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La réglementation financière décryptée par le Labex Réfi : à propos de Bâle III

Créé le

12.04.2012

-

Mis à jour le

06.06.2012

La crise a nécessité d’améliorer rapidement le dispositif prudentiel en vigueur, en particulier de renforcer la résilience des banques et de contenir les risques systémiques. L’objet de cette chronique est d’évaluer certains aspects de Bâle III, au moment même où les régulateurs et les banques préparent la transition vers ce nouveau dispositif.

La crise mondiale, commencée en août 2007, a été aggravée par la faillite de Lehman Brothers et marquée par la récession de 2009. Sur un certain nombre de points, Bâle III va continuer Bâle II, qu’il s’agisse de la démarche globale en trois piliers (les ratios prudentiels, l’amélioration de la supervision des banques, le renforcement de la discipline de marché), du rôle conféré aux modèles internes des banques, de la reconnaissance des risques opérationnels… Sur d’autres aspects, c’est l’innovation réglementaire qui domine. Le changement majeur, c’est le relèvement des ratios de fonds propres des banques, un mouvement relativement plus marqué pour les fonds propres « durs » (core tier 1). Ici, la réglementation prudentielle officialise, en l’amplifiant, une tendance à l’œuvre depuis quelques années du côté des marchés, des agences de notation, des analystes financiers, etc. Cette tendance va dans le sens d’une revalorisation, voire d’une survalorisation des fonds propres durs, et d’une dévalorisation – par ailleurs compréhensible – des quasi-fonds propres. L’Union européenne, actuellement sous le régime de Bâle 2,5, c’est-à-dire une configuration intermédiaire, a décidé d’accélérer le calendrier pour cause de crise dans la zone euro, tout en durcissant les ratios de fonds propres. Les grandes banques françaises vont respecter le 9 % minimum du core tier 1 à la fin de 2012, sans coup de pouce de l’État et souvent grâce à des profits mis en réserve.

Outre les ratios de liquidité évoqués ci-dessous, il faut relever le respect imposé d’un coefficient de levier, qui nous vient de la réglementation bancaire américaine et qui va probablement ajouter des complications plus que des sécurités supplémentaires aux différents ratios de solvabilité. En revanche, il faut saluer le renforcement des exigences en fonds propres pour les banques « systémiques » – à condition que la liste initiale de 29 établissements soit périodiquement mise à jour par le CSF [1] , ainsi que l’amorce d’une « désintoxication » de la réglementation vis-à-vis des agences de notation, contraire au mouvement engagé à l’époque par Bâle II. 

Le caractère structurant des ratios de liquidité

La grande innovation de Bâle III est l’introduction de deux ratios de liquidité pour les banques, l’un à court terme, l’autre à long terme. Vu l’importance de la liquidité bancaire dans la crise depuis 2007, on comprend sans peine le fondement d’une telle innovation réglementaire. En même temps, ses effets structurels seront probablement plus décisifs que le relèvement des ratios de fonds propres. Dans le monde de Bâle III, les banques feront beaucoup moins de « transformation » qu’avant. Le propre d’une banque n’est-il pas justement de faire de la « transformation » ? Avec le nouveu dispositif, moins de risques pour les banques, mais aussi moins de leviers pour financer l’économie réelle. Dans ce monde-là, qui va financer le développement durable, l’investissement productif, la croissance des PME ? Moins les banques, plus les marchés et les fonds. Mais à quelles conditions et avec quelles implications ?

 

Atténuer la procyclicité du dispositif prudentiel

Bâle II est procyclique et accentue donc l’instabilité du système au lieu de l’atténuer, comme le sera Solvabilité 2 pour l’assurance. Le dispositif Bâle III introduit un « coussin contracyclique » pour corriger certains des défauts de Bâle II. Il est regrettable que ce coussin ne soit pas rendu obligatoire dans le marché unique européen, mais qu’au contraire sa mise en œuvre et son ampleur soient laissées à la discrétion des autorités nationales, ce qui pourrait entraîner de nouvelles distorsions de concurrence. Il faut déplorer aussi que les provisions « dynamiques » (ou ex ante) des banques, pourtant prônées par le G20 de Londres d’avril 2009, soient en train de disparaître du débat réglementaire et fiscal. Il s’agit pourtant d’une bonne initiative, dont la contracyclicité par nature compense une part de la procyclicité de la réglementation prudentielle.

Bâle III entre certitude et incertitude

Dans le brouillard actuel, il est au moins une certitude : la dialectique entre la réglementation prudentielle et l’innovation financière n’est pas près de s’arrêter. Tout comme Bâle I et Bâle II ont engendré certaines innovations de contournement, Bâle III ne sera pas en reste de ce côté-là… Quelle forme prendront les innovations de contournement ? Il est un peu tôt pour le dire, même si certaines tendances se dessinent. La réglementation bancaire et financière a souvent, et presque par nature, un train de retard vis-à-vis des évolutions des marchés. Il serait bon que cette fois-ci les régulateurs essaient d’avoir un train d’avance, en anticipant le devenir de cette dialectique innovation/réglementation. Ce qui est plus facile à dire qu'à concrétiser…

Une incertitude majeure touche au respect, au plan international, des engagements pris au G20 et à Bâle. Les Américains ont contribué à resserrer les boulons réglementaires. Mais le G20 comme le CSF n’émettent que des recommandations. Le moment venu, les Américains et quelques autres pays majeurs non européens vont-ils réellement appliquer Bâle III dans tous ses contours ? L’Europe a raison de montrer la voie et de contribuer ainsi à la stabilité financière mondiale ; elle devra éviter l’excès de zèle et la naïveté.

 

1 Conseil de stabilité financière.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº748
Notes :
1 Conseil de stabilité financière.