Beaucoup de choses ont déjà été dites ou écrites sur la banque de demain et généralement, elles sont plutôt défavorables à l’encontre des acteurs bancaires traditionnels. Cela ne date pas d’hier. Le 22 février 1979, Michel Godet et Jean-Pierre Plas publiaient un article dans Le Monde au titre évocateur : « La banque sera la sidérurgie de demain ! ». Bill Gates, le fondateur de Microsoft, ajoutait en 1994 : « Banking is necessary, banks are not. » Et pourtant, les évolutions annoncées comme inévitables ne se sont pas réalisées aujourd’hui :
- les agences n’ont pas toutes fermé ;
- les pure players de la banque en ligne ne rassemblent pas 10 % de la clientèle ;
- les banques font preuve d’une forte réactivité par rapport aux technologies de rupture ;
- les FinTechs et les banques collaborent plus qu’elles ne se combattent ;
- les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ) n’ont pas remplacé les banques ;
- les paiements sans contact et mobile décollent lentement.
Des figures imposées pour les banques, libres pour les services bancaires
Rappelons que les banques sont encadrées par des couches de réglementations françaises, européennes ou mondiales, patinées par le temps et les contextes économiques. La loi bancaire de 1984 définissait la banque par ses opérations, comprenant :
- la réception de fonds du public ;
- les opérations de crédit ;
- la mise à la disposition de la clientèle ;
- la gestion de moyens de paiement.
Les ratios (fonds propres, solvabilité) auxquels elles sont soumises afin d’assurer leur solidité, et les réglementations en vigueur pèsent sur leur politique commerciale et tarifaire, leur capacité d’innovation, leurs investissements et, in fine, leur rentabilité. C’est en partie pour cela que les grands acteurs de l’Internet n’ont pas d’intérêt à devenir des banques. En revanche, ils montent en puissance sur les services bancaires comme les activités à flux, notamment autour du paiement.
La question de l’emploi est « brûlante »
Le principal facteur de transformation mis en avant par les banques est le digital, qui n’est autre que la poursuite de son informatisation. Le digital rompt les équilibres traditionnels entre les grandes fonctions, comme la distribution et la production, ou celles qualifiées de support. Il remet en question les modes de distribution physique, interroge sur le contenu de tous les métiers bancaires et sur les opérations transférées au client, et menace directement l’emploi. Plusieurs institutions comme le World Economic Forum (WEF), la Banque Mondiale, les Nations unies, France Stratégie, l’université d’Oxford ou, plus récemment, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont tenté d’évaluer l’impact de l’automatisation sur les métiers, à un niveau macro. Les méthodes d’estimation sous-jacentes valorisent les destructions d’emploi. Elles prennent rarement en compte les déplacements ou les créations liés à l’apparition de nouveaux métiers. La méthode développée par l’université d’Oxford appliquée stricto sensu à la banque de détail conduirait à une destruction de près de 60 % des emplois actuels d’ici 2025. À partir d’hypothèses de « créations » de nouveaux emplois et en affinant les coefficients d’Oxford, le solde resterait négatif. Selon nos calculs, le pourcentage d’emplois détruits avoisinerait les 30 %. Les fonctions commerciales seraient les plus touchées, soit une division par deux. Les fonctions informatiques doubleraient leurs effectifs.
Ces chiffres sont à prendre avec beaucoup de précaution. Les facteurs d’instabilité comme les crises économiques (chômage, croissance, bulles), géopolitiques (conflits, terrorisme), sociétales (mouvements sociaux, crise alimentaire, immigration), écologiques (catastrophes naturelles) ou technologiques (cyberattaque, fraude) sont souvent neutralisés. L’impact d’autres facteurs qui pourraient jouer un rôle d’accélérateur de ce phénomène, comme des choix politiques (refonte des contrats de travail, revenu universel), est difficilement mesurable.
Le passage à l’ère cognitive et l’intelligence artificielle : opportunité ou menace pour les banquiers ?
L’informatisation des mécanismes de
- l’augmentation de puissance de calcul des ordinateurs (ex. calculateurs quantiques), et la baisse des coûts des composants et des machines ;
- la massification de la production des données (ex. Internet, Open Data, réseaux sociaux, objets connectés, etc.) ;
- les avancées dans la compréhension et la reproduction des mécanismes de cognition.
Les initiatives, ou plutôt les expérimentations (voir Encadré), se multiplient dans la banque de détail, à l’instar de celle lancée par le Crédit
Par ailleurs, les tâches qui font référence à des textes ou à des codes et qui nécessitent la mise en place de contrôle sont susceptibles d’être redéfinies profondément : par exemple, le juridique, la conformité dont, en premier lieu, le KYC (Know Your Customer), l’audit interne, la comptabilité, etc. Ce mouvement a déjà démarré dans des cabinets d’avocats aux États-Unis (Dentons, Baker & Hostetler) ou en France (Bensoussan). L’effort à consacrer à la phase d’apprentissage, par la machine, des textes législatifs et de la jurisprudence n’est pas à sous-estimer. Pourquoi les banques n’emboîteraient pas le pas ? L’intégration de l’IA va également toucher le pilotage financier de la banque : le pilotage des risques, les systèmes de provisionnement, l’allocation des fonds propres. La gestion des compétences et, plus largement, la politique de formation des collaborateurs seront à leur tour potentiellement chamboulées. Quels seront les métiers bancaires de demain ? En conséquence, quelles formations dispenser ? Quels contenus et avec quels outils pédagogiques au vu de l’apport de l’IA ? Avec quels niveaux de profondeur, en particulier pour les jeunes recrues, quand on sait qu’une machine pourra faciliter le travail, par exemple, d’un conseiller bancaire ?
Quelle banque après-demain ?
L’exercice de définition de la banque de demain est très délicat. Ses caractéristiques dépendront du rôle que les États lui laisseront et de leur volonté ou non d’encourager l’ouverture de ce marché à d’autres acteurs. Le degré d’urgence qu’elle aura à baisser sa structure de coût dans un contexte de réduction de revenus et d’investissement en termes d’infrastructure technique pourrait être décisif.
Toutes choses étant égales par ailleurs, et à plus long terme, l’émergence d’une BankBot ou BankTech invisible et ennuyeuse semble tenir la corde après-demain. Et quels seront alors les profils types des banquiers ? Des informaticiens ? Des financiers pointus ? Des contrôleurs internes (ex. algorithmes) ? Répondre à ces questions revient finalement à dessiner la société de demain.