À qui doivent revenir les fonds du « placement préféré des Français » ? Depuis le big bang de 2008, qui a autorisé la distribution du Livret A par d’autres réseaux que les
Centralisation : un mécanisme complexe
Avant la « banalisation » du Livret A en 2008, tout était simple : l’intégralité des ressources collectées par les réseaux historiques était reversée, moyennant rémunération, à la Caisse des Dépôts et servait à octroyer des prêts aux organismes de logement social. Tout se complique lorsque de nouveaux établissements s’insèrent dans ce dispositif : la collecte s’accélère, puisant notamment sur des supports d’épargne auparavant intégralement à la main des banques. Un mécanisme complexe de centralisation des ressources est alors
Un relèvement des plafonds déstabilisant
Cet équilibre précaire trouvé entre les différents protagonistes ne dure qu’un temps. En 2012, fidèle à sa promesse électorale, François Hollande décide de relever à deux reprises le plafond du Livret A de 25 % et de doubler celui du LDD. L’impact est massif : près de 32 milliards d’euros sont collectés sur les seuls trois derniers mois de l’année 2012, soit après le premier relèvement, auxquels on peut ajouter 11 milliards pour le mois suivant le second relèvement. « La hausse des plafonds de l’épargne réglementée est intervenue dans un contexte de défiance vis-à-vis des marchés financiers, note Philippe Crevel, économiste spécialiste de l’épargne. Cela a contribué à un gonflement de l’encours un peu irrationnel au regard du rendement offert et de la finalité de ce type de placements, une partie non négligeable de l'épargne qui y est affectée n'obéissant pas à des considérations de court terme. »
Pour les banques, l’enjeu est de taille : les ressources qu’elles centralisent à la Caisse des Dépôts sont autant de dépôts en moins qu’elles peuvent, d’une part, intégrer aux nouveaux ratios de liquidité imposés par
Bien que l’État ait, au moins provisoirement, élargi le champ d’action du fonds d’épargne, en lui allouant des enveloppes exceptionnelles pour le financement d’infrastructures par les collectivités locales, ce surplus dépasse la demande de crédit à laquelle doit répondre la Caisse. En juillet 2013, un décret vient ainsi renvoyer le balancier du côté des banques. 20 milliards de collecte du Livret A et du LDD sont rétrocédés aux établissements bancaires, auxquels il faut ajouter 10 milliards rendus suite à l’abaissement du taux de centralisation du
Cette rétrocession ne va toutefois pas sans garde-fous : un nouveau ratio plancher, élargi par rapport à celui de 125 % introduit en 2011, est acté. Les fonds rétrocédés seront rappelés à la Caisse si le rapport ressources/emplois du fonds d’épargne tombe
Cher Livret A
Le mouvement de décollecte observé depuis le début d’année est-il de nature à changer cet équilibre retrouvé ? Malgré les 7 milliards d’euros de baisse de l’encours sur le Livret A et le LDD enregistrés en septembre et octobre, il semblerait que non. Pour Pierre Bocquet, « cette décollecte n’est pas si surprenante : la situation économique pousse naturellement les ménages à utiliser leur épargne de précaution, comme le Livret A ou le LDD. Le mouvement reste très limité et représente moins de 2 % de l’encours, qui avait beaucoup augmenté ces dernières années. »
Au-delà de l’effet conjoncturel, cette décollecte est aussi guidée par l’effet psychologique de la baisse de la rémunération versée à l’épargnant. De 4 % en 2008, le taux du Livret A et du LDD est tombé à 1,25 % en 2013 et même 1 % au 1er août 2014. Du jamais vu qui met du plomb dans l’aile à l'épargne réglementée, quand bien même ce 1 % net d’impôt reste financièrement intéressant pour eux avec une inflation culminant à 0,5 %.
Pour les banques et le fonds d’épargne, cette majoration du taux servi, décidée par l’État, est un poids. « Une formule a été fixée par les pouvoirs publics de manière à garantir à l’épargnant une rémunération supérieure de 0,25 % à l’inflation. Mais depuis longtemps, le taux décidé au final par les pouvoirs publics est supérieur à ce calcul », regrette Pierre Bocquet. Payer 1 % pour une ressource court terme quand les taux de marché sont quasi nuls constitue un handicap certain pour les banques. Handicap qui pousse même quelques réseaux à centraliser plus qu’ils n’y sont contraints à la Caisse des Dépôts. Suffisamment liquides pour satisfaire aux ratios bâlois, ils préfèrent compter sur le revenu généré par cette collecte pour le compte de l’État : les banques touchent en effet une commission sur les ressources qu’elles engrangent pour le compte de la Caisse. Fixé à 0,5 % en 2008, ce taux de commissionnement est toutefois descendu à 0,4 % en 2013, à l’occasion de la rétrocession des 30 milliards d’euros aux banques. « Cette commission sur les seules sommes centralisées à la CDC sert à financer la mobilisation des réseaux et infrastructures bancaires pour collecter et gérer les livrets, réaliser les millions de transactions annuelles, informer les détenteurs des produits et vérifier qu’ils n’en ont bien qu’un, conformément à la loi, liste Pierre Bocquet. On peut s’interroger pour savoir si ces 0,4 % sont suffisants pour couvrir l’ensemble de ces coûts. » Pour la Caisse, en revanche, ce sont quelques points de base de plus qui viennent renchérir une ressource déjà onéreuse et qui compliquent son exercice de recherche de rentabilité sur son portefeuille de marché (lire Encadré), quand les titres réputés liquides sont à des taux plancher.
Spécificité française, le Livret A cumule donc les contradictions : ressource très court terme mais aussi très stable, gérée par un empilement de lois dictées par des agendas politiques, elle rémunère en apparence peu mais reste chère pour les acteurs financiers. Schizophréniques, ils se battent pour la garder dans leurs bilans respectifs tout en reconnaissant qu’elle complique leur équation. Avec toutefois le credo commun de n’utiliser cette manne de 370 milliards d’euros que pour une chose : le financement de l’économie réelle.