Un événement de grande ampleur et à la portée mondiale se prépare : la transition de certains indices monétaires vers de nouvelles références (RFR), plus robustes et transparentes. En effet, les indices monétaires, comme le Libor ou l’Eonia, sont utilisés comme référence dans d’innombrables transactions, comme pour des prêts à des clients particuliers ou des entreprises, ou dans le cadre de transactions interbancaires, simples ou complexes (swap de taux d’intérêt, produits structurés). Ils interviennent quotidiennement dans le calcul de la valeur de produits financiers sur des encours de centaines de trillions d’euros : les indices monétaires de référence sont inextricablement intégrés à l’économie en général et au monde de la finance en particulier. Les montants sont colossaux (on estime à plus de 370 trillions de dollars d’encours notionnels contrats référençant des indices
Cette transition répond à une triple volonté :
- plus de transparence, après le scandale de la manipulation avérée de certains indices ;
- plus de liquidité, après une chute liée aux contraintes bâloise sur certains produits utilisés dans le refinancement des institutions financières ;
- plus de supervision, après la mise en application de la réglementation européenne BMR dès 2020[2].
La réforme des indices monétaires de référence s’engage dans les différentes institutions
Les impacts de la transition des indices BOR vers les nouveaux indices de référence (RFR) sont multiples (financiers, organisationnels, techniques…) et transversaux (v. Figure 1), car l’ensemble des départements (de la modélisation au juridique en passant par les trading desks ou la trésorerie) et fonctions (de la gestion financière à la vente de produits structurés) des acteurs du monde de la finance sont concernés.
L’industrie financière s’est mise en ordre de marche pour gérer cette transition et atténuer ses effets potentiellement colossaux :
- collectivement, par des groupes de travail, pour définir des taux à même de remplacer ces taux BOR ;
- individuellement, en lançant des programmes larges et ambitieux de quantification des impacts (sur le bilan, les activités quotidiennes…) et de transformation opérationnelle (définition de nouveaux produits et de nouvelles stratégies de vente, en passant par l’utilisation de nouvelles technologies pour analyser rapidement le contenu de dizaines de milliers de contrats référençant les indices BOR).
Le basculement des contrats existants
Trois éléments majeurs du basculement (fallback) des indices BOR vers les indices RFR vont déterminer la suite des événements : la méthodologie de calcul, le langage, l’existence d’alternative liquide.
Ces éléments se précisent pour la plupart des devises, mais à ce stade, rien n’est arrêté (v. Figure 3). En effet, la communication s’intensifie du côté des régulateurs (table ronde organisée par la BCE début novembre 2018), des groupes de travail (consultation du groupe de travail
Par exemple, la consultation organisée par l’ISDA, dont les résultats ont été rendus fin décembre et une méthodologie proposée début 2019, a pour objectif de recueillir les avis d’acteurs de la Place afin de proposer la méthodologie la plus appropriée (Forward, Historical Mean/ Median ou Spot-Spread). D’un côté, l’approche basée sur la moyenne historique a reçu les faveurs de l’ensemble de la Place pour l’ajustement du spread et la méthodologie du calcul en arriéré des intérêts composés pour le taux. De l’autre, cette méthode n’est pas la panacée car elle ne sera sûrement pas neutre en termes de valorisation et devrait être recalibrée si amenée à être sélectionnée. On peut également affirmer que certaines possibilités (Forward et Spot-Spread) sont mal placées pour succéder aux indices existants : elles sont soit trop difficiles à mettre en œuvre, soit accompagnées d’écarts de valorisation trop importants ou vulnérables à la manipulation.
Par ailleurs, on observe une liquidité qui augmente sur les contrats futures sur le
État d’avancement dans les différentes zones de devises
L’avancement des travaux dans les différentes régions est disparate, avec une approche pragmatique côté américain (les institutions financières doivent prouver à la FED être en mesure d’effectuer des transactions sur le SOFR) et plus organisationnelle en Europe (Dear CEO letter de la Financial Conduct Authority britannique demandant aux institutions de déterminer les impacts de la transition et de donner les grandes lignes du plan de transition ; peu de communication de la part de la BCE en marge de la dernière table ronde du 9 novembre 2018). D’importants développements sont attendus au premier trimestre 2019 pour l’ensemble des différentes zones de devises (v. Figure 4).
Tous les acteurs sont en ordre de marche, mais la question d’un temps suffisamment long pour une mise en œuvre à l’échelle du marché et au sein de chacune des institutions est posée. Les acteurs attendent des directives claires afin de mettre en œuvre leurs plans de transition, sans quoi des perturbations très importantes seront observées et impacteront l’ensemble des acteurs de notre économie globalisée, y compris chacun de nous.