I. Le TUE a annulé la décision du CRU fixant le montant des contributions ex ante au FRU pour 2021 dues par six banques françaises pour insuffisance de motivation (TUE 20 décembre 2023, T-383/21, T-384/21, T-385/21, T-387/21, T-388/21, T-397/21)
1. Le mode de calcul, d’une rare complexité, des contributions ex ante au FRU dues annuellement pour les établissements de crédit demeure un sujet sensible. Le point positif à retenir est que, par une série d’arrêts rendus le 20 décembre 20231 au sujet du calcul de la contribution ex ante au FRU fixée par le CRU pour 20212, le TUE a clarifié la portée de l’obligation de motivation incombant au CRU.
2. Cette affaire s’inscrit dans le cadre du deuxième pilier de l’Union bancaire relatif au Mécanisme de résolution unique mis en place par le règlement n° 806/20143. Saisi de plusieurs recours en annulation par six banques françaises et une banque allemande contre la décision du CRU fixant cette contribution, le TUE a annulé cette dernière pour insuffisance de motivation4 de la méthode de détermination du niveau cible annuel de 2021. Or, ce niveau cible annuel constitue un élément essentiel du calcul des contributions ex ante5.
3. Tout d’abord, les contributions sont calculées annuellement afin de permettre au FRU, à l’issue de la période initiale de huit ans à compter de 2016, de disposer de moyens disponibles représentant au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements de crédit agréés dans tous les États membres participants (objectif dit « du niveau cible final »6). Néanmoins, le montant total annuel de ces mêmes contributions ne doit pas dépasser 12,5 % du niveau cible final7 (plafond annuel dit de « niveau cible annuel »). Ensuite, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel en fonction de la taille de l’établissement8 et du profil de risque de cet établissement. Afin de bien comprendre l’enjeu du litige qui concerne la méthode de détermination du niveau cible annuel, le niveau cible final n’est pas fixé une fois pour toutes au début de la période de huit ans et divisé en huit parts égales de 12,5 % car le niveau cible annuel dépend, lui-même, du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente et il est donc susceptible de varier9. En outre, le CRU doit répartir les contributions aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final soit atteint, tout en tenant dûment compte de la phase du cycle d’activité et de l’incidence que les contributions procycliques peuvent avoir sur la position financière des établissements contributeurs10.
4. Au cas d’espèce, dans sa décision fixant la contribution ex ante au FRU pour 2021, le CRU a calculé le montant du niveau cible annuel de 2021, à partir d’une formule mathématique, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par un coefficient de 1,35 % et en divisant le résultat de ce calcul par huit11. Or, le Tribunal a constaté que cette formule mathématique (i) différait de la méthode réellement appliquée telle qu’explicitée par le CRU lors de l’audience au TUE et (ii) consistait à déduire, du niveau cible final, les moyens financiers disponibles au sein du FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant par les trois années de contributions restantes12 avant la fin de la période initiale fixée à 202313. Le TUE en a conclu que la décision du CRU était entachée d’un vice de motivation et a annulé la décision du CRU pour ce motif 14.
5. En contrepoint de cette avancée relative à l’annulation de la décision du CRU, il convient néanmoins de relever que le TUE a confirmé la légalité du cadre normatif relatif aux règles de calcul des contributions ex ante au FRU en rejetant toutes les exceptions d’illégalité soulevées par les requérantes à l’encontre du règlement n° 806/2014, du règlement délégué 2015/63 et du règlement d’exécution 2015/81.
6. Autre ombre au tableau, le TUE a rejeté également les moyens contestant d’une part, la limitation du recours aux (engagements de paiement irrévocables (EPI) au seuil minimal de 15 % du montant des contributions ex ante15 et d’autre part, la limitation par le CRU des garanties liées aux EPI aux seules espèces. Sur la première limitation, le TUE a considéré que la détermination, par le CRU, de la part des EPI accordée aux établissements qui en font la demande doit être fondée sur une appréciation concrète de la situation ces établissements et de celle du FRU, le CRU devant également veiller à ce que le recours aux EPI ne compromette en aucune manière la capacité financière ou la liquidité du FRU16. Relevons que le juge s’est appuyé, au vu des éléments de la décision du CRU, davantage sur des éléments de circonstances sur l’environnement des banques tels que la pandémie liée au Covid que sur une appréciation concrète de la situation individuelle de chaque établissement. Par ailleurs, les requérantes contestaient le fait que le CRU n’accepte en garanties liées aux EPI que des espèces alors que les textes prévoient (i) la possibilité pour les engagements d’être entièrement garantis par des actifs à faible risque non grevés de droits de tiers et (ii) ne laissent pas de pouvoir d’appréciation au CRU dans le choix d’imposer tel type de garantie. Le TUE a estimé que le CRU dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la nature des garanties à accepter en contrepartie des EPI d’autant plus que, selon le TUE, les requérantes n’ont soumis au TUE aucun élément susceptible de démontrer quels autres types d’actifs présenteraient des garanties comparables aux espèces en ce qui concernait ces conditions17. Le TUE a ainsi reconnu au CRU un large pouvoir d’appréciation tant sur les modalités de recours aux EPI que sur la nature des garanties à accepter en contrepartie de ces derniers.
7. Au final, dès lors que la décision du CRU ne contenait aucune erreur affectant sa légalité au fond, le TUE, pour des raisons de sécurité juridique pour le CRU, a décidé de maintenir les effets de la décision du CRU jusqu’à l’entrée en vigueur d’ici six mois, à compter de la date de l’arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au CRU des requérantes pour 2021. Alors même que l’on se situe juste avant la fin de la période de constitution du FRU, cet arrêt révèle néanmoins que le processus décisionnel du CRU en matière de calcul de contribution ex ante manque encore de transparence sur les méthodes de calcul réellement utilisées.
II. Confirmation par les juridictions européennes que les contributions affectées aux mesures de résolution ne constituent pas des impôts (CJUE 21 décembre 2023, Cofidis, C-340/22 ; TUE 24 janvier 2024, Dexia Crédit Local c/ CRU, T-405/21)
Deux arrêts, l’un de la CJUE18, l’autre du TUE19, ont successivement eu à se prononcer en faveur de la nature non fiscale des contributions affectées aux mesures de résolution dans le cadre de litiges différents.
1. Au titre de l’arrêt du 21 décembre 2023, la CJUE a eu à trancher un litige opposant Cofidis, succursale portugaise d’un établissement de crédit français à l’administration fiscale portugaise. Cofidis contestait son assujettissement à un impôt local sur le secteur bancaire assis sur le passif de la banque devant le Tribunal compétent au Portugal en arguant de sa contrariété20 au regard de la directive 2014/59/UE dite « BRRD »21. La CJUE, saisie par voie de question préjudicielle par le Tribunal local, a constaté que la directive BRRD ne s’opposait pas à une réglementation nationale créant un impôt assis sur le passif des établissements de crédit et ne présentant aucun lien avec la résolution et le redressement22 dès lors que les recettes ne sont pas affectées aux mécanismes nationaux de financement de mesures de résolution comme c’est le cas pour les contributions prévues par cette directive. C’est dans ce cadre, que la CJUE a confirmé que les contributions des établissements de crédit versées, au titre des mesures de résolution en vertu de la directive BRRD, ne constituent pas des impôts et procèdent, au contraire, d’une logique d’ordre assurantiel23.
2. En ce qui concerne l’arrêt du 24 janvier 2024, le TUE, saisi d’un recours en annulation contre la décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante au FRU pour 2021, a eu à se prononcer sur la conformité de la base légale (l’article 114 paragraphe 1 du TFUE) du règlement n° 806/202424 dont les articles 69 et 70 régissent les contributions ex ante. La requérante considérait que les contributions ex ante avaient une nature fiscale puisqu’elles ne constitueraient pas la rémunération réelle et proportionnelle d’un service déterminé et qu’elles ne poursuivaient que des objectifs d’intérêt public telle que la stabilité financière du système bancaire au bénéfice de tous les acteurs économiques de l’Union et non pas des seuls établissements soumis à l’obligation de paiement des contributions ex ante25. Par suite, leur nature fiscale aurait impliqué d’appliquer l’article 114 paragraphe 2 du TFUE comme base légale du règlement MRU. Le TUE relève d’abord « qu’un prélèvement versé par les opérateurs économiques d’un secteur particulier n’a pas de nature fiscale dans une situation où, en particulier, il est directement affecté au seul financement des dépenses de ce secteur et où ces dépenses sont nécessaires au fonctionnement de ce dernier afin, notamment, de le stabiliser »26. Le TUE conclut, ensuite, que ce raisonnement s’applique également dans le cas des contributions ex ante, qui ont une nature spécifique car elles suivent une logique d’ordre assurantiel et sont versées par les opérateurs économiques d’un secteur particulier (le secteur financier) en vue de financer exclusivement les dépenses de ce secteur via le FRU27. n