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L’Interview

Stéphane Giordano, président de l’Association des marchés financiers (Amafi)

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

Promulguée le 15 avril au Journal Officiel,
la réforme des retraites entrera en vigueur
le 1er septembre 2023. Au delà du système
par répartition, l’introduction d’une dose de capitalisation et les solutions supplémentaires facultatives restent au cœur du débat.

Certains adversaires de la réforme des retraites ont visé les locaux de BlackRock et d’Euronext ou des agences bancaires, symboles de leur crainte : une bascule du système de répartition vers la capitalisation. La loi est-elle de nature à promouvoir un régime fondé sur l’épargne individuelle ?

La réforme des retraites et les réactions qu’elle induit sont un sujet financier, mais aussi, et je dirais même surtout, sociétal. À cet égard, le ciblage par certains manifestants d’entreprises symboles de la finance paraît tenir davantage de l’expression de positions idéologiques que d’une analyse profonde de cette réforme. En effet, la réforme en cours vise essentiellement à consolider le système par répartition, et tend plutôt à reculer la perspective de l’introduction d’une dose de capitalisation. Or, cette possibilité, en complément de la répartition actuelle, serait sans doute une bonne chose...

Pourquoi ?

Introduire une part de capitalisation permettrait de corriger deux biais majeurs du système par répartition. D’une part, en raison des différences d’espérance de vie, le système actuel se traduit par une redistribution « à l’envers », des classes populaires vers les classes plus aisées. D’autre part, le système par répartition finance pour l’essentiel la consommation immédiate, celle des retraités (pour une large part, de produits importés), là où une part de capitalisation permettrait de financer en amont l’investissement des entreprises européennes.

Évidemment, introduire une part de capitalisation devrait se faire de manière progressive. La bascule devrait en effet à la fois protéger les retraites, notamment les plus petites, et éviter une surcharge pour les entreprises, amenées à contribuer en parallèle au système par répartition et à la capitalisation.

Un bilan de la réforme française doit avoir lieu en 2027. Pensez-vous qu’il sera positif au regard de l’espérance de vie ?

En réalité, le sujet de la retraite et celui du rapport entre retraités et actifs ne reposent plus autant sur cette question de l’espérance de vie – qui augmente moins vite, voire plafonne – mais plutôt sur le renouvellement des générations. De ce point de vue, la France est plutôt mieux placée que les autres pays européens du point de vue du taux de croissance naturel de sa population.

Recul à 64 ans d’ici 2030 de l’âge légal de départ, durée de cotisation portée à 43 ans dès 2027, fin des régimes spéciaux, etc. Cela était-il nécessaire pour écarter de trop grands risques financiers et économiques pour la France ?

Nous venons de connaître une phase d’augmentation significative de l’endettement public avec les aides d’État liées à la crise énergétique et le « quoi qu’il en coûte » pour faire face à la crise sanitaire du Covid. Relativement indolore dans un contexte de taux bas voire nuls, cette tendance peut soulever de sérieuses difficultés dans la phase de resserrement monétaire et de hausse rapide des taux que nous connaissons, du fait de son impact direct sur la charge de la dette.

Les pays les plus endettés dans un contexte de remontée des taux font l’objet d’une attention particulière. Leur capacité à redresser leurs finances est un élément clé pour attirer les investisseurs. La dette allemande est sans doute leur préférée, mais elle est rare. Celle de la France fait fréquemment figure de « second preferred ».

Dans ce contexte, l’impact de la réforme des retraites sur la perception des investisseurs est en fait ambigu : si la volonté de réduire l’endettement ne peut être que bien perçue, la profondeur des réticences à la réforme qu’elle révèle inquiète. C’est d’ailleurs le message véhiculé par la récente dégradation de la note de la France par l’agence Fitch.

Y a-t-il une vision globale de l’épargne retraite en Europe ?

L’enjeu européen est celui du financement des transitions – digitale, énergétique et démographique, avec une population vieillissante (la dépendance, la fin de vie, etc.). Dans ce cadre, l’épargne doit être orientée vers des projets de moyen-long terme. Les autorités européennes devraient donc pousser à l’adoption par les citoyens d’instruments adaptés. À cet égard, une bascule partielle des systèmes de retraite vers la capitalisation dans le cadre d’une gestion collective dédiée offre un double avantage. D’une part, des instruments collectifs, avec des compartiments qui évoluent selon le profil de l’individu jusqu’au versement en rente ou en capital, assurent une meilleure maîtrise des risques de diversification et de longévité que des investissements directs par les particuliers. D’autre part, ces systèmes de retraite, gérant un passif avec un profil de duration connu et assez long (les versements à venir aux futurs retraités), sont les plus à même d’investir une part de leurs actifs sur des projets à long terme.

La « directive fonds de pension » applicable depuis 2019 (Directive Institutions for Occupational Retirement Provision II) a-t-elle permis le développement de fonds d’investissement dédiés aux retraites par capitalisation ?

Assez peu. L’Union européenne (UE) peut intervenir sur les sujets de portabilité entre les régimes de retraite des différents États membres mais transférer ses droits à la retraite d’un pays à l’autre, cela ne concerne que peu de citoyens en Europe. Pour le reste, la gestion des systèmes de retraite relève du domaine régalien de chaque État. L’UE n’a donc pas de levier direct sur le choix de ces systèmes, dont la structure contribue à la situation actuelle paradoxale où l’UE est exportatrice d’épargne et importatrice de capital.

C’est-à-dire ?

De grandes masses d’épargne sont en jeu, pas seulement celles affectées aux retraites. La Commission européenne cherche, à juste titre, à les orienter vers le financement de l’économie productive, et notamment le capital.

Toutefois, les mesures envisagées notamment dans le cadre de la Retail Investment Strategy sont pour certaines inadaptées par rapport à cet objectif. Ainsi, la Commission mise beaucoup sur la baisse des coûts d’entrée dans les produits financiers, qu’elle juge trop élevés pour les investisseurs particuliers européens. Elle souhaite donc orienter ces derniers vers des produits simples et peu « margés ». Or, les produits qui répondent à ce cahier des charges ne sont pas des instruments de financement long terme pour des entreprises en croissance ou des projets de transition. Il s’agit plutôt par exemple d’ETF (fonds indiciels cotés en Bourse, NDLR) qui, s’ils ont leur place dans un portefeuille diversifié, tendent plutôt à irriguer majoritairement les plus grandes capitalisations, avec une dominante américaine.

C’est ainsi que l’Europe se trouve, au-delà même du débat sur le financement des retraites, dans une situation aberrante d’épargne abondante et de capital insuffisant, portant les entreprises à lever des fonds à l’étranger.

Les investisseurs institutionnels n’ont-ils pas leur responsabilité s’il y a un manque de capital ? Peuvent-ils encore attendre un rendement de 15 %, en particulier lorsqu’il s’agit de financer les transitions que vous avez évoquées ?

De fait, les attentes des investisseurs doivent être raisonnables, mais le financement des transitions, et notamment énergétique, suppose avant tout d’aligner les intérêts des différents acteurs. Pour le dire autrement, même si les investisseurs institutionnels sont prêts à sauver la planète, ils ne peuvent renoncer à leur rendement...

Or, l’approche européenne en la matière tend jusqu’à présent à privilégier la création de contraintes, y compris en envisageant de pénaliser la détention d’actifs bruns via des exigences accrues en matière de capital (Brown Penalising Factor). Une approche par incitations serait sans doute plus efficace. De même, les particuliers ont besoin d’être aidés pour envisager autre chose qu’un compte de dépôt ou un Livret A.

La France a la particularité de cette épargne réglementée, ainsi que d’une grande masse d’assurance vie. Cette dernière ne suffit-elle pas ?

L’assurance vie permet effectivement une gestion à moyen terme d’actifs importants, mais elle reste très orientée vers le financement des dettes publiques. En outre, le financement des transitions suppose qu’une plus large part des actifs soit gérée à un horizon de 20 ou 30 ans. En la matière, les produits de retraite sont naturellement plus adaptés, sous réserve d’atteindre une taille critique.

Or, dans la mesure où la marge de manœuvre de l’État est faible pour instaurer davantage d’incitation fiscale, l’atteinte de cette taille critique réclamerait sans doute de revoir le niveau des plafonds des régimes de retraite. Le dispositif répondrait à tous les besoins : en socle, une même retraite pour tous, par répartition ; en complément, une couche de capitalisation alimentée pour partie par des cotisations patronales ; et un troisième niveau pour une épargne individuelle...

Ce schéma a déjà été envisagé...

Les simulations montrent qu’il augmenterait le taux de remplacement. Et nous avons des exemples à l’étranger qui l’attestent. En pratique, en raison de son coût qui mobilise une large part des revenus, l’acquisition immobilière reste le principal placement retraite des Français, mais cela ne finance pas l’économie productive...

La France délivre petit à petit des agréments pour des Fonds de retraite professionnelle supplémentaire (FRPS). À quand le décollage des « fonds de pension à la française » ?

Les dirigeants politiques ont plutôt tendance à rendre toujours plus flexibles les produits préexistants en multipliant les possibilités de sortie anticipée, ce qui induit d’ailleurs des problèmes de liquidité. Les produits de retraite conçus ces dernières années sont pourtant efficaces, que ce soit pour les épargnants, avec une gestion qui suit le parcours de chacun, ou pour l’économie en général et le financement de projets. En outre, d’autres dispositifs ont été mis en place dans le passé : les contrats PERP, Madelin, article 83, Perco... et tous les régimes complémentaires.

Il y a une évolution, mais lente, depuis la loi PACTE. Si les plans de retraite (PER) n’ont pas tant décollé, c’est aussi parce qu’ils ne peuvent compter que sur une réallocation de l’épargne existante. Comment convaincre les Français de désinvestir d’actifs liquides pour passer à une allocation de plus long terme et jugée plus risquée ? L’alternative serait la contrainte (un prélèvement obligatoire) ou une plus grande confiance dans l’avenir de leur part. Aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies.

L’Union des marchés de capitaux (UMC), une meilleure éducation financière ou d’autres leviers seraient-ils favorables pour le développement de l’épargne longue ?

L’UMC porte cette notion d’éducation financière, mais ces effets sont incertains et, dans tous les cas, ne pourront être mesurés qu’à très long terme. En attendant, une meilleure connaissance des instruments de retraite et des effets fiscaux serait positive. En France, le PER permet une déduction immédiate des revenus, réintégrée lors de la sortie en rente. Pour les particuliers, la fiscalité reste le levier des mécanismes fondés sur une réallocation de l’épargne.

Propos recueillis par Sylvie Guyony

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
Évolution des primes de CDS 5 ans en points de base des quatre principaux pays de la zone euro depuis trois ans
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