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Afrique

Au Kenya, la banque est devenue indissociable du mobile

Créé le

14.06.2016

-

Mis à jour le

30.06.2016

Précurseur en matière de paiement mobile, le Kenya est aujourd’hui un incubateur d’innovation en matière de services financiers sur mobile. Le porte-monnaie électronique M-Pesa de l’opérateur Safaricom mène la danse. Mais les banques sont à l’affût. L’une d’elles, Equity Bank, a même demandé une licence d’opérateur téléphonique pour mieux répliquer.

En Afrique subsaharienne, selon la Banque Mondiale, deux adultes sur trois n’ont pas de compte bancaire ; ils étaient quatre sur cinq en 2011. Cette évolution positive à l’échelle du continent est en particulier due au développement des services financiers sur mobile. Et en la matière, le cas kényan est scruté depuis près de dix ans. C’est en effet dans ce pays d’Afrique de l’Est qu’est née la mobile money, un porte-monnaie électronique permettant de transférer de l’argent à partir d’un simple téléphone via SMS. Cette innovation, baptisée M-Pesa et conçue au départ comme un projet de responsabilité sociale, a été portée par l’opérateur téléphonique local Safaricom. Il en tire aujourd’hui 23 % de ses revenus.

Grâce à M-Pesa, près de 17 millions de Kényans envoient de l’argent à leur famille en temps réel, retirent du cash chez l’épicier du village, paient leurs factures, achètent du crédit téléphonique… Une centaine de milliers d’agents assurent la convertibilité de cette monnaie électronique en pièces et billets. C’est l’équivalent de 38 % du PIB qui a transité ces 12 derniers mois par le système. Depuis trois ans, M-Pesa a étendu sa gamme de services : paiement en magasin (Lipa na M-Pesa), dépôt sur un compte épargne rémunéré, mais aussi microcrédit à la consommation octroyé en temps réel sur la base de l’analyse d’une grande masse d’informations (M-Shwari). « L’idée est de combiner des données d’ordre bancaire avec nos informations relatives à la téléphonie pour affiner l’évaluation de la capacité d’emprunt », explique Paul Kavavu, en charge des activités émergentes chez M-Pesa [1] .

Contestation

De moyen de paiement, M-Pesa est donc devenu un outil d’inclusion financière à part entière. Selon une étude soutenue par la banque centrale kényane, 71,4 % de la population utilise aujourd’hui les services financiers sur mobile, contre 38,4 % qui ont recours aux banques [2] . Sur ce marché, M-Pesa se taille la part du lion : 79 % des agents en charge de la convertibilité de la mobile money lui sont affiliés. M-Pesa est devenu si incontournable pour le quotidien des Kényans qu’il leur est inconcevable de ne pas avoir de carte SIM Safaricom pour accéder au service de mobile money. Qu’importent les tarifs avantageux proposés par les concurrents, Airtel ou Orange. Cette domination commence à faire grincer des dents. « Aujourd’hui, Safaricom occupe une position dominante. Il facture des frais plus élevés, sous prétexte que son offre facilite la vie de ses clients. Or l’objectif de l’inclusion financière est de permettre l’accès et l’utilisation des services financiers par tout un chacun, en particulier les exclus du système et ceux qui restent mal couverts. Cela va donc de pair avec la question du prix », regrette Jacqueline Jumah pour The Helix Institute, un centre de recherche et de formation dédié aux services financiers sur mobile [3] .

Du côté des banques aussi, on s’active ; dans un premier temps, en cherchant à nouer des partenariats avec l’opérateur téléphonique. C’est ce qu’a tenté de faire dès 2010 Equity Bank, l’un des principaux établissements kényans, à travers la création du premier compte bancaire sur mobile directement relié à M-Pesa : M-Kesho. Mais le projet a fait long feu : « les partenaires n’étaient pas d’accord sur le rôle de chacun, notamment en matière d’ouverture de compte. Dès qu’un partenariat s’attaque de manière trop frontale à son activité, Safaricom devient très sensible », explique un observateur du marché, citant l’échec de partenariats avec plusieurs FinTech kényanes comme Kopo Kopo (pour le paiement en magasin) ou BitPesa (pour les transferts à l’international en bitcoin).

Après l’échec M-Kesho, Safaricom a changé son fusil d’épaule : il s’est allié à une banque de taille beaucoup plus modeste qu’Equity Bank, Commercial Bank of Africa (CBA), pour créer le compte bancaire M-Shwari. Il a séduit près de 4 millions de clients en trois ans. Face à cette incursion de Safaricom sur le marché de la clientèle peu ou pas bancarisée, Equity Bank a répliqué… en obtenant une licence d’opérateur téléphonique. L’opérateur virtuel Equitel a commencé son activité en juillet 2015 et propose une carte SIM permettant d’appeler, d’envoyer des SMS, de disposer d’un compte de mobile money et d’accéder à toute une palette de services bancaires, y compris le crédit. La banque-opérateur a réussi en quelques mois à grappiller une part de marché de 3,7 % en termes d’abonnés, contre 64,7 % pour l’acteur historique [4] . Le retard pris par le secteur bancaire en matière de distribution de services financiers au bas de la pyramide pourra-t-il être comblé un jour ?

 

1 Retrouvez l’intégralité de son interview dans Banque et Stratégie n° 349, juillet 2016.
2 « The 2016 FinAccess household survey », FSD Kenya, février 2016.
3 Retrouvez l’intégralité de son interview dans Banque et Stratégie n° 349, juillet 2016.
4 Source : Communications Authority of Kenya.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº798
Notes :
1 Retrouvez l’intégralité de son interview dans Banque et Stratégie n° 349, juillet 2016.
2 « The 2016 FinAccess household survey », FSD Kenya, février 2016.
3 Retrouvez l’intégralité de son interview dans Banque et Stratégie n° 349, juillet 2016.
4 Source : Communications Authority of Kenya.