Comme chaque année, la Banque Centrale européenne (BCE) a publié les priorités de supervision du mécanisme de supervision unique (MSU). Référence essentielle pour les banques « importantes » placées sous sa surveillance directe, elles sont annonciatrices des principales actions menées au cours de l’année, voire, pour certaines d’entre elles, des deux ou trois années suivantes. Ces priorités constituent également une référence pour les autorités nationales compétentes, qui sont invitées à s’en inspirer pour établir leurs propres priorités de supervision à l’égard des établissements, dits « moins importants », restés dans leur giron.
Leur publication, intervenue le 7 décembre dernier, couvre la période 2022-2024. Elle présente un intérêt tout particulier cette année, dans la mesure où ce sont les premières « priorités de supervision » préparées par la nouvelle direction Stratégie et risque prudentiels (Supervisory Strategy and Risk – D-SSR), créée en octobre 2020, à l’occasion de la réorganisation des grandes directions de la BCE en charge de la supervision bancaire. Or, cette nouvelle direction a introduit des changements particulièrement intéressants. Ils révèlent une évolution substantielle, et pas uniquement formelle, de l’approche de la BCE consistant en particulier à renforcer la supervision basée sur les risques (risk-based approach).
Planification de la supervision, mode d’emploi
En ce qui concerne le cadre de travail, la planification des activités de supervision du MSU est réalisée à l’issue d’un processus annuel organisé en deux étapes (voir infographie) :
– la planification stratégique est menée par la direction Stratégie et risque prudentiels de la BCE, en lien avec les JST
– la planification opérationnelle, à la main des JST, consiste à élaborer un programme de supervision particulier à chaque banque. On le désigne habituellement par l’acronyme anglais SEP, pour Supervisory Examination Programme. Il détaille les principales actions de contrôle devant être menées dans le courant de l’année, et couvre notamment les inspections sur place, les revues de modèles internes, de deep dives
Une apparente constance par rapport à 2021
Concernant les grandes thématiques retenues pour la période 2022-2024, il y a tout d’abord une grande permanence par rapport à celles de 2021. Deux raisons expliquent cela.
La première, de fond, tient à l’environnement économique encore très marqué par la pandémie et ses conséquences. On retrouve donc, tout naturellement, les deux grandes préoccupations qui sous-tendaient déjà les priorités 2021 (voir infographie) :
– le risque de crédit (Priorité 1), qui garde son statut de priorité numéro un ;
– les faiblesses structurelles du secteur bancaire (Priorité 2), qui affectent sa rentabilité. Elles préexistaient à la crise mais se sont aggravées avec elle.
Parmi les risques émergents (Priorité 3) figurent :
– le risque informatique et cyber, sachant qu’il a toujours constitué une préoccupation majeure du superviseur depuis les premières priorités émises par le MSU en 2016 ;
– le risque climatique a quant à lui acquis une nouvelle dimension depuis la publication des attentes prudentielles de la BCE en novembre 2020 ;
– l’exposition des banques aux entités non bancaires (shadow banking), comme les fonds alternatifs (hedge funds) et les family offices, est également citée ; c’est la seule véritable nouveauté des priorités 2022-2024 liée à des événements survenus en 2021, notamment les faillites retentissantes de Greensill et d’Archegos.
La seconde raison tient à l’approche méthodologique suivie par la BCE. Les priorités de supervision, même si elles sont revues annuellement, sont établies pour trois ans. Les années précédentes, l’horizon d’application n’était pas toujours précisé. Dans la dernière publication, en revanche, il figure non seulement dans son titre (2022-2024), mais aussi expressément dans le corps du texte. Beaucoup ont pu croire à une nouveauté, alors qu’il s’agissait en réalité d’une pratique déjà établie
Pour autant, la nouvelle direction Stratégie et risque prudentiels a innové sur trois points importants. D’abord, avec un format plus lisible. Les priorités de supervision sont en apparence plus volumineuses
Les vulnérabilités au cœur du dispositif
Seconde innovation, avec une approche centrée sur les vulnérabilités. Entre 2016 et 2020, le processus de définition des priorités de supervision était basé uniquement sur l’identification préalable des risques pesant sur le secteur bancaire. À partir des priorités 2021, la BCE a également commencé à identifier les vulnérabilités. Pour les priorités de supervision 2022-2024, cette identification des vulnérabilités n’est plus simplement complémentaire de l’identification des risques, mais elle constitue désormais la référence essentielle pour la détermination de chacune des priorités.
La BCE n’a d’ailleurs plus jugé utile de publier la traditionnelle cartographie des risques (SSM Risk Map) qui présentait, sur un diagramme, le niveau d’importance attribué à chacun des risques identifiés, en croisant la probabilité de leur survenance avec leur impact. Cette approche plus pragmatique vise à une plus grande efficacité : les banques ont en effet peu de prise, voire aucune, sur les risques eux-mêmes (environnement de taux, risques géopolitiques, risque climatique), alors qu’elles peuvent engager des actions en vue de remédier à leurs propres vulnérabilités pour gérer ces risques.
Une supervision plus ciblée
Plutôt que d’adopter, comme les années précédentes, des thématiques très générales, souvent par référence à la catégorie de risques concernée (« la gouvernance », « le business model » ou « le risque de crédit »), en guise de priorités de supervision, elle exprime chacune d’elles sous la forme d’un objectif
Dans un article publié, sous la forme d’un post de blog, concomitamment aux priorités de supervision
Deux tendances plus ou moins affichées
Ces nouvelles priorités de supervision nous semblent faire ressortir deux grandes tendances, l’une clairement affichée par le MSU, l’autre plus implicite. La première tendance est l’approfondissement de la supervision basée sur les risques. Andrea Enria et Mario Quagliariello ont sur ce point indiqué avoir fait évoluer les procédures internes de la BCE pour s’assurer « que les ressources allouées à la supervision sont déployées en fonction des risques (risk-focused manner), plutôt qu’en suivant des procédures administratives récurrentes et standardisées. »
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, dans la mesure où ce mode de supervision par les risques est inscrit à la fois dans la déclaration de mission du MSU et dans ses objectifs stratégiques
La revue ciblée ou la supervision horizontale
Parmi les actions de supervision que la BCE prévoit de mener, on peut relever un grand nombre de références à un nouvel exercice, la « revue ciblée » (targeted review), absentes dans les précédentes publications. Outre les inspections sur site, les deux grands types d’investigations menées par la BCE sont les deep dives
Le plus large recours à ce type d’investigations traduit également, selon nous, une deuxième tendance. La volonté d’augmenter la part des actions de supervision horizontales, communes à tout ou partie des banques relevant de la supervision directe de la BCE, par opposition aux exercices qui sont menés individuellement par chacune des JST auprès des établissements qu’elles supervisent.
En effet, ces investigations horizontales, dont la conception et le suivi sont assurés par la direction Horizontal Line Supervision (DG-HOL), permettent de soumettre les établissements concernés à un seul et même exercice, de les comparer (benchmarking) et, in fine, d’aboutir à une plus grande harmonisation dans le traitement des banques.
Or, assurer une meilleure harmonisation des pratiques de supervision relève du deuxième mandat de la nouvelle direction Stratégie et risque prudentiels. Elle a en effet été érigée, sur le modèle du contrôle interne bancaire, en « seconde ligne de défense » du MSU. Les deux mandats de cette nouvelle direction (planification stratégique et seconde ligne de défense) sont très complémentaires : après avoir fixé un cadre commun avec l’émission des priorités de supervision, il est important de se doter des moyens nécessaires pour s’assurer que ce cadre est respecté et mis en œuvre de manière uniforme pour toutes les banques. La création de cette dernière responsabilité a été l’une des grandes innovations de la réorganisation d’octobre 2020. Dans les mois à venir, la nouvelle direction va s’atteler à développer ces outils lui permettant d’assumer sa fonction de seconde ligne de défense.
La supervision spécifique ne doit pas être oubliée
Les priorités de supervision n’épuisent pas les activités de supervision prudentielles conduites par la BCE, dans la mesure où beaucoup d’entre elles sont également liées au profil de risque spécifique des établissements supervisés. Ces activités de supervision peuvent être lancées, par exemple, en raison d’un changement d’environnement soudain, que celui-ci concerne le secteur dans son ensemble (survenance de la pandémie) ou une banque particulière (comme une acquisition stratégique, l’imposition de sanctions, l’émergence de nouveaux risques dans telle ou telle juridiction ou sur telle ou telle activité).
Elles peuvent également être liées à des sujets qui, sans avoir été érigés en priorité de supervision, n’en sont pas moins dignes d’intérêt pour le superviseur. C’est par exemple le cas de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, tout juste intégré dans la méthodologie SREP.
aux objectifs stratégiques de l’Eurosystème et du MSU.