Square

Dans le camp Liikanen

« Le rapport Liikanen conserve des chances de s’imposer »

Créé le

21.05.2013

-

Mis à jour le

04.06.2013

Favorable à une mise en œuvre du rapport Liikanen, qui préconise de séparer l'ensemble des activités de marché, l'association Finance Watch conteste l'approche franco-allemande qui maintient la tenue de marché dans l'entité recevant les dépôts. Si la France et l'Allemagne ont de fortes chances d'influencer le choix que va faire l'Europe, une mise en œuvre du rapport Liikanen n'est pas exclue.

Quel intérêt voyez-vous à la séparation des activités bancaires ?

Le principal objectif est de protéger l'entité qui reçoit les dépôts, mais aussi de stabiliser le système financier et de l'assainir. Pour cela, une séparation étanche doit être instaurée entre, d'une part, les activités de dépôt et de crédit et, d'autre part, l'ensemble des activités de marché. Si la tenue de marché demeure avec les dépôts, elle bénéficie alors d'une garantie implicite de la part de l'État [1] qui, en cas de difficulté, porte secours aux banques universelles, car elles sont too big to fail. Cette subvention implicite permet aux banques de se financer à bas coût et ainsi de gonfler artificiellement l'activité de tenue de marché, souvent sans connexion avec l'économie réelle. Pour éviter cela, la préconisation du rapport Liikanen de séparer l'ensemble des activités de marché est efficace. À l'inverse, la loi française ne va pas changer les choses, car elle vise seulement à séparer les transactions qui ne se font pas avec un client. Toutes les prestations de services d'investissement à la clientèle sont exemptées de filialisation, de même que la tenue de marché.  J'en déduis que si une banque a pour client un hedge fund basé aux Îles Caïman qui spécule sur le prix du blé, elle pourra continuer de traiter avec lui au sein de l'entité qui reçoit des dépôts. Bien sûr, si le terme de client dans la loi devait s'entendre par « entreprise non financière », alors cela changerait totalement notre appréciation.

Avec l'introduction d'un seuil au-delà duquel la taille de la tenue de marché est jugée trop importante pour demeurer dans l'entité qui reçoit les dépôts, l'approche française se rapproche-t-elle du rapport Liikanen ?

Dans la logique de Liikanen, le seuil est connu à l'avance, il est très bas et, dès lors que le market making dépasse ce seuil, il est entièrement séparé. Dans la loi française, l'amendement Berger n'est pas aussi clair.  Si tout était filialisé en cas de dépassement, alors la loi française rejoindrait Liikanen ; en réalité, il semble que les sommes situées en deçà du seuil resteront dans la maison mère. Ce seuil aura donc une efficacité minime. De plus, le seuil pourra être fixé au cas par cas ; si cette option est utilisée, il y aura un seuil par banque, ce qui laisse place à l'arbitraire. Enfin, l'établissement de ce seuil n'est pas obligatoire.

En cas de difficulté de la filiale, dans quelles mesures la maison mère peut-elle être solidaire ?

Avec la structure mère-fille prévue par la loi, il n'y a pas de cloison étanche : la mère peut aider la fille (notamment en lui apportant de la liquidité) dans la limite du ratio grands risques [2] .

L'Allemagne est en train d'adopter une loi semblable au texte français…

Nous avons d'un côté une logique Liikanen dont le rapport Vickers est très proche et de l'autre une approche défendue par la France à laquelle l'Allemagne a emboîté le pas. Ces deux pays se contentent de séparer les activités de marché qui ne se font pas avec un client. Dès lors, les lois ont peu d'impact sur les établissements. Par exemple, Frédéric Oudéa a parlé de 0,75 % de l'activité du groupe Société Générale et BNP Paribas serait touchée à hauteur de 0,5 %.

Les banques soulignent qu'elles ont largement réduit leurs activités de marché depuis la crise, ce qui explique ces faibles pourcentages. Cette loi n'a-t-elle pas un rôle préventif, permettant à l'avenir d'éviter les pratiques d'avant-crise ?

J'admets que cette loi aura un rôle préventif, ce qui constitue une vertu mineure, mais je relève tout de même une incohérence : l'exposé des motifs de la loi affirme que la situation actuelle des banques n'est pas du tout satisfaisante. Cet exposé laisse penser que la loi va apporter un changement radical, or il n'en est rien : cette loi dite de séparation ne sépare rien, ou si peu...

Les arguments avancés pour la défendre ont varié dans le temps : alors que, en décembre 2012, ses concepteurs affirmaient qu'elle avait un impact, ils disent aujourd'hui qu'elle est essentiellement préventive.

Certaines banques vont renoncer à filialiser leurs activités pour compte propre et les arrêter ; les équipes ne risquent-elles pas de poursuivre le même travail au sein de hedge funds ?

Si une activité a une logique et une rentabilité, elle perdurera. Je ne pense pas que les banques vont cesser ces activités. Mais si tel était le cas, les hedge funds ne bénéficiant pas d'une garantie implicite de l'état, un tel transfert apporterait tout de même une amélioration. Sans cette garantie, ils ne trouveront jamais autant de financements que les banques universelles donc  jamais leur activité ne prendra une ampleur équivalente et s'ils trouvent ces financements, ce sera à un coût qui ne sera pas subventionné par la société.

Quel est l'impact de l'initiative franco-allemande sur le débat européen ?

Avant l'été, la France et l'Allemagne auront voté leurs textes ; j'y vois la volonté de préempter le débat européen. Cette stratégie semble porter ses fruits. Plusieurs signes montrent que la France et l'Allemagne sont en train d'influencer le débat européen préalable à l'adoption d'une réglementation sur la structure des banques. Nadia Calvino, directrice générale adjointe de la DG Marché intérieur à la Commission a affirmé le 25 avril que les législations mises en œuvre par les États membres (ce qui fait référence au couple franco-allemand) vont servir de cadre à la Commission pour élaborer les réformes structurelles destinées à résoudre le problème des banques too big to fail.

Par ailleurs, une étude d'impact d'une éventuelle mise en œuvre du rapport Liikanen, va être effectuée. Olivier Guersent a précisé que cette étude veillerait à ne pas sous-estimer les coûts ni surestimer les bénéfices ; cela donne une idée de l'état d'esprit de la Commission.

Enfin, les élections européennes ont lieu dans un an. S'il existait une volonté farouche d'aller vite et d'adopter une réglementation européenne avant le renouvellement  de la Commission et du Parlement, cela serait possible.  Si une initiative législative intervenait rapidement, elle serait proche de l'orientation franco-allemande. C'est ce que laissent imaginer les signaux envoyés par la Commission. De plus, dans un processus de codécision entre le Parlement et le Conseil, j'imagine mal ce dernier adopter un texte très différent des lois que deux poids lourds de l'Union – la France et l'Allemagne – sont en passe de voter.

Mais cet élan nécessaire à l'adoption rapide d'un texte européen ne semble pas exister, donc nous nous orientons au contraire vers un processus très lent. Dans ce contexte, le débat sur la séparation demeure ouvert et le rapport Liikanen conserve des chances de s'imposer.

Les Britanniques  peuvent-ils  faire évoluer le débat européen vers une ligne plus « liikanienne » ?

Les Anglais sont les seuls à préparer une vraie loi de séparation qui est désirée aussi bien par les travaillistes que par les conservateurs, mais elle est encore loin d'être adoptée. Le débat va se prolonger jusqu'à fin 2013 ou début 2014. De plus, les dissensions entre l'Angleterre et l'Union européenne n'aident pas la vision britannique à s'imposer.

En publiant son rapport, le Parlement européen pourrait influencer la Commission mais les députés semblent avoir des difficultés à trouver une position commune…

Le Parlement va remettre un rapport qui aura pour objectif d'influencer la Commission, mais le Parlement éprouve quelques difficultés à définir une position. Toutefois, le rapport provisoire est proche de notre vision.

Que pensez-vous de la règle américaine Volcker ?

Elle se contente d'interdire le trading pour compte propre, ce qui ne résout pas la question du too big to fail. Le market making demeure avec les dépôts et sa définition est devenue trop complexe, car il est impossible de dissocier le market making du compte propre. Enfin, quand j'ai demandé à Paul Volcker si l'épisode de la baleine de Londres aurait pu avoir lieu si sa règle avait été appliquée, il m'a répondu : « Oh, you know, with the lawyers, everything is possible »...

1 La directive en préparation sur la résolution vise à éviter, à l’avenir, le sauvetage de banques par les Etats (voir l’interview de Frédérick Lacroix), mais tant que ce texte n’est pas stabilisé, Finance Watch doute de son efficacité. 2 Ce ratio est de 25 % des fonds propres selon la loi, mais en pratique il se limite à 10 % (voir les interviews de Séverin Cabannes et de Frédérick Lacroix).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº761
Notes :
1 La directive en préparation sur la résolution vise à éviter, à l’avenir, le sauvetage de banques par les Etats (voir l’interview de Frédérick Lacroix), mais tant que ce texte n’est pas stabilisé, Finance Watch doute de son efficacité.
2 Ce ratio est de 25 % des fonds propres selon la loi, mais en pratique il se limite à 10 % (voir les interviews de Séverin Cabannes et de Frédérick Lacroix).