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Droit bancaire

Le sort des garanties dans le cadre d’un transfert universel de patrimoine

Créé le

17.05.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

En cas de fusion ou scission du bénéficiaire d’une garantie impliquant un transfert universel de patrimoine, la distinction faite par la Cour de cassation en matière de cautionnement entre l’obligation de règlement et l’obligation de couverture ne s’applique pas lorsque la garantie est autonome.

Les fusions de sociétés, les scissions ou encore les apports partiels d’actifs soumis au régime des scissions, impliquent une transmission universelle de patrimoine (TUP). Celle-ci ne s’apparente pas à un ensemble de cessions réalisées à titre isolé, mais constitue une opération globale. Il en résulte une dévolution de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée ou scindée en faveur de la société bénéficiaire qui en est le successeur universel. Le Professeur Viandier en conclut que la fusion a un « effet subrogatoire impératif » [1] . La TUP a ainsi pour effet de faciliter grandement les opérations de restructuration d’entreprises en évitant l’accomplissement des formalités des cessions de créances ou de la cession de fonds de commerce.

Le principe de la TUP a pour fondement les articles L. 236-1, L. 236-3, L. 236-14 et L. 236-20 du Code de commerce. En outre, les articles L. 236-22 et L. 236-24 dudit code permettent aux parties d’opter pour le régime des scissions, et par conséquent le régime de la TUP, en cas d’apport partiel d’actif portant sur une branche complète d’activité.

L’application du principe de la TUP connaît toutefois des exceptions pour les contrats ou les biens auxquels est attaché un intuitus personae. Parmi les biens dont le transfert peut être empêché, figurent notamment les titres des sociétés de personnes, les actions lorsque les statuts comprennent une clause d’agrément, les marques ou brevets. Concernant la conclusion des contrats, il est concevable que la confiance en la personne du co-contractant ou la considération de ses capacités soient déterminantes et puissent justifier qu’il soit fait obstacle à l’application du principe de la TUP. Les intérêts en jeu doivent être pesés car il est par ailleurs dans l’intérêt de l’économie que les opérations de restructuration des entreprises soient facilitées, ce qui est la finalité de la TUP.

La question du transfert des garanties dans le cadre d’une TUP se pose avec une acuité particulière. La Cour de cassation, dans sa décision du 31 janvier 2017 [2] , s’est prononcée dans l’hypothèse où l’opération de restructuration, en l’occurrence une scission, concernait la société créancière bénéficiaire de la garantie. Dans ce cas de figure, la situation est différente suivant que la garantie est un cautionnement ou un engagement autonome.

1. L’opération de restructuration du bénéficiaire d’un cautionnement dans le cadre d’une TUP

La jurisprudence, qui est très protectrice des intérêts de la caution, a fluctué au fil du temps. La Cour de cassation, dans ses dernières décisions [3] , distingue entre l’obligation de règlement et l’obligation de couverture de telle sorte que la caution est libérée des dettes nées après la fusion, l’absorption ou la scission du bénéficiaire impliquant la mise en œuvre d’une TUP (obligation de couverture). La caution, au titre de l’obligation de règlement, reste tenue seulement des dettes antérieures à cette opération. Cette solution est fondée sur l’article 2292 du Code civil aux termes duquel « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Ces limites résultent du fort intuitus personae qui caractérise le cautionnement et empêche le transfert de l’obligation de couverture en faveur de l’absorbant ou la société qui se prévaut de la TUP du bénéficiaire originel du cautionnement. Une telle jurisprudence a pour effet d’inciter les sociétés créancières faisant l’objet d’une restructuration à faire réitérer à leur égard les cautionnements contractés en faveur de la société absorbée. Il en est de même pour la société qui résulte d’une scission et se trouve bénéficiaire d’un cautionnement établi antérieurement à cette opération pour la branche d’activité concernée.

Cette distinction entre les obligations de règlement et de couverture est contestable. En effet, il y a tout lieu de considérer que c’est la personne du débiteur, et non pas du créancier, qui est déterminante pour la caution. Celle-ci s’engage au regard des perspectives financières du débiteur, du risque engendré par celui-ci s’il fait défaut au titre de ses obligations à l’égard du créancier. L’intuitus personae est attaché au débiteur plutôt qu’au créancier du point de vue de la caution. La jurisprudence qui fait échec à l’application du principe de la transmission universelle de patrimoine posé à l’article L. 236-3 du Code de commerce en cas de restructuration de la société créancière paraît donc discutable. La position de la Cour de cassation a d’ailleurs été marquée par des revirements sur ce point.

Dans un premier temps, la Haute Cour [4] a consacré la distinction entre les obligations de règlement et de couverture, décidant par exemple qu’en cas de fusion de la société créancière avec une autre société donnant naissance à une personne morale nouvelle, le cautionnement ne survit que pour garantir les dettes antérieures à l’opération.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation [5] a adopté une solution inverse. Elle a décidé qu’« en cas de fusion-absorption d’une société propriétaire d’un immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit à la société absorbante ». L’arrêt d’appel, qui avait libéré la caution au motif que la fusion de la société créancière dans une nouvelle personne morale ou son absorption constituait un changement de créancier, fut censuré.

Postérieurement, dans un troisième temps, la Cour de cassation est revenue à sa position initiale. Par exemple, dans un arrêt du 16 septembre 2014 [6] , la Haute juridiction a considéré que « la cour d’appel a retenu à bon droit que la fusion-absorption de la société Médis [le créancier bénéficiaire du cautionnement] entraînant sa disparition avait eu pour conséquence de limiter l’engagement de caution de la banque aux sommes dues par la société Cuggia [le débiteur cautionné] à la date de cette fusion-absorption ».

2. L’opération de restructuration du bénéficiaire d’une garantie autonome dans le cadre d’une TUP

Le caractère autonome de l’engagement du garant a-t-il pour conséquence qu’il n’est pas affecté par la restructuration du bénéficiaire ? Le législateur a répondu par la négative à cette question, l’article 2321 du Code civil disposant que « Sauf convention contraire, cette sûreté [la garantie autonome] ne suit pas l'obligation garantie ».

La Cour de cassation a rendu sa décision du 31 janvier 2017 au visa des articles 2321 du Code civil et L. 236-3 du Code de commerce. En l’espèce, une société avait donné son fonds de commerce en location-gérance et le locataire avait remis au bailleur une garantie bancaire autonome couvrant le paiement des loyers. Le bailleur ayant fait l’objet d’une scission, la société à laquelle la branche d’activité comprenant le fonds de commerce avait été transférée (ci-après le « Bénéficiaire ») appela la garantie à la suite de la résiliation du contrat par le locataire-gérant. La banque émettrice de cette garantie s’opposa à cet appel, mais il fut considéré par les juges du fond que celui-ci était justifié au motif que « sauf clause contraire, la transmission universelle du patrimoine qui résulte d’une opération de fusion ou de scission n’est pas incompatible avec le caractère intuitu personae de cette garantie ». La cour d’appel précisa « qu’il n’y avait lieu ni de mentionner l’existence de cette garantie dans l’acte de scission, ni de recueillir le consentement exprès de la banque sur le transfert de la garantie ». Cet arrêt fut cassé et la Haute cour rappela que, « sauf convention contraire, la garantie autonome, qui ne suit pas l’obligation garantie, n’est pas transmise en cas de scission de la société bénéficiaire de la garantie ».

La solution était prévisible et en pratique il appartient au bénéficiaire d’une garantie autonome, en cas de fusion ou scission l’affectant et si cette garantie ne prévoit pas d’ores et déjà son maintien dans ces circonstances, d’obtenir du garant une réitération de son engagement. Il peut s’agir d’une condition stipulée dans le traité de fusion ou scission.

En définitive, certes l’obligation de règlement de la caution demeure dans l’hypothèse de fusion ou scission du bénéficiaire, mais cet avantage par rapport à la garantie autonome doit être relativisé. Si le bénéficiaire souhaite conserver le bénéfice soit de l’obligation de couverture de la caution, soit de la garantie autonome, et si l’acte initial ne comprend pas déjà des stipulations à cet égard, une réitération de la part du garant est requise.

 

1 A. Viandier, « Les contrats conclus intuitu personae face à la fusion des sociétés », Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 193.
2 Cass. com. 16 fév. 2017, n°15-19.158.
3 Cf. ci-après.
4 Cass. com. 6 mars 1978, n°76-14.152, D. 1979, I.R., p. 138, obs. Vasseur ; dans le même sens  Cass. com. 20 janv. 1987, n°85-14.035, JCP G 1987, II, n°20844, obs. Germain; Cass. com. 17 juillet 1990, n° 89-11.059, Rev. sociétés 1991, p. 67, obs. Randoux ; Cass. com. 25 nov. 1997, n°95-16.842, D. aff. 1998, p. 168 ; Cass. com. 3 oct. 2000, n°96-20-778, Bull. Joly Sociétés 2001, p. 152.
5 Cass. com. 8 nov. 2005, n°01-12.896, Bull. civ. IV, n°234.
6 Cass. com. 16 sept. 2014, n°13-17.779, RTD com, 2014, p.841, obs. D. Legeais; dans le même sens, Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-10.719, Dr. & patr. 2010, n°190, p.73, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm ; Cass. com. 13 sept 2011, n° 10-21.370, Rev. Sociétés 2012, p. 500, note J.-F. Barbièri ; Cass. com. 19 fév. 2013, n°11-27.666, JCP E 2013, 1175.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº809
Notes :
1 A. Viandier, « Les contrats conclus intuitu personae face à la fusion des sociétés », Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 193.
2 Cass. com. 16 fév. 2017, n°15-19.158.
3 Cf. ci-après.
4 Cass. com. 6 mars 1978, n°76-14.152, D. 1979, I.R., p. 138, obs. Vasseur ; dans le même sens  Cass. com. 20 janv. 1987, n°85-14.035, JCP G 1987, II, n°20844, obs. Germain; Cass. com. 17 juillet 1990, n° 89-11.059, Rev. sociétés 1991, p. 67, obs. Randoux ; Cass. com. 25 nov. 1997, n°95-16.842, D. aff. 1998, p. 168 ; Cass. com. 3 oct. 2000, n°96-20-778, Bull. Joly Sociétés 2001, p. 152.
5 Cass. com. 8 nov. 2005, n°01-12.896, Bull. civ. IV, n°234.
6 Cass. com. 16 sept. 2014, n°13-17.779, RTD com, 2014, p.841, obs. D. Legeais; dans le même sens, Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-10.719, Dr. & patr. 2010, n°190, p.73, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm ; Cass. com. 13 sept 2011, n° 10-21.370, Rev. Sociétés 2012, p. 500, note J.-F. Barbièri ; Cass. com. 19 fév. 2013, n°11-27.666, JCP E 2013, 1175.
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