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Gestion des risques

Séparation entre banque d’investissement et banque de détail : encore trop d’inconnues

Créé le

15.05.2012

-

Mis à jour le

30.05.2012

En mai s’est ouverte la consultation initiée par le groupe d’experts de la Commission européenne sur les réformes structurelles du secteur bancaire européen. La séparation des banques d’investissement et des banques de détail en est l'un des aspects majeurs.

Aujourd’hui, les institutions gouvernementales et bancaires européennes [1] sont amenées à reconsidérer le modèle de banque universelle, alors même que les États-Unis – à travers la règle Volcker – et le Royaume-Uni – par le ringfencing Vickers – cherchent à mettre en œuvre leur propre interprétation de la séparation des activités bancaires.

Compte tenu du financement nécessaire des économies européennes, au cœur desquelles les banques occupent une place essentielle, la séparation soulève énormément d’interrogations. Trop d’inconnues demeurent pour présager des évolutions à venir. Seule certitude : une longue période d’adaptation sera indispensable en amont pour faire évoluer les structures des économies.

Le paysage bancaire de l’Union européenne est composé de près de 8 400  institutions [2] , dont la plupart se sont développées au rythme de la croissance du tissu industriel et commercial. Le modèle de banque universelle avait semblé d’autant plus s’imposer qu’une séparation des activités ne s'inscrit pas dans cette tradition continentale, mais correspond plus à la spécialisation historique des banques britanniques et américaines, d’où leur facilité à revenir vers un modèle déjà expérimenté [3] .

Dans la volonté des gouvernements, des populations et des professionnels de maîtriser les excès de la banque d’investissement, le principe de la séparation des activités semble un garde-fou simple et efficace, mais cette simplicité masque bon nombre de difficultés économiques, réglementaires et opérationnelles.

Une nécessité pour les institutions européennes ?

Les banques européennes ont davantage été déstabilisées par la crise des dettes publiques que par les pratiques mises au jour ces dernières années. Justifiée par les risques systémiques générés par des banques laissées sans limites et par l’indispensable préservation des intérêts des déposants et épargnants, la remise en cause de la banque universelle tend à éluder les efforts fournis par les institutions bancaires européennes : mise en place des recommandations de Bâle, dispositifs internes de gestion des risques, directives nationales et européennes. Alors que la banque européenne est déjà engagée dans un profond mouvement de mutation, il semble prématuré de s’engager de surcroît dans un changement aussi révolutionnaire sans avoir au préalable récolté les fruits des chantiers en cours. De plus, la mise en place des règles Volcker et Vickers (voir Tableau) suscite actuellement quelques difficultés, qui devraient inciter les Européens à la prudence :

  • difficulté à dissocier activités de trading pour compte propre et activités de teneur de marché (market making) ;
  • délicate séparation entre le trading pour compte propre et les activités de couverture (hedging) ;
  • baisse des revenus de 25 % anticipée par certains établissements américains.

Ou un péril pour les économies européennes ?

Mais les incertitudes majeures portent sur les conséquences économiques de cette transformation. Près de 70 % des financements en Europe sont de source bancaire (découverts et facilités, prêts, etc.). Imposer une partition des activités prive les institutions bancaires de ressources pour financer ou couvrir les opérations de crédit et conduit à en surenchérir le coût pour les clients.

Des financements de substitution devront être trouvés auprès d’autres acteurs (fonds divers, private equity, business angels, partenariats public-privé…) et via les techniques financières de transfert des risques (titrisation, cession de créances). Un encouragement à la désintermédiation et au développement du shadow banking [4] , qui risque d’être tout aussi, voire même plus, déstabilisant pour les marchés financiers.

Bien que reconnaissant son utilité dans le financement de l’économie, le Livre vert de la Commission européenne [5] (mars 2012) en identifie les risques :

  • le recours à un système parallèle non soumis aux contraintes réglementaires et prudentielles des institutions bancaires peut être promu par des acteurs désirant maintenir l’opacité sur leurs activités ;
  • la stabilité des financements ne sera pas nécessairement mieux assurée que par le système bancaire classique ;
  • la solidité du système bancaire parallèle peut être fragilisée par le levier ou l’usage de garanties non encadrés ;
  • enfin, la porosité entre les deux systèmes bancaires permettrait à une défaillance du système classique de s’étendre au système parallèle.

Un impact lourd pour les établissements bancaires de petite taille

Face à une concurrence de plus en plus aiguë, les banques européennes doivent innover pour concevoir des produits respectant les réglementations et générant suffisamment de marge ou développer les pures activités d’intermédiaire et de conseil (fusion-acquisition, gestion patrimoniale…). Opérationnellement, si la séparation des activités s’impose, les établissements seraient tenus :

  • d’accroître leur base de clientèle pour certains services ou simplement en abandonner la délivrance si leur stratégie l’autorise ;
  • de capter les ressources, en développant la gestion de trésorerie ;
  • de dissocier leur gestion actif-passif en fonction de leurs activités ;
  • de maintenir qualité des services et coûts de production soit en optant pour une spécialisation plus poussée soit une régionalisation.
Les activités de banque d’investissement, en assurant une bonne part du PNB, permettent aux établissements de crédit de maintenir des prix raisonnables sur certains services de banque de détail. Maintenir une offre sur tous les services et à l’international pourrait s’avérer trop lourd, même pour des établissements bien positionnés aujourd’hui. La séparation, outre qu’elle amoindrira les capacités de refinancement de l’établissement, aura un impact direct sur sa rentabilité. Il est fort probable que la raréfaction des ressources capitalistiques, du fait des scissions d’activités, et l’obligation de repenser les modèles économiques et opérationnels soient fatales aux établissements bancaires de petite taille ou à ceux dont l’activité est extrêmement ciblée.

Quelles priorités à moyen terme ?

Les économies européennes sont-elles préparées à la séparation des activités bancaires ? À quel horizon la séparation pourrait-elle être mise en œuvre ? Quelle forme celle-ci prendrait-elle – simple compartimentation ou scission –, sachant que l’existence de forts réseaux mutualistes et coopératifs en Europe empêche l’application de la filialisation au sens de la règle Vickers ? Limitations en taille ou en type d’opérations des activités de marché pour la banque de détail, ajustement des normes prudentielles aux profils des banques, accroissement des règles de transparence et de contractualisation entre les entités, particulièrement au sein d’un même groupe bancaire… Autant de questions sur lesquelles les Européens ont à se positionner.

 

 

 

1 Cf. site Internet de l’Union européenne : European Commission > The EU Single Market > Consultations > 2012. 2 8 358 institutions en 2010. Cf. rapport de la BCE, « EU Banking Structures », sept. 2010. 3 Les banques britanniques étaient spécialisées : clearing, merchant, overseas banks, etc. Aux États-Unis, le Glass-Steagall Act a imposé la partition entre banques d’affaires et banques de détail pendant 70 ans (jusqu’en 1999), bien que les exceptions à cette règle se soient multipliées dans les années 1980. 4 Le shadow banking (ou système bancaire parallèle) est défini par le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board – FSB) comme le système d’intermédiation de crédit qui implique des entités et des activités extérieures au système bancaire classique (« credit intermediation involving entities and activities outside the regular banking system », définition issue du Progress Report to G20 Ministers and Governors en date du 16 avril 2012). 5 Les différentes instances européennes de surveillance rassemblent actuellement les données pour mieux appréhender le système bancaire parallèle et ses interactions avec le système bancaire classique et définir des dispositifs de surveillance à mettre en œuvre. L’Union européenne encadre de manière indirecte et sans doute imparfaite le shadow banking via les exigences de fonds propres et règles prudentielles existantes (par exemple, fonds d’investissement alternatifs, fonds monétaires et ETF, solvabilité 2). Cf. sur ce point le Livre vert « Le système bancaire parallèle » de la Commission européenne du 19 mars 2012. Il s’agit d’élargir l’application des réglementations existantes ou d’en définir de nouvelles compatibles avec les objectifs et la nature de ces activités. Parmi les axes de travail listés, on trouve les transferts des risques du système bancaire vers le shadow banking, la réglementation de la gestion d’actifs, les prêts de titres et pensions livrées ou la titrisation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº749
Notes :
1 Cf. site Internet de l’Union européenne : European Commission > The EU Single Market > Consultations > 2012.
2 8 358 institutions en 2010. Cf. rapport de la BCE, « EU Banking Structures », sept. 2010.
3 Les banques britanniques étaient spécialisées : clearing, merchant, overseas banks, etc. Aux États-Unis, le Glass-Steagall Act a imposé la partition entre banques d’affaires et banques de détail pendant 70 ans (jusqu’en 1999), bien que les exceptions à cette règle se soient multipliées dans les années 1980.
4 Le shadow banking (ou système bancaire parallèle) est défini par le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board – FSB) comme le système d’intermédiation de crédit qui implique des entités et des activités extérieures au système bancaire classique (« credit intermediation involving entities and activities outside the regular banking system », définition issue du Progress Report to G20 Ministers and Governors en date du 16 avril 2012).
5 Les différentes instances européennes de surveillance rassemblent actuellement les données pour mieux appréhender le système bancaire parallèle et ses interactions avec le système bancaire classique et définir des dispositifs de surveillance à mettre en œuvre. L’Union européenne encadre de manière indirecte et sans doute imparfaite le shadow banking via les exigences de fonds propres et règles prudentielles existantes (par exemple, Fonds d'investissement alternatifs, fonds monétaires et ETF, solvabilité 2). Cf. sur ce point le Livre vert « Le système bancaire parallèle » de la Commission européenne du 19 mars 2012. Il s’agit d’élargir l’application des réglementations existantes ou d’en définir de nouvelles compatibles avec les objectifs et la nature de ces activités. Parmi les axes de travail listés, on trouve les transferts des risques du système bancaire vers le shadow banking, la réglementation de la gestion d’actifs, les prêts de titres et pensions livrées ou la titrisation.