Depuis le premier exercice d’évaluation des bilans et de stress que la Banque Centrale Européenne (BCE) avait réalisé en 2014, juste avant de prendre ses fonctions de superviseur dans le cadre de l’Union bancaire, les banques italiennes sont désignées comme le maillon faible du secteur bancaire européen. Les déboires de la Monte dei Paschi de Siena, en 2016, puis les difficultés de deux autres banques vénitiennes, Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca, toutes plombées par un volume important de créances douteuses, en juin 2017, ont conforté l’idée d’une fragilité structurelle du secteur italien, dû à une fragmentation beaucoup plus forte que dans le reste du secteur bancaire européen. À l’heure des « narratives », de ces histoires que l’on construit pour orienter les analyses, les travaux de recherches et la décision publique, n’est-on pas en train de se tromper d’histoire, de détourner le projecteur d’un problème autrement plus préoccupant pour le secteur bancaire européen, celui de sa concentration ?
Une fragmentation protectrice ?
Petit exercice contrefactuel : que se serait-il passé si, au contraire, le secteur bancaire italien avait été plus concentré et que ce problème de mauvaise gestion et de contrôle manifestement défaillant avait concerné non pas des petites banques à la chute quasi indolore, mais des mastodontes, tels ceux qui figurent sur la liste des établissements systémiques établie par le Conseil de stabilité financière ? Parmi les 30 établissements de cette liste, 15 sont européens, dont 13 dans l’Union européenne et 8 dans la zone euro, et chacun est tel que, par sa taille, ses connexions, son internationalisation, s’il venait à rencontrer une difficulté, c’est tout le secteur qui se trouverait emporté. De ce point de vue, n’est-ce pas la fragmentation du secteur bancaire italien qui pour le coup a protégé la zone euro d’une véritable crise bancaire systémique ? La question mérite d’être posée.
Pour autant, la concentration du secteur bancaire européen est un sujet difficile, auquel d’ailleurs les régulateurs peinent à s’atteler. Pour plusieurs raisons.
L’aura des champions nationaux
Politique d’abord, dans la mesure où la formation de grands établissements bancaires a été encouragée dans la plupart des pays d’Europe par les pouvoirs publics qui y voient encore des champions nationaux, des porte-drapeaux, dont les intérêts se confondraient avec ceux du pays tout entier. Ce faisant, la taille de bilan des banques européennes, a fortement crû dans les années 2000 et n’est pas loin pour les plus grandes d’entre elles du produit intérieur brut de leur pays d’origine (cf. Rapport Liikanen, 2012 ou Rapport de l’ESRB,
Les atouts de la banque de taille intermédiaire
Économique ensuite, dans la mesure où la concentration porte à controverse chez les économistes, tout particulièrement en ce qui concerne le secteur bancaire : une grande banque est-elle plus ou moins solide qu’une petite banque ? À taille équivalente, vaut-il mieux, pour le financement de l’économie comme pour la stabilité financière, un secteur bancaire structuré autour d’un petit nombre de grandes banques ou bien un secteur bancaire structuré autour d’un grand nombre de petites banques. Les tout premiers modèles d’économie bancaire développés au début des années 1980 dans le prolongement de celui de Douglas Diamond en 1984 ont fait de la diversification des actifs bancaires la clé de la viabilité de l’intermédiation. On est tenté d’en déduire qu’une grande banque remplit a priori mieux ses fonctions qu’une petite : collecter et gérer les dépôts, fournir les moyens de paiements qui vont avec, mutualiser l’épargne, financer l’économie. D’autant plus que la banque est une industrie de réseaux (de guichets hier, informatique et électronique aujourd’hui, numérique demain) dont les coûts se prêtent à des économies d’échelle. Cependant, même à rester dans le cadre abstrait de ces modèles de banque représentative, sans prise en compte des interactions au sein du secteur, n’y a-t-il pas un effet de seuil ? Il se peut, en effet, que la relation, comme souvent, ne soit pas linéaire, mais ait plutôt une forme en U inversé : une petite banque a trop peu les moyens de supporter les coûts de son réseau et de gérer ses risques individuels, mais une trop grande banque s’expose à diverses « dés-économies » d’échelle (difficile à gérer, à contrôler) et expose le secteur à un risque systémique. Il y aurait de ce point de vue un intervalle de taille acceptable, ni trop petite, ni trop grande.
La délicate mesure de la concentration
La difficulté est également d’ordre empirique. Comment mesure-t-on la concentration ? Généralement en rapportant l’actif des trois ou cinq plus gros établissements bancaires d’un pays à l’actif total du secteur, ou bien à partir d’un indice de Herfindahl Hirschman emprunté à l’économie industrielle, consistant à sommer les parts de marché élevées au carré des banques de l’ensemble du secteur. Chaque année, la BCE publie un rapport sur la structure du secteur bancaire
La taille : un bon critère ?
Au-delà même de la taille, c’est davantage l’orientation des ressources de la banque vers le financement d’investissements productifs et sa capacité à assumer des pertes éventuelles qui se révèlent déterminantes pour la croissance économique et pour la stabilité financière (Cournède et L. Mann, 2017 ; Admatti et Hellwig, 2013). Il s’avère que les grandes banques européennes ne sont aujourd’hui ni plus portées sur le financement de l’investissement productif, ni moins risquées ou plus capitalisées que leurs consœurs américaines qui sont en moyenne de moindre taille (Langfield et Pagano, 2016). C’est par la dette de marché qu’elles ont accru leurs ressources aux bilans et principalement par des activités de marché qu’elles ont accru en contrepartie leur actif (ESRB, 2014). C’est donc en restreignant l’accès à la dette de marché et en limitant les activités de marché, que l’on pourrait dans le même temps réorienter les ressources des banques vers le financement des activités productives et réduire leur taille. Le renforcement des exigences de fonds propres et l’introduction des exigences de liquidité depuis les accords de Bâle III n’y contribuent que trop modestement.