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Séparation des activités bancaires

La Belgique finalise son projet de loi

Créé le

24.01.2014

-

Mis à jour le

29.01.2014

Le gouvernement belge a approuvé en décembre dernier un projet de loi de séparation des activités bancaires. Celui-ci devrait être voté d’ici à fin mai 2014 avant les élections législatives belges. Il laisse la possibilité pour les banques d’effectuer certaines opérations de trading, y compris pour compte propre, mais sous réserves de plusieurs limites calculées en fonction du total de bilan et du montant de fonds propres.

Quelles sont les principales dispositions du projet de loi de séparation des activités bancaires approuvé en décembre par le gouvernement et qui devrait être voté d'ici à fin mai 2014 ?

Il prévoit l’interdiction pour les banques belges de pratiquer le trading pour compte propre, mais avec cinq catégories d’exemptions, liées à des ordres donnés par des clients mais également à des transactions jugées nécessaires pour garantir la solidité, la liquidité ou la bonne gestion des risques de la banque. Toutefois, ces transactions qui justifient un recours au trading pour compte propre devront respecter les mêmes limites que celles imposées au trading réalisé pour le compte des clients : l’ensemble des transactions de trading, quelle que soit leur nature, ne doivent pas représenter un montant supérieur à 15 % du total du bilan de la banque ;  les fonds propres mobilisés sur le portefeuille de trading ne doivent pas représenter plus de 10 % du total du bilan. Si ces plafonds sont dépassés, la sanction consistera à renforcer les fonds propres.

En outre, les cinq catégories d’exemptions feront l’objet de contraintes supplémentaires spécifiques à chaque catégorie, qui seront fixées par l’autorité de surveillance, c'est-à-dire la banque nationale, et dans le futur la BCE. Si les limites imposées à chacune des cinq catégories ne sont pas respectées, les transactions pourront néanmoins se justifier si les fonds propres qu’elles engagent restent dans une fourchette de 0 à 2,5 % de l’ensemble des fonds propres de la banque.

Au-delà de ces différents paliers, la séparation s’imposera et ces activités devront être logées dans une entité distincte appartenant au même groupe, mais avec un statut de société de Bourse et non plus d’une banque. Cette société de Bourse cantonnée par nature à des activités de trading devra être capitalisée de façon autonome et il faudra veiller à ce que les membres de ses organes de gouvernance soient bien distincts de ceux impliqués dans la gestion du groupe et de la banque.

Comment les banquiers belges jugent-ils ce projet de loi ?

Concernant la séparation des métiers, le gouvernement a été attentif au rôle assumé par les banques dans le financement de l’économie et au fait que, comme l’ont montré de nombreuses études réalisées par la banque nationale, la grande majorité des activités de trading sont, soit directement ou indirectement liées au financement de l’économie, soit contribuent à la stabilité du système bancaire.

Pour autant, ce projet de loi soulève quelques critiques.

  • En premier lieu, pourquoi n’avoir pas attendu les propositions européennes ? Le gouvernement a lui-même reconnu que cela aurait été souhaitable, d’autant que le paysage bancaire belge est très internationalisé puisque plus de 80 % de nos banques actives en Belgique ont leur centre de décision en dehors du pays, mais il était poussé par  la volonté exprimée par le Parlement d’agir rapidement.
  • Ensuite les limites mentionnées ont été définies, fin décembre 2013, à un moment de croissance économique faible ; dans ce contexte, les banques belges ne devraient pas avoir de problème pour s’y conformer. Mais cela sera-t-il encore le cas si la croissance économique se réveille ?
  • Enfin, le projet approuvé par le gouvernement belge, et dont nous assumons qu’il sera également  adopté par le Parlement, ne s’appliquera qu’aux seules banques de droit belge. Les banques de droit étranger ne seront pas contraintes aux mêmes exigences : cette situation ne va-t-elle pas créer des distorsions de concurrence et affaiblir la capacité bancaire belge dans le financement de l’économie ?

D’autres dispositions du projet de loi marquent aussi une certaine spécificité de la Belgique…

En effet, d’autres volets sont assez uniques en Europe : ainsi, le projet prévoit que, pour toute décision stratégique, une banque belge sera obligée de demander l’accord préalable des autorités. Certains peuvent y voir un frein à l’expansion, mais d’autres estiment que cet échange avec les autorités peut être utile pour rendre un projet stratégique plus solide. En revanche, reste à savoir ce qu’est une décision stratégique : le rachat d’une banque entre naturellement dans cette catégorie, mais il faudra bien faire le tri entre les activités courantes et les événements plus stratégiques.

Un autre aspect sur lequel nous serons précurseurs dans le paysage européen concerne le privilège des déposants, car nous allons plus loin que les dispositions prévues par les instances européennes en matière de résolution ; outre la garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros, nous exigerons de la part des banques de respecter un ratio maximum d’encombrement des actifs pour s’assurer que les déposants peuvent à tout moment récupérer leurs avoirs, sans que ceux-ci ne soient gagés ou indisponibles dans les bilans bancaires. Cette limite sera fixée par les autorités, au cas par cas, banque par banque.

Ce projet est-il globalement proche des autres textes de séparation des activités, allemand ou français ?

L’approche du gouvernement belge se trouve plutôt dans le camp des Allemands et des Français, dans ce qui peut être considéré comme une version « Volcker européenne », contrairement à une approche Vickers, car une partie des activités de trading y compris pour compte propre, reste permise au sein de la banque de dépôt en respectant bien sûr les limites fixées et même si le trading pour compte propre sans lien à une activité d’un client ou à la bonne gestion de la banque est exclu.

Qu’en est-il de la comparaison avec les avant-propositions de Michel Barnier ?

Sur la base d’une avant-proposition non définitive que nous avons vue, l’approche me semble être plutôt « Vickers » que « Volcker », donc plus proches de ce qui a été fait à Londres que des positions de Berlin, Paris ou Bruxelles. En outre, il est troublant que ces propositions prévoient une exemption pour des systèmes nationaux mis en place avant fin janvier 2014. Nous avons un texte qui a été approuvé par le Conseil des ministres, et ce n’est par parce que le Parlement n’a pas encore eu le temps de se prononcer mais va probablement le voter que nous devons être exemptés de l’exemption ! Par ailleurs, dans notre projet comme dans la loi française, les banques peuvent encore avoir dans des conditions bien définies des activités avec des hedge funds alors qu’il serait question dans le projet européen d’une interdiction totale et absolue. Enfin, celui-ci prévoit également une exemption pour le trading des obligations d’État que je comprends évidemment, mais pourquoi limiter celle-ci aux obligations d’État alors que beaucoup d’autres instruments financiers ont besoin de liquidité et contribuent au financement de  l’économie européenne ? Mais enfin, le dernier mot n’est pas encore dit !

Quelles sont les prochaines étapes législatives en Belgique pour faire adopter ce projet de loi ?

Des élections nationales auront lieu en Belgique au même moment que les élections européennes, ce qui veut dire que le Parlement devra avoir achevé ses travaux avant le 25 mai, et donc avoir voté cette proposition de loi.

Mais auparavant, après l’adoption du texte par le Conseil des ministres en première lecture, celui-ci doit être à présent, selon la législation belge, soumis au Conseil d’État, qui dispose d’un mois pour donner son avis. Le gouvernement finalisera alors en deuxième lecture sa proposition de loi en tenant compte de ce dernier et la renverra au Parlement pour débat en commissions et vote en séance plénière.

Le projet peut-il encore sensiblement évoluer ?

Notre Gouvernement de coalition de six partis a longuement débattu avant d’aboutir à ce texte et l’essentiel a vraisemblablement été fixé.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº769