Novembre 2013, après 6 études d'impacts et d'interminables négociations, le vent du désintérêt qui menaçait d'emporter les espoirs de voir la directive Solvabilité 2 être appliquée un jour est tombé : la date de mise en application de cette directive est définitivement fixée au 1er janvier 2016, avec un calendrier serré de préparation. Au passage, l'ambition de gérer la solvabilité à partir d'un bilan totalement en valeur de marché tant au passif qu'à l'actif est partiellement abandonnée, car impraticable dans la réalité : dans certains pays, les assureurs ne sont pas encore prêts à supporter le coût économique de leurs déséquilibres actifs passifs structurels, et la crise a mis en relief la volatilité des bilans en valeur de marché ainsi que les effets pro cycliques de la réglementation telle qu'elle était voulue à l'origine.
Il en résulte un paquet de mesures, certaines permanentes, d'autres transitoires, qui vont toutes faciliter le passage à la nouvelle réglementation.
Notre intuition est que Omnibus 2– le paquet de mesures défini en novembre 2013 –, auquel s'ajoutent des mesures comme
Parmi les mesures permanentes, nous notons :
- l'extrapolation des taux de marché sans risque utilisés pour actualiser les passifs au-delà de 20 ans (courbe euro) vers un taux (forward) ultime dans 60 ans de 4,20 %, conduisant, dans la configuration de marché actuelle, à des taux artificiellement plus élevés que les taux de marché au-delà de 20 ans ;
- l'ajout, sous réserve de l'approbation du régulateur, d'une prime à la courbe des taux sans risque pour tenir compte à la fois du caractère illiquide des passifs et du fait que les primes de risque de crédit implicites dans le prix de marché des obligations et actifs assimilés sont généralement disproportionnées par rapport aux défauts historiquement observés sur ces actifs. Cette mesure à un effet contracyclique dans la mesure où la prime augmente dès lors que les spreads s'écartent. Deux régimes permettent de bénéficier de cette prime :
- Le régime de l'ajustement d'adossement (matching adjustement), relativement contraignant, réservé à un type limité de portefeuille d'assurance, dont les cash flows de passif sont très stables, sans optionalité, et avec un adossement strict aux cash flows des actifs en représentation. Ce régime semble à ce stade applicable seulement aux portefeuilles de rente au Royaume-Uni et en Espagne. Le principe de ce régime est de permettre l'actualisation des passifs à un taux dont la prime d'actualisation dépend des actifs qui leur sont adossés : cette prime augmente mécaniquement quand les primes de risque de crédit sont stressées dans le cadre du calcul du besoin en capital. Dès lors, ce régime permet à la fois d'augmenter les fonds propres et de diminuer le besoin en capital au titre du risque de marché.
- Le régime de l'ajustement de volatilité (volatility adjustment), s'appliquant aux autres types de passifs (moins stables, comme en Allemagne ou en France). La prime d'actualisation dans le cadre de ce régime est plus faible que dans le régime d'ajustement d'adossement avec une calibration basée sur un portefeuille de référence paneuropéen et non sur les actifs réellement en représentation des engagements.
L'actualisation des passifs à un taux différent des taux de marchés trahit partiellement la volonté initiale des régulateurs d'avoir un bilan en valeur de marché et un capital basé sur le stress de ce bilan. Elle introduit également en l'état un biais favorable significatif en faveur des investissements dans des classes d'actifs à taux fixe comme les prêts et les obligations (incluant les actifs dont le coupon est variable, par exemple indexé à l'inflation), tant les charges en capital nettes seront faibles par rapport à celles des autres classes d'actifs comme les actions, sous réserve qu'aucune mesure ne soit prise en faveur des actions.
Actions : une augmentation homéopathique
À ce titre, par exemple, depuis 2008, l'appétit stratégique des compagnies d'assurance pour les marchés actions et assimilés a été altéré par plusieurs facteurs endogènes, tels la chute des marchés actions, leur volatilité, l'
Mais de façon générale, il résulte de la réglementation anticipée que nombre d'acteurs gérant des passifs longs, dès lors que le taux de rendement des actifs à taux fixe disponibles est supérieur à leurs taux garantis plus leurs coûts, misent beaucoup aujourd'hui sur la construction de
Cette stratégie exige de relever certains défis, car la disponibilité des actifs longs n'est pas illimitée, à la fois sur le marché primaire et sur le marché secondaire.
En effet, les obligations autres que celles émises par les États sont relativement courtes (7 ans) par rapport aux passifs des fonds de pension et de beaucoup d'assureurs vie en Europe. Sur les émissions financières, l'offre est également très limitée et concentrée, par rapport à la demande d'actifs et de diversification.
Prêts et créativité obligataire
Aussi, depuis 2 ans, les acteurs institutionnels ont cherché à diversifier les classes d'actifs à taux fixe dans lesquels ils investissent, et ont soit étoffé leurs équipes ou fait appel à des gestionnaires d'actifs pour combler leur gap de connaissance sur le sujet par rapport aux banques, et disposer de ressources dédiées pour participer à l'aventure.
Celle-ci a démarré avec :
- des prêts ou des financements obligataires aux économies locales (midcaps, collectivités publiques) dans le cadre de placements privés, qui permettent de diversifier l'offre d'actifs à moyen terme, et parfois d'aller chercher des maturités plus longues (10-15 ans) et des primes d'illiquidité attractives dans la configuration actuelle ;
- des financements d'achats immobiliers commerciaux et, dans certains pays (en Belgique et aux Pays-Bas), des prêts immobiliers hypothécaires aux particuliers ;
- des investissements peu risqués comme les prêts aux entreprises investissant dans des biens stratégiques à l'export, garantis par des agences de crédit à l'exportation.
Les infrastructures comme nouvel horizon
L'aventure semble donc devoir se poursuivre aujourd'hui avec des financements de projets longs et beaucoup plus complexes, qui permettent d'atteindre le sweet spot des investisseurs institutionnels en termes de duration, risque de défaut, notation, et prime d'illiquidité. Les besoins recensés de financement de l'économie (comme celui des infrastructures) semblent offrir une opportunité intéressante pour les assureurs, d'autant plus que les banques, qui ont réglé une grande partie de leur problème structurel de liquidité, semblent aujourd'hui plus tournées vers le financement à court et moyen terme de l'économie, plutôt que sur le long terme, dont l'horizon semble plus adapté aux assureurs et fonds de pension. Dans ce nouveau paysage, les banques peuvent aider à « originer » les transactions (loans ou bonds), retenir une partie du risque pour l'alignement d'intérêt, et apporter leur expertise de structuration pour mieux protéger les investisseurs en cas de défaut, ou couvrir le risque de prépaiement.
Enfin, on recense actuellement des initiatives de la part des banques pour ressortir sous format obligataire les cash flows longs issus de positions de produits dérivés face à des contreparties corporate ne collatéralisant pas leurs obligations vis-à-vis des banques, et dont la valeur de réalisation est positive (voir Encadré). Ces positions coûtent cher aux banques en coût de financement long et en capital, et ces dernières peuvent s'en débarrasser en proposant des taux de rendements en ligne avec les attentes des investisseurs institutionnels.
Aujourd'hui, l'essor de ces marchés longs et illiquides reste toutefois à concrétiser pour correspondre aux volumes que recherchent les acteurs institutionnels. Ces derniers doivent donc toujours, pour le moment, gérer leur adossement avec :
- des actifs longs, liquides et de bonne qualité, principalement des titres d'État, dont les rendements sont aujourd'hui relativement peu attractifs ;
- des instruments dérivés (principalement des swaps et des achats d'obligations à terme), eux-mêmes collatéralisés par des actifs sûrs et liquides.