Square

Prospective

Le paiement mobile aux États-Unis

Créé le

24.09.2012

-

Mis à jour le

15.06.2017

Aux États-Unis, la carte de paiement sans contact a été disqualifiée, jugée sans intérêt pour les utilisateurs : le paiement NFC sur téléphone mobile va-t-il subir le même sort ? Il semblerait que les acteurs américains soient plus convaincus par les wallets mobiles. Reste à savoir si ces tendances outre atlantique peuvent préfigurer l’évolution du marché européen.

La thématique « NFC mobile » est un sujet apprécié des journalistes, des organisateurs de salons et de séminaires. La non-présence du NFC sur l’iphone 5 a d’ailleurs provoqué une avalanche de commentaires. Pourtant, près de 10 ans après ses premiers pas, le NFC n’est pas encore une réalité palpable pour les consommateurs. Certains, tels Paypal, se risquent même à avancer qu’elle pourrait ne jamais le devenir.

Un écosystème complexe

L’absence de téléphones NFC a longtemps été mise en avant comme l’argument principal du non-décollage de ce protocole. Cet argument semble faiblir aujourd’hui malgré le coup de pied à l’âne d’Apple. Autre argument légitime : l’absence d’une infrastructure d’acceptation justifierait le peu d'engouement pour le paiement mobile NFC. Les banques françaises sont désormais à l’œuvre pour équiper les commerçants en terminaux sans contact, tout en étant conscientes que cela prendra du temps, notamment pour le petit commerce.

Désormais tout le monde semble cependant s’accorder sur le fait que le paiement ne pourra pas être, à lui tout seul, la « killer application » NFC mobile dont on rêvait. Au-delà des discours de circonstance, « dématérialiser » leurs cartes de paiement dans un téléphone pose beaucoup de questions aux banques. Et rajouter dans cet écosystème jugé complexe d’autres acteurs – transporteurs, distributeurs, opérateurs de fidélité et de couponing, acteurs de l’Internet (Over The Top) – ne fait aux yeux de beaucoup que rajouter de la complexité à la complexité.

Le test du marché américain

Il est intéressant d’analyser la situation du marché américain sur cette thématique du paiement mobile NFC, car on peut raisonnablement penser que le marché américain sera structurant pour l’avenir de cette technologie. Les principaux intervenants y sont positionnés (Google, Telcos, banques, Visa, MC, Gemalto, Oberthur, Walmart, Macies, First Data…) et bien que la technologie « NFC tap-to-pay » y soit considérée comme « prometteuse », on peut penser que le marché américain ne patientera pas aussi longtemps qu’en Europe pour connaître le succès du NFC.

Si les banques européennes se sont emparées du sujet paiement mobile sans contact avant le marché américain, les banques américaines ont lancé leurs cartes sans contact avant les banques européennes. Or sur le marché américain, la réponse des consommateurs a été sans équivoque : pas intéressant ! Le paiement sans contact ne nous apporte rien de plus. Dans le même temps, les commerçants n’ont pas suivi pour mettre leurs terminaux à niveau. Les banques américaines n’ont désormais plus la possibilité d’acheter du temps pour passer par la case « carte sans contact » avant d’aller à celle du paiement mobile sans contact, tant le verdict des consommateurs et des commerçants a été sans appel.

Les opérateurs mobiles à la manœuvre

En décembre 2010 AT&T, Verizon, and T-Mobile (trois des quatre opérateurs mobiles majeurs américains, à l’exception de Sprint) ont créé Isis, joint venture dont la mission est de mettre en place « un système national de commerce mobile devant transformer fondamentalement la façon dont les gens achètent et payent ».

Près de 3 ans après, le premier pilote n’est toujours pas lancé et Isis vient d’annoncer, mi-septembre, que ses deux projets pilotes prévus à Salt Lake City et Austin étaient à nouveau repoussés à une date ultérieure devant être annoncée en octobre. Aucune explication n’a été donnée pour ce retard. Tout au plus sait-on d’après la direction d’Isis qu'il « n’est pas dû à un changement de stratégie ou de modèle économique ». 6 mois après sa création, Isis avait déjà opéré un virage majeur en renonçant à partir sans les banques, invitées à adhérer à son initiative et en tendant la main aux gros acteurs de l’industrie du paiement Visa et Mastercard.

Pour le moment les banques américaines sont, d’après nos observateurs locaux, très mesurées quant à leur intérêt à collaborer avec Isis. Certes Chase, Capital One et Barclaycard US ont signé un accord dans le cadre des deux projets pilote ; mais Bank of America et Wells Fargo, deux acteurs majeurs, ne bougent pas ; quant à Citibank, elle a décidé de collaborer avec Google et Sprint à fin 2011 dans le cadre du Google Wallet, aujourd’hui en cours de relance après un raté de départ. C’est d’ailleurs cette initiative de Citibank avec Google qui avait poussé Chase et Capital One à bouger, plus « pour voir » qu’avec une réelle stratégie volontaire sur le sujet.

Les banques américaines sceptiques

Éliminons d’abord les arguments habituels que nous connaissons tous sur le syndrome de la poule et de l’œuf (absence de terminaux mobiles et d’infrastructure d’acceptation). Ce ne sont pas les principales raisons pour lesquelles les grands banquiers américains sont sceptiques. Deux critères les poussent à attendre : le consommateur et le modèle économique.

Échaudés par les échecs des cartes sans contact, ils sont convaincus que le paiement mobile sans contact n’apportera à lui seul rien de fondamental au consommateur. Pour eux, le paiement sera central mais totalement insuffisant ; ils sont sceptiques sur les projets pilote d’Isis, et ce d’autant plus qu’Apple vient d’envoyer un message clair sur l’urgence d’attendre pour éventuellement avancer sur le NFC.

Quant au modèle économique proposé par Isis aux banquiers américains, il ne semble pas les convaincre du tout. Les enjeux financiers sont énormes. Leurs portefeuilles de cartes se comptent en dizaines, voire en centaines de millions. 5 dollars par compte carte et par an, voilà ce qui avait été proposé par Isis aux banques initialement et refusé par ces dernières. D’après nos dernières informations, le prix s’était rapproché d’un dollar, ce qui ne laisse pas beaucoup de chances à Isis et à ses fournisseurs pour vivre ! Les banquiers considèrent aujourd’hui que ces frais viennent s’ajouter à leurs structures de coûts déjà sous pression et ils ne voient aucune substitution à l’horizon de leurs plans à 3 et 5 ans.

L’avenir d’Isis nous apparait incertain, tant la tension doit être forte au sein de ce tour de table regroupant des acteurs mobiles concurrents autour d’un projet au succès commercial et au modèle économique improbables. Quant au soutien des décideurs bancaires à très haut niveau, il n’apparaît pas clairement. D’après nos informations, il s’agit pour eux tactiquement d’un sujet à ranger dans la catégorie « so what? ». Un arrêt d’Isis en 2013, tout du moins dans sa forme actuelle, n’est donc pas à exclure.

La priorité EMV

Le paiement NFC aura cependant eu un effet très positif pour les fournisseurs de puces et infrastructures de sécurité absents historiquement du marché du paiement US. Désormais, le sujet de l’EMV est bien sur la table et les banquiers américains le considèrent très sérieusement. La problématique fraude qui n’avait jamais été un sujet ultra prioritaire sur le marché US est désormais passée en priorité haute. Les modèles économiques de cartes se dégradent en effet (baisse des encours crédit, montée en puissance des produits de débit, baisse des interchanges, augmentation de la fraude liée aux achats e-commerce) et alors que la plupart des pays passent à EMV, le marché américain isolé tend à concentrer la fraude sur des cartes plus faiblement protégées.

Mais de ce fait, les banquiers américains vont devoir digérer d’abord cette transition à l’EMV, avant de pouvoir attaquer le sujet de l’innovation du paiement mobile : pas sûr en effet qu’ils aient les ressources et la motivation pour attaquer les deux sujets en même temps.

Le buzz autour du wallet mobile tend à marginaliser le sujet NFC

Alors que le soufflé du paiement mobile NFC semble retomber un peu, apparaissent désormais les wallet mobiles, dans un marché qui tend à devenir de plus en plus fragmenté depuis l’annonce à l’automne 2011 du wallet de Google. Un wallet mobile n’est ni plus ni moins qu’un portefeuille sécurisé, dans le mobile ou le cloud, où l’on vient stocker toutes sortes de cartes. Quel lien avec le NFC ? Aucun si l’on se concentre sur le marché en forte croissance du e- et m-commerce où les solutions de sécurisation de Visa et Mastercard (3D Secure) ne sont plus présentées comme la panacée. Le NFC revient dans la course dès lors que le wallet doit authentifier l’acheteur en paiement dans un réseau de commerçants physiques. Mais sur ce terrain, l’initiative de Google préfigurant un wallet mobile NFC n’est encore pas très convaincante.

Il apparaît que l’attention des acteurs se porte désormais plus sur le wallet que sur le paiement NFC. Visa et Mastercard ne veulent visiblement pas se laisser enfermer dans Isis et concentrent aujourd’hui leurs efforts sur leurs wallets mobiles annoncés récemment (V.me et Mastercard PayPass). Visa et Mastercard ont certes donné une licence pour que le wallet Isis puisse communiquer avec leurs systèmes, mais ils souhaitent avoir plusieurs cordes à leur arc et disposer d’une infrastructure cloud où le paiement est géré de manière sécurisée en tout online grâce à leur propre wallet, de préférence à celui proposé par Isis. L’approche offline permise par une authentification NFC sur le point de vente apparaît dès lors comme une option parmi d’autres.

Sans nier aux opérateurs mobiles leur rôle d’activateur de marché, Visa, tout particulièrement, appréhende de voir les Telcos investir trop profondément la chaîne de valeur du paiement et préfère cantonner Isis et le NFC dans un positionnement de « Technology enabler ».

Le Google wallet

Google a été le premier à se lancer à mi-2011 dans le cadre d’un partenariat avec Citigroup et Sprint. Plus d’1 an après, le succès se fait attendre et Google a dû récemment relancer son offre (voir Encadré 1). Pour bénéficier du wallet de Google dans sa version initiale, il fallait avoir un abonnement chez Sprint (ou Virgin Mobile) et une Citibank Mastercard. Pour les clients ne disposant pas de Citibank Mastercard, Google avait mis au point une carte prépayée s’appuyant sur l’infrastructure Paypass de Mastercard, mais malheureusement des problèmes de fraude ont obligé Google à en suspendre la distribution.

Avec Google, la vraie valeur du wallet NFC apparaît plus que jamais non pas dans le paiement lui-même, mais dans la capacité à pousser des offres vers les utilisateurs du Google wallet (Google offers). Certes ces offres ne sont pas réservées aux porteurs du wallet, mais celui-ci permet de bénéficier plus facilement de l’offre par un « single tap » dans un réseau de commerçants identifié sous la marque Google SingleTap™.

Tout le monde s’accorde à dire que cette combinaison paiement/fidélité/animation des points de vente est nécessaire. Sera-t-elle gagnante à la fin ? Google lui-même admet que l’adoption et l’usage dans un écosystème NFC seront plus lents que prévu initialement.

MCX : une initiative des groupes de distribution américains

Google a bousculé le marché au point que désormais un grand nombre de solutions de wallets mobiles ont émergé, au-delà d’Isis, de Visa et de Mastercard. La capacité d’acteurs puissants comme les Telcos, les banques et Google à venir prendre part à la relation avec leurs clients au plus près du point de vente inquiètent notamment les commerçants.

14 groupes majeurs de distribution américains (Wal-Mart, Target, Best Buy, 7-Eleven, Sears, Shell…) ont décidé de lancer en août 2012 le consortium MCX (Merchant Customer Exchange) pour proposer « une expérience unique de paiement mobile dans leurs magasins ».

Ils s’estiment légitimes pour prendre toute leur part à la bagarre sur ce sujet, en s’appuyant sur leur connaissance des consommateurs et leurs investissements dans des programmes de fidélisation et d’animation de leurs points de vente.

Une autre volonté affichée est de diminuer les coûts des moyens de paiement, ce qui peut laisser augurer que des moyens de paiement alternatifs aux cartes seront proposés (cartes privatives, prélèvement automatique, etc.) et qu’à l’inverse les cartes Visa et MC pourraient ne pas être acceptées dans leurs wallets.

Prétextant autre chose « qu’une simple carte dans un téléphone », sans révéler pour le moment quand ils seront en mesure de lancer leur solution et quel sera leur scénario technologique, on sait juste que « l’application sera disponible sur tout smartphone et proposera une large gamme d’offres, de promotions et programmes ». Ce qui laisse donc penser que le NFC ne serait pas la seule technologie proposée, tout du moins au lancement.

Cette initiative est loin d’être gagnée. La compétition existe entre ces groupes de distribution et l’accès aux données du wallet va devenir un sujet très sensible. En outre, s’ils adoptaient le NFC l’accès au « Secure element » nécessiterait de définir leur relation avec les opérateurs mobiles, une contrainte qui s’avère un vrai problème pour Google et limite le nombre de smartphones et tablettes acceptant son wallet.

Paypal reproduit la stratégie d’American Express

Aux États-Unis, PayPal, a commencé à déployer une solution de paiement sans contact sans le NFC, s’appuyant sur le QR code (2 000 magasins Home Depot et une quinzaine d’enseignes nationales dont Abercrombie & Fitch, Barnes & Noble, Foot Locker, JC Penney, Toys R Us).

Le management de Paypal fait preuve d’un désintérêt marqué pour le NFC, confortant une stratégie « Closed loop » qui s’oppose frontalement à celle de Google, des banques et des Telcos. Son président, John Donahoe, a récemment affirmé qu’il ne voyait pas « comment le paiement mobile NFC pouvait s’imposer, n’apportant aucune valeur au consommateur ». Répondant à la question d’un horizon possible pour son décollage, sa réponse a été sans équivoque : jamais. Paypal refuse de rentrer dans un écosystème de paiement trop largement contrôlé par les opérateurs mobiles et appuie son argumentation sur le fait que Verizon (un partenaire d’Isis) a refusé l’application Google wallet sur des téléphones NFC.

Notre analyse est que Paypal fait le pari du mobile sur le long terme, mais ne veut pas se laisser enfermer dans un écosystème de paiement complexe où il dépendrait de multiples acteurs présents sur la chaîne de valeur. Avec 50 ans d’écart, Paypal a de fait une stratégie qui ressemble en de nombreux points à celle d’American Express (voir Encadré 2) et, pour cette raison, elle est susceptible de l’amener sur un succès équivalent à celui d’Amex dans un laps de temps « numérique » accéléré.

Et Apple dans tout cela ?

Apple, qui n’a toujours pas déployé de projet de paiement mobile sans contact, est proche de Paypal dans son analyse de la technologie NFC : « une technologie parmi d’autres qui, pour l’instant, ne démontre pas ce qu’elle peut apporter au consommateur, avec un écosystème complexe difficile à contrôler ». Apple possède de loin le plus gros système de paiement mobile mondial avec iTunes sur lequel Tim Cook, en juin 2012, a donné quelques chiffres : iTunes gère le plus gros hub mondial de cartes de paiement, avec plus de 435 millions de comptes iTunes en juin 2012, soit un quasi-doublement en 1 an. Ces comptes peuvent acheter en ligne des applications, de la musique, des films, des émissions de télévision sans avoir à ressaisir leur numéro de carte. iTunes app store a payé plus de 5 milliards de dollars aux développeurs d’application, ce qui signifie que les consommateurs ont payé environ 7 milliards de dollars (Apple prélève 30 % sur ces ventes).

Le modèle de paiement d’Apple dans le monde physique sera sans doute différent de ce que nous avons déjà vu et imaginé. La vision d’Apple est de positionner son iPhone encore plus comme un élément de vie quotidienne (ce qu’il est déjà) pour démarrer sa voiture, ouvrir la porte de sa maison et, bien sûr, pour payer des biens et des services. Apple a déposé de nombreux brevets dans le domaine du paiement, dont récemment un « motion-based payment confirmation » permettant de confirmer un paiement par des canaux multiples.

Avec la sortie de l’iPhone 5, un mouvement important vient d’être fait avec l’annonce de Passbook, une application qui permet de stocker ses coupons, tickets et cartes dans un seul endroit sécurisé. Les développeurs d’applications Passbook sont déjà à l’œuvre. Et Apple, avec son nouvel IOS6, son système propriétaire de géolocalisation MAPS et Facebook plus iPhone, peut proposer des applications de paiement Passbook très contextualisées avec le monde physique.

Si Apple peut avoir une masse critique d’utilisateurs de son Passbook, il pourrait essayer de convaincre les commerçants de modifier leur système d’encaissement pour accepter l’iPhone comme moyen de paiement. Et ce d’autant plus facilement qu’il possède cette base iTunes de près de 500 millions de cartes bancaires prêtes à être mises à contribution pour finaliser le paiement.

À l'horizon de 3 à 5 ans

Le paiement mobile sans contact pourrait émerger plus rapidement aux États-Unis qu’en Europe dans des écosystèmes simples et avec des offres apportant une réelle valeur aux consommateurs et aux marchands. Il sera à notre avis assez ciblé, dans des modèles plutôt « closed loop » et n’atteindra donc pas des cibles « mass market » à un horizon de 3 à 5 ans. Les banques vont plutôt se concentrer sur le sujet de l’EMV, l’écosystème mobile sans contact restant pour le moment en dehors de leurs priorités de court terme. Elles vont observer attentivement ce qui se passe notamment du côté de la grande distribution et de Paypal, avant de bouger si nécessaire, tout en suivant attentivement Apple. Google est encore très novice sur le sujet du paiement et il peut difficilement bouger sans les banques. Quant aux Telcos, ils pourraient reprendre des initiatives mais dans le cadre d’accords bilatéraux avec des banques ou en devenant eux-mêmes émetteurs de cartes de paiement. Le NFC n’apparaît pas encore comme la technologie clef capable de faire basculer le marché. La convergence des plates-formes de paiement à distance avec celles du paiement de proximité est susceptible de faire émerger des parcours clients qui restent encore à inventer.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº752