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« La finance islamique a des atouts à faire valoir auprès des PME »

Créé le

02.05.2011

-

Mis à jour le

25.08.2011

Islamic Bank of Britain est la plus ancienne banque de détail ne proposant que des produits conformes à la Charia en Europe. La crise l’ayant freiné dans son élan, elle s’apprête à tourner une page de son histoire avec un nouvel actionnaire qatari. Son directeur commercial revient sur les enseignements de sept ans d’activité.

IBB a été lancée il y a près de sept ans et n’a jamais enregistré de résultat bénéficiaire. Cela remet-il en question le modèle ?

À son lancement en septembre 2004, l’Islamic Bank of Britain était la première banque de détail intégralement islamique au Royaume-Uni. Étant la première expérience au marché européen, nos coûts fixes étaient importants et devaient être couverts par une croissance rapide de notre activité. C’est ce qui s’est passé jusqu’en 2007 et nous assistions à une diminution de nos coûts relatifs. Mais la crise financière a changé la donne. Notre problème ne venait pas des actifs de mauvaise qualité que nous aurions eus en portefeuille, mais de la chute des revenus générés par nos dépôts sur le marché interbancaire islamique. Notre activité était encore embryonnaire quand la crise est arrivée.

Quelles réponses avez-vous apportées à ces difficultés ?

Nous avons accéléré le lancement de notre Home Purchase Plan (HPP), disponible à partir de 2008. Il s’agit d’un produit de financement immobilier conforme à la Charia, régulé par la FSA. Nous avons rencontré un vrai succès et le HPP est à ce jour notre produit phare, avec 45 millions de livres de financement octroyés depuis son lancement.

Mais pour soutenir notre développement et nous conformer aux nouvelles contraintes de liquidité fixées par les régulateurs britanniques, nous avons dû lever de nouveaux fonds propres. La Qatar International Islamic Bank, troisième plus grande banque islamique qatarie, qui détenait déjà 11 % de notre capital, a injecté 20 millions de livres et est actuellement devenue actionnaire à 81 %.

Les promoteurs de la finance islamique rappellent souvent qu’elle ne s’adresse pas uniquement aux musulmans. Avez-vous une clientèle non musulmane ?

La plupart de nos clients sont musulmans, mais cela tient essentiellement à nos choix marketing et à notre budget communication limité : il est plus efficace de cibler les prospects les plus susceptibles de souscrire nos produits – ​les musulmans – par de la publicité sur des chaînes ethniques, par ailleurs plus abordables que les grands médias nationaux.

Nous avons tout de même réussi à attirer une clientèle non musulmane lorsque nous avons fait la promotion de nos comptes à terme pour lever les fonds nécessaires au lancement du HPP. La rémunération de ces comptes était très compétitive et nous avons bénéficié de beaucoup de visibilité dans les médias. Les épargnants non musulmans sont donc venus pour des questions de prix. À nous ensuite, par notre service et notre communication, de mettre en avant les caractéristiques éthiques de nos produits et de créer une fidélité.

Avez-vous réussi à vendre d’autres produits à cette clientèle ?

Une fois le client acquis, nous n’avons pas de stratégie différenciée selon qu’il est ou non musulman. Nous offrons des produits et services identiques dans tous les cas.

Le bouche à oreille fonctionne-t-il ?

Contrairement à d’autres établissements islamiques au Royaume-Uni, qui sont des banques d'investissement, IBB dispose d’un réseau de distribution. Il s’agit de nos huit agences, bien entendu, mais notre HPP est également distribué par les plus grands réseaux de courtiers. C’est un avantage très important et il nous a fallu du temps pour les convaincre. À ce titre, la crise nous a aidés en réduisant drastiquement le nombre de produits à la disposition de ces courtiers. Ils sont devenus plus à l’écoute d’offres nouvelles comme la nôtre.

La finance islamique a la réputation d’avoir des coûts et donc des prix supérieurs. Est-ce justifié ?

C’est une idée héritée des toutes premières années de la finance islamique. Mis à part le travail sur la conformité des produits à la Charia – qui n’est pas un centre de coût si important que cela, et qui n’intervient qu’au tout début de la création du produit ​–, la finance islamique n’est pas plus chère. C’est essentiellement une question d’économies d’échelle. Nous avons ainsi réussi à offrir des rémunérations compétitives pour nos comptes à terme. De même, le coût de notre HPP tout frais compris se situe dans la moyenne du marché, ni plus ni moins.

Inversement, certains consommateurs musulmans intéressés pensent que la finance islamique est une finance gratuite. Que leur répondez-vous ?

Il s’agit de l’idée reçue, bien entendu fausse, que nous avons le plus à combattre. Il faut faire preuve de pédagogie et expliquer que la finance islamique, adossée à des actifs réels, peut s’assimiler au commerce. Un marchand n’achète pas des biens pour les revendre ensuite au même prix ! Il cherche à couvrir ses coûts et à faire un profit qui lui permette de vivre. En finance islamique, la démarche est la même, sauf qu’elle est plus transparente que le business du commerçant. Le contrat de murabaha, par exemple, impose de rendre public le coût de revient du produit financé. Je ne connais pas beaucoup de marchands qui révèlent leur marge !

Les banques islamiques ont généralement plus de liquidités que les autres. Quels avantages cela leur procure-t-il ?

Les banques islamiques disposent en effet d’une grande quantité de dépôts comparativement aux actifs qu’ils ont à financer. Cette liquidité a des avantages mais aussi des inconvénients. Les revenus qu’ils permettent de générer sont plus bas, car on ne place pas ces fonds dans des produits risqués à forte rentabilité.

Par ailleurs, de nouvelles contraintes en matière de liquidité ont été dictées par la FSA, mais il n’existe pas d’actifs liquides conformes à la Charia en livres sterling dans lesquels nous pourrions investir. Nous sommes certainement plus affectés par l’absence de sukuks en livres sterling que d’autres banques islamiques britanniques, car ce sont des banques d’investissement essentiellement exposées au dollar.

Quels sont vos plans de développement pour les années à venir ?

Nous venons de lancer un nouveau service, le « discretionary portofolio service », permettant aux particuliers épargnant pour leur retraite de le faire de manière islamique. Cela leur était jusqu’à présent difficile car ils n’avaient accès qu’à très peu de produits d’investissement islamiques. Ce service est une plate-forme proposant des solutions dont la conformité à la Charia a été validée par IBB. L’épargnant peut y accéder uniquement via un conseiller financier, c'est une activité très réglementée.

On parle beaucoup du marché des PME. Selon vous, y a-t-il un potentiel ?

Oui, la finance islamique a des atouts à faire valoir, et pas uniquement à destination des chefs d’entreprise musulmans : le concept de participation, l’adossement aux actifs réels, les relations proches de celle du commerce... Les PME sont un marché insuffisamment couvert au Royaume-Uni. Chez IBB, nous offrons des services de comptes courants mais le potentiel est important sur d’autres activités comme la gestion du fonds de roulement, le financement du poste achat, le financement à l’export, le crédit-bail sur les équipements, le financement des immobilisations – ce que nous faisons un peu à travers le financement de l’immobilier commercial – mais aussi le financement de haut de bilan par du private equity et du capital-risque islamiques. Mais cela nécessite de développer de nouveaux produits.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº737bis