Bâle III : les enjeux bancaires européens d'une décennie

La crise n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; seulement caract&eacute;ris&eacute;e par un encha&icirc;nement macro&eacute;conomique global et la prolif&eacute;ration d&rsquo;instruments financiers toxiques. En outre, le r&ocirc;le de ces facteurs a &eacute;t&eacute; favoris&eacute; par le contraste flagrant entre un secteur financier dynamique et innovant face &agrave; un environnement r&eacute;glementaire en constante inadaptation. Des innovations telles que titrisation ( securitization ), CDOs ( Collateralised Debt Obligations ) et CDSs ( Credit Default Swaps ) auraient d&ucirc; pouvoir s&rsquo;inscrire positivement dans le paysage financier mondial. Quelles le&ccedil;ons tirer de la crise ? Force est de constater qu'aucun cadre rigoureux et efficace n&rsquo;a pu &ecirc;tre dress&eacute; face &agrave; leur utilisation croissante dans des configurations toxiques. Particuli&egrave;rement aux &Eacute;tats-Unis, les agences de notations se sont positionn&eacute;es parmi les acteurs centraux. Ainsi, concernant le compartiment &laquo; subprime &raquo; des pr&ecirc;ts hypoth&eacute;caires, la s&eacute;quence est particuli&egrave;rement claire : des soci&eacute;t&eacute;s financi&egrave;res accordent massivement des pr&ecirc;ts hypoth&eacute;caires &agrave; haut rendement ; ils c&egrave;dent ces pr&ecirc;ts &agrave; des banques d&rsquo;investissement ou institutions financi&egrave;res qui les structurent en v&eacute;hicules d&rsquo;investissement ( MBS : Mortgage-Backed Securities ) et les font noter par une agence respect&eacute;e ; ces MBS sont c&eacute;d&eacute;s dans le monde &agrave; d&rsquo;autres institutions financi&egrave;res, banques, compagnies d&rsquo;assurance, fonds de pension, qui les ach&egrave;tent parce qu&rsquo;ils sont bien not&eacute;s. La s&eacute;quence relative aux CDSs ne l&rsquo;est pas moins, rehausseurs de fait de la signature sous-jacente (le risque de d&eacute;faut est transf&eacute;r&eacute; au vendeur du CDO). Ainsi, par exemple : une banque contracte un CDS avec l&rsquo;assureur American International Group (AIG) sur un engagement General Motors (sous-jacent) ; par ce contrat, le risque de la banque en cas de d&eacute;faut du sous-jacent est transf&eacute;r&eacute; sur AIG ; par cons&eacute;quent, la notation du risque r&eacute;sultant pour la banque est celle d&rsquo;AIG, soit AAA avant la crise. Le d&eacute;veloppement massif de ce type de transaction par AIG (jusqu&rsquo;&agrave; 500 milliards de dollars) a engendr&eacute; sa chute et les exemples de ce type pourraient &ecirc;tre multipli&eacute;s. L&rsquo;explosion et l&rsquo;opacit&eacute; des transactions de gr&eacute; &agrave; gr&eacute; de cette nature (OTC : Over the Counter , soit plusieurs milliers de milliards de dollars de d&eacute;riv&eacute;s OTC avant la crise) ont exerc&eacute; un r&ocirc;le d&eacute;terminant dans la propagation de la crise, sans que rien n&rsquo;ait &eacute;t&eacute; vraiment engag&eacute; outre-Atlantique pour y rem&eacute;dier. Et pourtant&hellip; D&egrave;s 2004, le FBI diffusait une alerte sur une &eacute;pid&eacute;mie de fraudes concernant les vendeurs de CDSs sur pr&ecirc;ts subprime . Depuis 2006, la Fed &eacute;tait inform&eacute;e sur la fragilit&eacute; croissante d&rsquo;AIG. En 2007, le Tr&eacute;sor am&eacute;ricain et une repr&eacute;sentation du G8 officialisaient leurs craintes sur la fragilisation croissante de nombre de banques commerciales. Mais rien n&rsquo;y a chang&eacute;, de m&ecirc;me que le conflit d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t patent entre le march&eacute; et les agences de notation, dont les clients ne sont pas les investisseurs mais les &eacute;metteurs. &Agrave; partir de la fin des ann&eacute;es 1990, des milliards de dollars de nouveaux v&eacute;hicules ont &eacute;t&eacute; structur&eacute;s et not&eacute;s, g&eacute;n&eacute;rant de substantielles commissions pour les banques et les agences de notation. &Agrave; titre d&rsquo;illustration, la marge op&eacute;rationnelle de Moody&rsquo;s entre 2000 et 2007 a &eacute;t&eacute; de 53 % par an en moyenne, contre respectivement 36 % et 30 % pour Microsoft et Google. La voie europ&eacute;enne Pour sa part, l&rsquo;Europe en tire drastiquement les le&ccedil;ons, et B&acirc;le II se voit le socle d&rsquo;un nouveau B&acirc;le III particuli&egrave;rement rigoureux. Ce dernier pose, selon un calendrier &eacute;tendu jusqu&rsquo;&agrave; 2019, de nouvelles bases r&eacute;glementaires devant &ecirc;tre transcrites en droits nationaux. Il s&rsquo;applique &agrave; six domaines principaux (non-exclusifs) : le renforcement de la qualit&eacute; et du montant des fonds propres Tier 1 , exprim&eacute; en pourcentage des actifs pond&eacute;r&eacute;s RWA ( Risk Weighted Assets ) : &agrave; porter de 4 &agrave; 4,5 % en 2013, jusqu&rsquo;&agrave; 6 % au 1 er janvier 2019 ; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de ces derniers, le niveau de capital-actions ordinaires ( common equity ) est port&eacute; de 2 &agrave; 3,5 % en 2013 et jusqu&rsquo;&agrave; 4,5 % au 1 er janvier 2019 ; les ratios de liquidit&eacute; en environnement stress&eacute; : le LCR ( Liquidity Coverage Ratio ), repr&eacute;sentant les actifs hautement liquides rapport&eacute;s aux sorties nettes mensuelles de tr&eacute;sorerie, doit &ecirc;tre au moins &eacute;gal &agrave; 100 % ; le NSFR ( Net Stable Funding Ratio ) reprend le capital-actions ordinaires et les ressources stables inf&eacute;rieurs &agrave; 1 an rapport&eacute;s aux actifs stables inf&eacute;rieurs &agrave; 1 an ; il doit aussi &ecirc;tre &eacute;gal ou sup&eacute;rieur &agrave; 100 % ; le ratio de levier ( Leverage Ratio ) : encore tr&egrave;s discut&eacute;, il doit &ecirc;tre affin&eacute; entre le niveau pos&eacute; par le Comit&eacute; de B&acirc;le (fonds propres Tier 1 = 4 % du total de bilan, soit un levier possible de 25 fois) et celui propos&eacute; des banques (2 %, soit un levier possible de 50 fois) ; le dispositif nouveau constitutif de deux coussins de fonds propres suppl&eacute;mentaires : un coussin de &laquo; s&eacute;curit&eacute; &raquo;, constitu&eacute; progressivement de 0,625 % des actifs pond&eacute;r&eacute;s RWA en 2016 &agrave; 2,50 % au 1 er janvier 2019 ; un coussin &laquo; contracyclique &raquo;, &agrave; constituer jusqu&rsquo;&agrave; un plafond de 2,5 % en fonction d&rsquo;un ratio &eacute;tabli par chaque pays, comparant la croissance du cr&eacute;dit &agrave; son secteur priv&eacute;, &agrave; celle d&rsquo;un historique long-terme de son produit int&eacute;rieur brut. Ce coussin contracyclique serait progressivement aliment&eacute; en fonction du niveau de ce ratio &agrave; partir de 1,02 (&eacute;cart &amp;gt; 2 %). Selon des &eacute;tudes du Comit&eacute; de B&acirc;le, cet indicateur serait un pr&eacute;dicteur de crise pertinent &agrave; 2/3 ans. Le coussin &agrave; constituer par une banque internationale serait fonction de la pond&eacute;ration de ses diff&eacute;rentes expositions pays par pays ; le portefeuille de n&eacute;gociation ( Trading book ) : prise en compte du risque de contrepartie pour s&rsquo;aligner sur le portefeuille bancaire ( Banking book ) ; le traitement dissuasif de pond&eacute;rations, d&rsquo;une part des transactions OTC dans le but de favoriser les march&eacute;s organis&eacute;s, d&rsquo;autre part des v&eacute;hicules de titrisation. Globalement, au 1 er janvier 2019, les fonds propres du secteur bancaire europ&eacute;en auront ainsi &eacute;t&eacute; port&eacute;s de 8 &agrave; 10,5 % de leurs actifs pond&eacute;r&eacute;s RWA, dont 7 % de capital-actions normales (2 % actuellement), incluant les 2,5 % de coussin de s&eacute;curit&eacute; (hors coussin contracyclique, aliment&eacute; en seul cas de pr&eacute;visibilit&eacute; de crise financi&egrave;re). &Agrave; cet aspect quantitatif s&rsquo;ajoute un volet qualitatif notable, en particulier l&rsquo;exclusion de multiples instruments de fonds propres/quasi-fonds propres hybrides. Les ordres de grandeur financiers &agrave; engager au titre de B&acirc;le III sont consid&eacute;rables. En termes de fonds propres, environ 700 milliards d&rsquo;euros devraient &ecirc;tre lev&eacute;s, correspondant &agrave; une augmentation de 40 % du Tier 1 common equity du secteur bancaire europ&eacute;en. Au plan de la liquidit&eacute;, entre 3,5 milliards et 5,5 milliards d&rsquo;euros de ressources long terme devraient &ecirc;tre mises en place, outre 2 milliards d&rsquo;euros d&rsquo;actifs hautement liquides (source : McKinsey). Une reconfiguration sectorielle sans pr&eacute;c&eacute;dent En vue d&rsquo;att&eacute;nuer ces appels massifs aux march&eacute;s, les voies d&rsquo;une optimisation plus fine de la valorisation et de la pond&eacute;ration des actifs RWA des banques europ&eacute;ennes seront explor&eacute;es, et une reconfiguration sectorielle sans pr&eacute;c&eacute;dent est &agrave; pr&eacute;voir : cessions d&rsquo;actifs non-strat&eacute;giques, recentrages d&rsquo;activit&eacute;s, regroupements, etc. &Agrave; l&rsquo;&eacute;preuve de la rigueur, le syst&egrave;me bancaire europ&eacute;en se place sans doute vainqueur, mais le poids de ses &eacute;quipements handicapera significativement sa comp&eacute;titivit&eacute;. L&rsquo;avenir dira sa capacit&eacute; d&rsquo;adaptation dans un environnement international o&ugrave; tant de zones d&rsquo;opacit&eacute; demeurent.

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