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Économie bancaire

Bâle III et les réminiscences de Bâle I

Créé le

23.01.2018

-

Mis à jour le

30.01.2018

Les exigences en capital indépendantes du risque pondéré ou fondées sur une mesure arbitraire de ce dernier gagnent en influence, avec à la clef l’émergence probable de deux stratégies de choix de portefeuille : le choix systématique du risque moyen ou la polarisation des risques (très élevés et très bas).

Les premières normes prudentielles internationales (Bâle I) imposaient une pondération unique pour une classe d’actifs bancaires, dont l’effet pervers était d’inciter les banques à choisir le risque le plus élevé dans ladite classe d’actifs. Au contraire, Bâle II a été mis en place afin d’encourager les banques à privilégier les meilleurs risques et de bénéficier ensuite de pondérations, et donc d’exigences en capital, plus basses, ces dernières étant calculées « sur-mesure » au plus près du risque constaté (historique) de chaque portefeuille. Cette incitation semble avoir produit quelques effets puisque les banques européennes qui utilisent les modèles internes depuis 2007 présentent des portefeuilles moins risqués, en moyenne, que ceux des banques américaines dont certaines n’ont été autorisées à basculer vers les modèles internes qu’en 2014 et dans une mesure limitée [1] . Dans le cadre de Bâle III, le Comité de Bâle a introduit des « filets de sécurité » (backstop) afin de limiter la partie « non justifiée » des écarts de pondérations entre les modèles internes de Bâle II et d’éviter qu’ils ne soient détournés de leur objet pour permettre à quelques banques d’« économiser » indûment des fonds propres.

L’accord finalisé le 7 décembre dernier conforte plusieurs modifications en ce sens. Le ratio de levier, d’abord, publiable depuis début 2015 (article 451 CRR) fixe une exigence minimale en capital de 3 % du bilan et d’éléments de hors-bilan, indépendamment du risque. L’output floor, ensuite, limitera la pondération en risque moyenne de l’ensemble des actifs (quelle que soit la méthode utilisée, standard ou avancée) à au moins 72,5 % (en 2027) de la pondération qui résultera de l’application exclusive de la méthode standard. En d’autres termes, le régulateur limitera l’économie de fonds propres susceptible de découler de l’usage des modèles internes à un maximum de 27,5 %, en moyenne, au regard de celle qui résulterait de l’approche standard. L’étude d’impact publiée par le Comité de Bâle en décembre 2017 confirme le caractère plus contraignant [2] de ce nouveau floor, qui se substituera progressivement à partir de 2022 à celui, introduit par le dispositif Bâle II, fixé à 80 % des exigences de fonds propres applicables aux termes de Bâle I.

Enfin, et même si le périmètre en a été réduit au fil des négociations au regard des recommandations initiales, certains types de risques (opérationnels, actions) ne pourront plus être calculés avec des modèles internes mais devront être obligatoirement pondérés selon l’approche standard.

Filets de sécurité ou nouveau déterminant du choix de portefeuille ?

L’étude d’impact provisoire publiée le 20 décembre 2017 par l’EBA apporte des éléments de réponse. Si les nouvelles règles finalisées avaient été pleinement applicables en décembre 2015, la proportion de grandes banques (groupe 1) contraintes par le floor se serait élevée à 33,3 % tandis que celle des banques contraintes par le levier se serait établie à 19,4 % dans l’Union européenne. En d’autres termes, plus de la moitié des grandes banques internationales (52,7 %) auraient été contraintes par des normes qui ne sont plus fondées sur des modèles internes. La proportion est certes plus faible pour l’ensemble des banques (42,1 %) mais celle-ci demeure importante et les banques du groupe 1 concentrent l’essentiel des actifs de l’échantillon.

Il est, dès lors, difficile de considérer, avec une telle part du système bancaire contraint, l’output floor et le levier comme de simples filets de sécurité. N’en déplaise au Comité de Bâle, ils exerceront une influence structurante sur les choix de portefeuilles bancaires au cours des prochaines années en incitant certaines banques à « sortir » de leurs bilans les risques les plus bas et les autres, à neutraliser la surpondération des très faibles risques par le choix simultané d’actifs très risqués dont la pondération excédera très largement le floor. La première stratégie consistera à faire le choix d’une répartition relativement homogène d’actifs présentant un risque moyen au sein du portefeuille, la seconde à polariser les risques, en optant simultanément pour des actifs de risque très bas (mais surpondérés par rapport à ce que l’établissement juge nécessaire en termes de capital économique) et des actifs très risqués (mais sous-pondérés).

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº817
Notes :
1 Voir, du même auteur, « Des écarts de pondération des actifs bancaires par les risques de part et d’autre de l’Atlantique », Revue Banque n° 802, novembre 2016.
2 La proportion des 96 grandes banques internationales (groupe 1) de l’échantillon mondial du BCBS contraintes par le nouveau floor se serait élevée à 32,4% sur la base des données de décembre 2015, contre 19,7% pour l’ancien floor Bâle I.  cf. BCBS (2017), « Basel III Monitoring Report, Results of the Quantitative Impact Study », déc.
RB