L’Ebitda est un concept qui n’est ni réglementé ni formellement défini par les différentes normes comptables. Observer la façon dont les groupes du CAC40 (hors sociétés financières) l’utilisent dans leurs rapports annuels permet de constater une relative homogénéité dans les modalités de communication sur cet indicateur et de dresser un tableau de son utilisation.
Depuis 2005, toutes les sociétés cotées européennes doivent publier leurs comptes en normes IFRS, et la très grande majorité des études concluent au fait que les normes IFRS ont permis d'obtenir une information de meilleure qualité pour les investisseurs financiers (Lantin et Tort, 2015). Mais au sein de cette harmonisation de l'information financière publiée par les sociétés cotées, un intrus apparaît : l'Ebitda. L'Ebitda est en effet un concept intéressant, car il recèle un paradoxe : alors même qu'il est utilisé régulièrement en évaluation d'entreprise, et souvent en communication financière, cet indicateur n'est pas défini formellement par les normes IFRS, ni par les normes comptables nationales.
Notre étude a pour objet d'observer la façon dont les groupes du CAC40 (hors sociétés financières : banques, compagnies d’assurance…) utilisent l’Ebitda dans leur rapport annuel, ce vecteur parmi d’autres de leur communication financière. On a retenu les rapports de l’année 2015 ; il s’agit donc d’une photo à un moment donné [1].
L’Ebitda n’étant pas un concept réglementé, ni en comptabilité française, ni dans les normes GAAP anglo-saxonnes, ni en IFRS [2], aucun groupe n’est tenu ni de l’utiliser, ni d’en faire état. Assurément, un groupe qui n’utiliserait pas l’Ebitda en interne n’aurait aucune raison de communiquer sur cette notion. Inversement, on ne doute pas qu’un groupe qui utiliserait l’Ebitda en interne sans le mentionner dans son rapport annuel puisse avoir d’excellentes raisons de s’en abstenir. Ces groupes ne seront donc pas retenus dans l’échantillon de l’étude.
Dans un premier temps, nous allons proposer une discussion générale sur l'Ebitda, avec une revue de la littérature et des enjeux autour de cet indicateur. Puis nous détaillerons la méthodologie suivie pour notre étude, avant d'aborder les principaux résultats observés sur l'utilisation de l'Ebitda dans les rapports annuels 2015 des sociétés du CAC40. Cela nous conduira à une synthèse des enseignements que l’on peut tirer de l’étude de ces rapports annuels en ce qui concerne l'Ebitda.
Peut-on définir ce qui n'est pas défini ?
Il est amusant de constater que même dans des articles d'experts et de praticiens, le concept d'Ebitda échappe encore à une définition formelle… Et pour cause, puisque cet indicateur n'a pas de définition dans les textes ! Ainsi, peut-on lire : "L’Ebitda (Earning Before Interest, Tax, Depreciation and Amortization) correspond approximativement à l’excédent brut d’exploitation défini par le PCG (après déduction de la participation des salariés)" dans Astolfi et al. (2014) ou bien "En quelque sorte, l’Ebitda s’apparente à l’excédent brut d’exploitation ou encore à une “marge opérationnelle“ avant IS, frais financiers et amortissements & provisions." (Tort, 2010).
Nous pouvons proposer notre définition, en repartant des lettres de l'acronyme Ebitda : l'Ebitda part du résultat net de l'exercice, et recalcule ce résultat en excluant les intérêts [3], l'impôt sur les sociétés et les amortissements et provisions. Notre première définition (qui sera à raffiner, cf. « modalités de calcul de l'Ebitda ») sera donc pour l'instant une formule :
Ebitda = Résultat net + réintégration des intérêts, de l'impôt sur les sociétés et des amortissements et provisions.
Cette manière de qualifier l'Ebitda est aussi celle l'Autorité des marchés financiers en France (AMF, 2015, p. 5) et celle proposée par le CFA (CFA Institute, 2016).
La mode de l'Ebitda et les avantages attribués à cet indicateur
L'Ebitda est un indicateur à la fois de marge et de cash-flow. En effet, dans la mesure où il est calculé avant amortissements et provisions (du moins, certaines d'entre elles), son mode de calcul est analogue à celui de la capacité d'autofinancement (CAF), mais à la différence de celle-ci, l'Ebitda ignore toutes les charges ou les produits monétaires du bas du compte de résultat : les intérêts financiers, les produits de placement, les gains et pertes de change, l'impôt sur les sociétés… Cette analogie avec la CAF se poursuit jusque dans les critiques de l’indicateur : l'Ebitda représente certes une mesure de cash-flow opérationnel, mais étant donné qu'il ne tient pas compte des décalages de paiement (c'est-à-dire de la variation du besoin en fonds de roulement), il ne représente pas un cash-flow immédiat (c'est-à-dire disponible) dégagé par la société.
Cela dit, c'est justement parce que l'Ebitda est calculé avant amortissements et provisions que cet indicateur peut être utilisé en termes de comparabilité entre sociétés. En effet, les amortissements et les provisions peuvent faire l'objet d'ajustements comptables qui diffèrent suivant les entreprises. Le calcul d'un indicateur avant amortissements et provisions permet donc d'assurer la meilleure comparabilité entre les sociétés, ce qui explique que cet indicateur soit un des principaux multiples utilisés pour les évaluations d'entreprises. Bancel et Mittoo (2014) notent ainsi dans leur enquête sur 356 experts en évaluation d'entreprise que le multiple de valeur d'entreprise sur Ebitda est le plus populaire parmi ces experts, étant utilisé par 83 % d'entre eux. Et d'après une revue de la littérature faite par Astolfi et al. (2014), le multiple de valeur d'entreprise sur Ebitda aurait vu son importance augmenter sur les dix dernières années, semble-t-il au détriment du PER (Price Earning Ratio), qui est lui fondé sur le résultat net.
La question de la prise en compte des amortissements dans un indicateur de profit est une question assez centrale. D'un côté, l'approche pure et dure fondée sur les flux de trésorerie tend à considérer que les amortissements et provisions ne sont pas des écritures monétaires, ce qui est en faveur du calcul d'un l'Ebitda pour mesurer la génération de cash réalisé par une entreprise. D'un autre côté, de nombreux experts et praticiens ont souligné le fait que se focaliser sur l'Ebitda tend à faire disparaître le souci de renouveler les investissements de l'entreprise. Comme le dit Warren Buffett, "toute référence à l'Ebitda nous fait trembler ; est-ce que les dirigeants pensent vraiment que c'est la petite souris qui paye les investissements futurs ? » (rapport annuel de Berkshire Hathaway, 2002). L'associé de Warren Buffett, Charles T. Munger, utilise des mots encore plus forts : « À chaque fois que vous voyez le mot Ebitda, vous pouvez le remplacer par les mots “résultat de m…” ».
Une autre raison qui peut expliquer le développement de la notion d'Ebitda dans la communication financière vient du fait que c'est un indicateur qui se situe assez haut dans le compte de résultat. Étant calculé avant quantité de charges et de dépenses monétaires, l'Ebitda est un indicateur qui permet d'annoncer un chiffre positif alors même qu'une société réalise des pertes nettes. Cet indicateur a parfois été défini comme "Ebitda = Earnings before I tricked the dumb auditor" (profit avant mes manipulations pour cet idiot de commissaire aux comptes). Cette appellation ne rend justice ni à l'Ebitda, ni aux auditeurs, ni aux dirigeants d'entreprises : rappelons que l'Ebitda n'est pas formellement défini, ce qui veut dire qu'il ne tombe donc pas sous le coup d'une certification comptable, et que les commissaires aux comptes œuvrent sans relâche pour que les sociétés définissent précisément les indicateurs qu'elles utilisent dans leurs rapports annuels. Notre propos est de montrer ici que le choix de l'Ebitda n'obéit pas à une volonté de dissimulation : c'est en général un choix d'indicateur de management opérationnel, le cas échéant prolongé par un choix de communication financière.
Historique de l’Ebitda
L’usage de l'Ebitda est probablement ancien dans les pays anglo-saxons, mais il est difficile d’en retracer les origines. La profession s’accorde néanmoins sur le fait que l’Ebitda s’est répandu durant la vague des LBO aux Etats-Unis dans les années 80. Dans ces montages financiers qui recouraient massivement à de la dette, il y avait 2 prémisses qui poussaient les vendeurs de LBO à mettre en avant l'Ebitda : d'une part, il s'agissait de démontrer que malgré un niveau de dette très élevé, les résultats d'exploitation dégagés par la société cible permettraient de couvrir les frais financiers énormes dus au LBO ; d'autre part, les LBOs ciblaient plutôt des sociétés dans lesquelles il n'y aurait pas de dépenses importantes d'investissement à faire dans les années futures, ce qui tendait à garantir que l'ensemble des résultats d'exploitation serait affecté au remboursement de la dette. Cela explique la généralisation d'un indicateur qui ne se préoccupait pas de l'investissement : l'Ebitda. Notons simplement que les Américains utilisaient assez naturellement l’Ebitda dans leurs ratios de rentabilité des capitaux investis ou de trésorerie, ratios qu’ils avaient l’habitude d’utiliser depuis longtemps, alors que l’usage de ces derniers n’était pas aussi répandu en France, encore qu’on en connût l’existence. Les Français ont aujourd’hui rejoint les Américains dans l’usage courant, à défaut d’être systématique, de ces indicateurs.
On peut remarquer que sur une période plus récente, le développement des clauses contractuelles dans les contrats de dette (debt covenants) a connu une évolution qui allait dans le même sens. Historiquement, les debt covenants portaient autant sur le respect de ratios de bilan (ratios dette capitaux propres, ratio de liquidité courante) que sur des ratios de compte de résultat (couverture des intérêts, dette sur Ebitda). Mais Demerjian (2011) montre qu'en une dizaine d'années, les clauses de contrat d'endettement ont recouru de moins en moins à des ratios de bilan, tandis que les ratios de compte de résultat (au premier rang desquels se trouve le ratio de dette sur Ebitda) se maintenaient comme ratios de référence dans les contrats (et, on le verra, dans les rapports annuels des sociétés).
L'Ebitda en communication financière
La communication financière et son impact sur les décisions des investisseurs représentent un champ de littérature abondante depuis près de 50 ans (Ball et Brown, 1968 ; 2013). Mais en marge de ce flot de publications régulièrement alimenté par de nouvelles études, on peut noter que deux confluents de littérature sont en train de se développer en termes de communication financière des sociétés : d'une part, la communication qui porte sur des indicateurs financiers non définis formellement (qui sont alors appelés "non GAAP" ou "non IFRS"), par exemple dans une optique d'analyse des intentions des dirigeants (Guillamo Saorin et al., 2014 ; Isidro et al., 2015) ; d'autre part, la communication sur tout type d'information dite non financière (par exemple sociale, environnementale...) au sein du rapport financier, avec le flou qui entoure la notion d'information non financière (Protin et al., 2014).
L'Ebitda se trouve au milieu de ces préoccupations, puisque c'est un indicateur financier non défini par les IFRS (donc il sera qualifié de « non IFRS ») mais couramment utilisé par certaines sociétés. Ceci a notamment conduit l'Autorité des marchés financiers (AMF) à émettre une recommandation en 2010, enjoignant aux sociétés de définir précisément les indicateurs financiers qu'elles utilisent dans leur communication, si ceux-ci sont « non IFRS » ou « ad hoc ». Cette recommandation a été remplacée par un nouvel avis (AMF, 2015) appliqué dès juillet 2016, pour suivre les recommandations de l'ESMA (European Stock Market Association) au niveau européen [4].
En termes de pratiques, une étude sur 1 837 entreprises américaines cotées menée par Rozenbaum (2014) mesure le nombre d'entreprises qui mentionnent l'Ebitda dans la communication de leurs résultats annuels : 12 % de ces entreprises américaines utilisaient le concept d'Ebitda dans leur communication financière en 2003, et cette proportion monte à 31 % des entreprises en 2010. En parallèle, Rozenbaum mesure que les entreprises qui utilisaient l'Ebitda pour calculer les bonus de leurs dirigeants sont passées de 19 % en 2005 à 25 % en 2010. Un des éléments expliquant l'augmentation de la mention de l'Ebitda dans les rapports annuels pourrait donc être lié au calcul de la rémunération des dirigeants (Isidro et al. 2015 trouvent un résultat qui va dans le même sens).
Sélection de l’échantillon et méthodologie
Nous avons pris les sociétés composant le CAC40 en 2015 [5]. De la liste des sociétés du CAC40, nous avons exclu les cinq sociétés financières, et dans les 35 sociétés restantes nous avons identifié celles qui mentionnent l’Ebitda dans leur rapport annuel. Dans ces sociétés qui utilisent l’Ebitda, nous avons établi deux types de critères : des critères de présentation générale, et des critères de communication spécifique. Nous les détaillons ci-dessous.
Critères de présentation générale de l’Ebitda dans la communication financière
Le premier critère a porté sur la fréquence d’utilisation de l’Ebitda, d’abord par un comptage [6], puis par une approche relative au nombre de pages du rapport annuel. On aboutit alors à un « indice de densité de citation » (IDC) : une société qui mentionne 27 fois le terme Ebitda dans un rapport annuel de 100 pages aura un IDC de 27/100 = 0,27.
Nous avons aussi délimité quelques critères de présentation générale qui semblaient importants :
Critères de communication spécifique portant sur l’Ebitda dans la communication financière
Les premiers critères mentionnés ci-dessus portent sur la densité d’utilisation de l’Ebitda en terme de communication. Mais une deuxième analyse portait sur l’utilisation effective de l’indicateur. En d’autres termes : à quoi sert l’Ebitda dans la communication des sociétés ? Nous avons ainsi identifié quelques catégories :
Résultats
Sur l’échantillon utile susmentionné de 35 sociétés (car les 5 sociétés financières du CAC40 communiquent sur des indicateurs clairement différents), nous comptons 24 sociétés [7] qui mentionnent l’Ebitda dans leur rapport annuel 2015, ce qui correspond donc à une majorité (60 % du CAC40, 68 % si l’on exclut les cinq financières).
Utilisation générale de l'Ebitda
Les groupes qui communiquent le plus sur l’Ebitda en 2015 (voir Tableau 1) sont donc Orange, Solvay, Lafarge Holcim, Engie (ex GDF-Suez) et Veolia [8]. Suivent Kering, Valeo, Vinci et Bouygues, loin derrière les premiers en fréquence d’occurrence, mais qui en revanche s’en approchent quand on regarde le nombre de domaines pour lesquels ces groupes communiquent sur l’Ebitda (voir partie suivante).
Pour ce qui est de la présentation générale, on peut noter quelques résultats intéressants :
Utilisation spécifique de l'Ebitda
Comme indiqué dans la partie méthodologie, nous avons classé les domaines plus spécifiques pour lesquels l'Ebitda était utilisé dans les rapports annuels. Le Tableau 2 en donne une synthèse.
On constate que sur les 24 sociétés qui utilisent l’Ebitda, plus de la moitié l’utilise dans un contexte de surveillance du niveau d’endettement, avec des ratios Dette/Ebitda ou intérêts financiers/Ebitda. Les sociétés utilisent aussi l’Ebitda dans une logique de mesure de la performance passée (marge d’Ebitda par branche d’activité ou par zone géographique), et d’objectifs de performance future (guidance), ces deux mesures servant souvent de base de calcul des rémunérations variables des cadres dirigeants. Enfin, l’Ebitda est aussi cité dans des logiques d’évaluation des filiales et des goodwills des acquisitions.
Un point nous semble intéressant à détailler : sur les 14 sociétés qui utilisent l’Ebitda dans leurs indicateurs de solvabilité ou d’endettement (catégorie « Dette »), seulement 12 sociétés ont donné une définition de ce qu’elles entendent par l’Ebitda. Pour les 10 sociétés qui utilisent l’Ebitda dans le calcul des rémunérations variables des dirigeants, seulement 7 en donnent une définition. Cela nous amène à nous pencher sur les différentes définitions de l’Ebitda.
L’Ebitda et les contours de sa définition
Sur les 24 sociétés qui utilisent l’Ebitda dans leur rapport annuel, seulement 16 en donnent une définition. Ces définitions vont de la plus simple (énoncé des mots anglais dont Ebitda est l’acronyme) à la plus détaillée. Plus rarement, la société donne les montants qui permettent de reconstituer l’Ebitda à partir d’indicateurs du compte de résultat (c’est l’objet du paragraphe suivant).
L’Ebitda apparaît dans tous les cas comme une notion de résultat opérationnel, dont certains groupes précisent qu’il inclut le résultat afférant aux sociétés consolidées par mise en équivalence.
Le résultat opérationnel ainsi obtenu est presque toujours qualifié d’ajusté, en ce qu’il exclut les éléments non récurrents, qui font eux-mêmes l’objet d’une description plus ou moins précise.
Ce résultat opérationnel est toujours calculé avant intérêts de la dette financière et impôt sur les sociétés, et avant tous éléments impactant la valeur des immobilisations incorporelles et corporelles : dotations aux amortissements et provisions pour dépréciations des dites immobilisations, dotations pour dépréciation du goodwill et écarts d’acquisition, etc.
Les explications données sont beaucoup moins nettes pour ce qui concerne les provisions pour dépréciation des actifs circulants et les provisions pour charges. Lorsque de telles provisions sont exclues du calcul de l’Ebitda, les reprises de provisions le sont aussi. Or, selon nous, il y aurait une question à poser sur les dotations et reprises de provisions pour charges, dont la nature de dépenses futures est fortement probable.
Les subtilités de la comptabilité française (Cice, CIR, CVAE, Participation des salariés…) ne sont pas abordées par les 16 groupes qui donnent une définition de l’Ebitda, vraisemblablement pour ne pas importuner les investisseurs internationaux avec des détails techniques qui, vus du vaste monde, sont purement locaux.
Quelques modalités de calcul de l'Ebitda
Quand il s'agit de déterminer un indicateur net de toutes les charges et dépenses de l'exercice, par exemple le résultat net ou encore la CAF, la question du classement des dépenses à tel ou tel niveau du compte de résultat ne se pose pas vraiment : on sait qu'au final, toutes les dépenses et charges auront été déduites du résultat net, et toutes les dépenses monétaires, déduites de la CAF. Il n'en va pas de même pour l'Ebitda : il y a des dépenses qui arrivent suffisamment haut dans le compte de résultat pour faire partie du calcul de l'Ebitda, et il y a par ailleurs les dépenses qui sont classées plutôt dans le bas du compte de résultat, et qui ne seront donc pas retenues dans cet indicateur. Prenons l'exemple de produits et charges d'exploitation non récurrents. Une société pourra décider que ce sont des éléments d'exploitation, et qu'ils doivent donc être inclus dans le calcul de l'Ebitda. À l'inverse, une autre société pourra estimer que ces éléments sont non récurrents, donc ne doivent pas être inclus dans un indicateur de performance opérationnelle (par exemple, Vivendi exclut les Autres éléments opérationnels non récurrents de son calcul d’Ebitda).
On peut aussi souligner les différents éléments liés aux impôts et taxes : le crédit d'impôt recherche peut alternativement être considéré comme un produit d'exploitation (donc inclus dans l'Ebitda) ou bien comme un allégement d'impôt (donc situé au niveau de l'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire exclu du calcul de l'Ebitda). Cette distinction sur le caractère opérationnel ou non opérationnel porte en fait sur beaucoup de postes du compte de résultat : les quotes-parts des résultats de sociétés mises en équivalence, les loyers de contrat de location financement [9] (crédit-bail) ou encore les résultats issus des activités cédées (pour plus de détails, on pourra se reporter à Tort, 2010).
Au sein de notre échantillon, 6 sociétés du CAC40 offrent un tableau de calcul de leur Ebitda [10]. Deux sociétés calculent l’Ebitda en « descendant » à partir des ventes, et les 4 autres font un calcul qui « remonte » à partir du résultat opérationnel. Il n’y a pas de raison que ces 6 sociétés pratiquent exactement le même calcul, aussi l’analyse des différences est-elle intéressante. Nous en livrons un résumé dans nos réflexions ci-dessous.
Conclusion
L’Ebitda apparaît finalement comme un indicateur paradoxal : très souvent mentionné en gestion interne des groupes ou en communication financière, il est comme l’Arlésienne d’Alphonse Daudet, d’autant plus présent dans les pensées qu’il n’est pas directement observable. Et au vu de notre étude, on peut constater que cet indicateur n’a pas besoin d’une définition officielle pour être couramment utilisé.
Notre échantillon concernait les sociétés du CAC40. Pour ces sociétés, nous avons constaté une relative homogénéité dans les modalités de communication sur l’Ebitda, mais il n’est pas sûr que cela soit observable pour un échantillon plus vaste. Aussi, on opérera avec prudence dans l’utilisation de cet indicateur pour comparer des sociétés au niveau international, et même national.
On retiendra l’utilité (voire la nécessité) qu’il y aurait à adjoindre à cet indicateur des indicateurs de rentabilité des capitaux investis et de trésorerie même si, pour l’instant, l’observation de la communication financière des sociétés du CAC40 ne permet pas de conclure qu’il s’agit d’une pratique systématique.
Bibliographie
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