financières internationales de soutenir les efforts dans le domaine. Nous souhaitons, pour notre part, qu’ils appuient financièrement le programme et l’aident à s’inscrire dans la catégorie des projets cofinancés de l’État de Côte d’Ivoire.

Enfin nous invitons le secteur privé à s’ouvrir au partenariat pour qu’ensemble nous puissions réussir ce challenge.


1 Extrait du discours de Clément Duhaine, administrateur de l'OIF à l'occasion de la cérémonie d'ouverture de la 2ème conférence de l'UBF à Bruxelles le 4 avril 2014.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº777
Notes :
1 Extrait du discours de Clément Duhaine, administrateur de l'OIF à l'occasion de la cérémonie d'ouverture de la 2ème conférence de l'UBF à Bruxelles le 4 avril 2014.