Le marché unique européen fête ses 30 ans mais l’heure n’est pas forcément aux réjouissances. Alors que les effets de la pandémie de Covid-19 se résorbent, le retour à la “normale” est synonyme d’un “déclin de la compétitivité internationale des marchés de capitaux européens”, pointe l’AFME dans son rapport annuel “Union des marchés de capitaux - Indicateurs clés de performance”.
Les épisodes de volatilité et les remous suscités par les faillites de quelques banques n’ont pas affecté les marchés de façon globale. Mais les perspectives à l’aune européenne n’en sont pas moins pessimistes. Dans un contexte d’inflation et de hausse des taux d’intérêts directeurs, les émissions totales d’instruments sur les marchés de capitaux européens augmentent de 29 % en année glissante au premier semestre 2023. Il s’agit là d’un léger rebond à la suite de 2022 et il est principalement dû à des émissions de dettes. Ces émissions restent cependant “en deçà des niveaux historiques”.
Au-delà des effets liés à la conjoncture, qui renchérit le coût de l’argent et entraîne une baisse de l’épargne financière, le rapport de l’AFME souligne un “décevant manque de développement à l’échelle globale pour les marchés de capitaux européens”. Au niveau mondial, les financements des corporates par les marchés enregistre une reprise, mais elle reste en Europe bien inférieure aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Au premier semestre 2023, 10,3 % du financement des entreprises non financières en Europe provient des marchés. Cette proportion était de 7,8 % en 2022. Elle est en progression, donc, mais reste bien en dessous du pic à 14 % enregistré en 2021. Les entreprises européennes continuent à s’appuyer sur les prêts bancaires pour leur financement, malgré un logique resserrement de ces derniers, de 5 % en année glissante.

Le marché des introductions en bourse en France a été particulièrement inactif en 2023, avec seulement 30 millions d'euros de capitaux provenant d’IPO (Initial Public Offering) émis sur les bourses françaises, soit une baisse de 84 % par rapport à 2022, et de 98 % par rapport à 2019 (avant la pandémie). Ce recul est de 72 % en Europe au premier semestre 2023 en année glissante. Il succède à une première baisse importante intervenue en 2022.
Par ailleurs, les fintechs se trouvent dans une situation délicate. Leurs valorisations et financements souffrent au niveau international. Le rapport 2022 de l’AFME saluait les progrès accomplis dans la réglementation de ce secteur mais il subit aujourd’hui de véritables ajustements.
La France ne fait pas exception. Les investissements dans la fintech y ont diminué de 70% par rapport à 2022, une proportion plus importante qu’à l’échelle internationale, et la valorisation des licornes françaises de fintech a fondu de 59,2%.
La dynamique française
La France tire néanmoins son épingle du jeu. Les émissions sur les marchés de capitaux par les corporates (actions et obligations) ont augmenté de 46 % en année glissante, comparé à 2022.
Les entreprises françaises enregistrent 18,5 % de leurs financements venant des marchés, bien plus que la moyenne européenne, principalement des émissions de dette, précise le rapport de l’AFME. Ainsi, “l'attractivité globale de l'écosystème financier hexagonal est restée très forte”.
La titrisation y est particulièrement dynamique. La proportion de prêts transférés vers les marchés en 2023 a plus que doublé par rapport à 2022, passant de 1,1 % à 2,7 % de l'encours total des prêts, grâce à l'augmentation du total des opérations (créées et conservées). Cela peut sembler peu mais le marché de la titrisation en Europe reste atone en 2023, comme l’an passé. Au premier semestre 2023, l’activité sur les marchés français de la titrisation représente déjà le plus grand volume d’opérations jamais enregistré en France depuis 2000, souligne l’AFME.
Dans le domaine du financement de la durabilité, la France continue de faire figure de bon élève. Certes, l’Allemagne, pour la première fois, peut s’enorgueillir d’être passée devant en termes d’émissions d’obligations dites “vertes”. Mais l’Hexagone reste un des très gros émetteurs et ses projets industriels devraient conforter cette place, selon l’AFME. Ainsi, l’Europe s’illustre par sa bonne position dans le financement ESG.
De plus, l’AFME attend beaucoup des discussions actuelles sur l’Union des marchés de capitaux (UMC). L’Eurogroupe prépare en la matière ses recommandations pour la prochaine Commission européenne. “Alors que l'UE cherche à rivaliser avec d'autres marchés mondiaux pour attirer les cotations d'entreprises et les investissements extérieurs, l’UMC constitue un levier fondamental pour s'assurer que l'Europe reste compétitive, a déclaré Adam Farkas, directeur général de l’AFME. Des propositions significatives sur la meilleure façon d’avancer en ce sens (...) sont très attendues par le secteur des marchés de capitaux et l’ensemble de ses acteurs.”
Le marché des introductions en bourse en France est en baisse de 84 % par rapport à 2022. Crédit : Martin Wippel [CC BY-NC-SA 2.0]