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Contexte réglementaire

Les sociétés d’asset management dans la tourmente

Créé le

20.06.2011

-

Mis à jour le

05.04.2012

Victimes collatérales de Bâle III et de Solvabilité 2, les sociétés de gestion doivent se renouveler. Elles préparent leur contre-offensive. Un nouveau type de fonds adapté à la réglementation prudentielle bancaire pourrait notamment voir le jour.

En tant que président de l’AFG qui regroupe les sociétés de gestion d’actifs, pouvez-vous nous dire quels sont les principaux facteurs qui impactent vos adhérents ?

L’élément majeur pour les sociétés de gestion, ce que l’on pourrait appeler leur matière première, c’est le montant des actifs susceptibles d’être gérés. Ces liquidités augmentent à l’échelle internationale. D’une part, les particuliers sont de plus en plus nombreux à se préoccuper de leur retraite et à épargner pour la préparer ; d’autre part, le nombre de personnes fortunées a tendance à croître dans le monde. Toutefois, la situation en France est médiocre : même si l’épargne est abondante, tout est fait pour favoriser les placements à court terme. Une grande partie de l’épargne va donc dans des livrets bancaires au lieu de s’investir en actions ; elle échappe donc à la gestion d’actifs et surtout, elle ne finance pas l’économie de façon optimale.

Et la clientèle institutionnelle ?

Solvabilité 2 dissuade les assureurs de placer leurs provisions en actions. Les chiffres de la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurance) montrent que la part de ces actifs a baissé drastiquement dans les portefeuilles de ces institutionnels. Certes, la part des produits de taux a augmenté en contrepartie, mais ces fonds demandent moins de valeur ajoutée ; de plus, ils sont fréquemment gérés en interne par les assureurs, alors que la gestion des actions est le plus souvent déléguée à des sociétés externes.

Ce contexte pousse les sociétés de gestion à réfléchir à de nouvelles approches, adaptées à cette réglementation. Par exemple, elles conçoivent des produits qui ne tiennent pas seulement compte du paramètre rendement/risque mais qui sont également faiblement consommateurs de fonds propres. Il s’agit donc d’une approche de gestion actif-passif à forte valeur ajoutée. Mais il n’est pas certain que ces produits permettront de compenser les effets négatifs de Solvabilité 2.

Les caisses de retraites constituent une autre part importante de la clientèle institutionnelle. Apportent-elles des encours importants à l’asset management ?

Leurs provisions techniques sont en baisse. Par exemple, l’Agirc-Arrco disposait de 60 milliards de réserves en 2010 mais ces sommes vont fondre dans les années qui viennent. Dans les autres caisses de retraite aussi, les excédents sont utilisés car le ratio cotisant/retraités devient défavorable. Quant au Fonds de réserve des retraites, sa disparition programmée dans 30 ans a été avancée à un horizon de 10 ans au plus. La contribution des institutionnels aux encours des sociétés de gestion est donc en baisse, ce qui nous préoccupe.

Comment réagir face à cette situation ?

Les sociétés de gestion françaises doivent sortir de leur marché domestique pour capter l’épargne des particuliers ainsi que les actifs des fonds de pension et autres fonds souverains. Sur ce marché international, elles sont en concurrence avec des sociétés anglaises et américaines essentiellement ; l’Allemagne et la Suisse abritent également des sociétés de gestion importantes, mais la France détient la plus forte industrie d’Europe continentale en matière d’asset management. En effet, l’hexagone représente plus de 20 % de parts de marché sur cette zone et quatre sociétés de gestions françaises font partie des 20 premières mondiales.

La directive UCITS 4 [1] va-t-elle faciliter ce mouvement des asset managers vers l’étranger ?

Ce texte ne constitue pas une révolution. Il vient simplement améliorer UCITS 3 : il rend encore plus aisée la commercialisation d’un fonds dans plusieurs pays européens ce qui induit des gains de productivité.

Concernant plus spécifiquement les fonds monétaires, quelle est la situation ?

Ces véhicules sont menacés à la fois par Bâle III et par le Financial Stability Board (FSB). En effet, le ratio de liquidité de la réglementation prudentielle pousse les banques à inciter leurs clients à transférer leur épargne placée en assurance vie et en fonds monétaires vers des produits de court terme qui entrent dans les bilans bancaires : dépôts à terme, livrets, PEL. Les conséquences de la réglementation bâloise sont déjà visibles puisque les fonds monétaires ont perdu 100 milliards entre fin 2009 et début 2011. Certes, les taux bas expliquent une partie de cette hémorragie, mais la main des banques est visible ; en effet, ces 100 milliards se composent essentiellement des encours que les banques elles-mêmes et les particuliers détenaient en monétaire. Les entreprises et les institutionnels sont restés investis pour leur trésorerie car ils tiennent à ce produit.

Les sociétés de gestion vont-elles contre-attaquer sur le monétaire ?

D’abord, nous expliquons aux banques que l’attitude qu’elles ont adoptée n’est pas forcément la meilleure. En effet, les fonds monétaires sont investis en certificats de dépôt [2] et constituent donc pour elles une source de financement. D’autre part, nous réfléchissons à la création d’un nouveau type de fonds. Il s’agira de produits de trésorerie adaptés à la réglementation prudentielle bancaire.

Mais les fonds monétaires ont été redéfinis par l’ESMA (ex-CESR). Deux catégories ont été créées, le monétaire et le monétaire court terme ; en aucun cas la maturité des titres sous-jacents ne pourra excéder deux ans…

Certes, mais ces produits auxquels nous réfléchissons ne porteront pas l’étiquette « monétaire », même s’ils appartiennent à l’univers des produits de trésorerie. Ils relèveront plutôt de la catégorie « véhicules obligataires » ou « diversifiés ». Puisque les banques doivent allonger leurs passifs, ces futurs véhicules contiendront des papiers à maturité plus longue que les fonds monétaires. Les banques pourront donc émettre des certificats plus longs que ces futurs fonds achèteront.

S’agira-t-il d’une renaissance du monétaire dynamique ?

Pas du tout. À la différence des monétaires dynamiques, ces nouveaux produits s’interdiront de détenir des CDO, des ABS, des CDS ou des produits structurés qui ont été à l’origine des problèmes rencontrés en 2007. Ils n’investiront qu’en certificats de dépôt, bons du trésor, obligations bancaires courtes très bien notées. Il faut créer ce type de véhicule.

Le FSB fait lui aussi planer une menace sur les fonds monétaires ; dans sa publication d’avril dernier sur le Shadow Banking System, ces véhicules sont cités, notamment comme faisant partie de la chaîne de la titrisation. Que vous inspire cette analyse ?

Shadow signifie « ombre ». Or, les fonds monétaires sont totalement transparents et réglementés. Par ailleurs, le Shadow Banking System est défini par le FSB comme un réseau d’entités qui pratiquent une activité de crédit alors qu’elles ne sont pas régulées en tant que banques. Or, les fonds monétaires, tels qu’ils ont été redéfinis en Europe, ne font plus de transformation. Le FSB décrit donc dans sa note du 12 avril un système qui aujourd’hui n’existe plus.

Enfin, cette publication prétend que les fonds monétaires portent un risque implicite. Elle parle en fait d’une catégorie bien particulière de fonds monétaires, c’est-à-dire des fonds à valeur liquidative constante qui existent aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Luxembourg et en Irlande.

Comment jugez-vous la directive AIFM ?

AIFM réglemente tous les fonds dont les sous-jacents ne peuvent pas être soumis à UCITS, c’est-à-dire l’immobilier, le private equity et la gestion alternative. Cette directive apporte des améliorations. Toutefois, nous sommes très vigilants sur le niveau 2. Nous allons nous battre sur la question du passeport. Nous souhaitons que des pouvoirs suffisants soient donnés à l’ESMA et qu’une vraie réciprocité avec les pays non-européens existe.

Le risque de fausse réciprocité concerne, entre autres, les États-Unis. Ces derniers font en sorte qu’il soit très difficile de s’installer chez eux. La réciprocité soulève également des réflexions au sujet des pays à réglementation « soft » (les paradis fiscaux, NDLR). La directive n’incite pas suffisamment les sociétés de gestion à s’installer dans les pays correctement réglementés et, disons-le, en particulier en Europe.

À l’heure où la définition des SIFI [3] est en cour d’élaboration, ne craignez-vous pas que les fonds de gestion alternative en fassent partie ?

La thèse selon laquelle les hedge funds seraient systémiques s’appuie sur la faillite du fonds LTCM. Pourtant, cet événement ne signifie pas, à mon sens, que la gestion d’actifs est systémique. Le danger réside dans le niveau des montants prêtés par les banques. En effet, nombre de hedge funds recourent au levier, mais c’est aux banques de faire leur travail et d’estimer le risque qu’elles prennent en fournissant du crédit.

1 La norme UCITS (OPCVM en français), régit les fonds d’investissement européens dès lors qu’ils ne relèvent pas de la gestion alternative ni du capital-investissement ou de l’immobilier. 2 Titres de créances émis par les banques. 3 Acronyme anglais (Systemicaly Important Financial Institutions) désignant les établissements financiers d’importance systémique.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº738
Notes :
1 La norme UCITS (OPCVM en français), régit les Fonds d'investissement européens dès lors qu’ils ne relèvent pas de la gestion alternative ni du capital-investissement ou de l’immobilier.
2 Titres de créances émis par les banques.
3 Acronyme anglais (Systemicaly Important Financial Institutions) désignant les établissements financiers d’importance systémique.