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Changement de paradigme des reporting réglementaires

D’un modèle de reporting agrégé basé sur des tableaux vers un modèle granulaire sous forme de cubes de données

Créé le

16.12.2021

Depuis la crise financière, le tsunami de nouvelles réglementations bancaires et le renforcement de la supervision financière a donné lieu à une inflation des exigences de reporting auprès des autorités de contrôle nationales et supranationales.

Née dans les années 1990 (lire encadré), l’inflation des exigences de reporting ne faiblit pas. En témoignent les chantiers en cours, avec en France l’entrée en vigueur en janvier 2022 de RUBA (reporting unifié des banques & assimilés – remplaçant de SURFI, lui-même issu de BAFI) et, à l’échelle européenne, la réforme Bâle IV (ou finalisation de Bâle III, dans le jargon des régulateurs), prévue pour 2022-2023.

Un modèle de reporting réglementaire qui a atteint ses limites

Dans leur immense majorité, ces rapports réglementaires prennent la forme de tableaux statiques définis par les autorités de supervision (plus fréquemment nommés templates), contenant des données agrégées et/ou calculées par les établissements financiers à partir des informations détaillées issues de leur système d’information : systèmes comptables, base clients, systèmes de gestions, calculateurs risques et autres référentiels.

La mise en œuvre successive de toutes les directives de reporting nationales puis supranationales se traduit aujourd’hui par un modèle qui a atteint ses limites :

  • des architectures informatiques de production des reportings obsolètes et coûteuses à faire évoluer et avec des difficultés intrinsèques liées à la qualité et à la traçabilité des données ;
  • des reportings produits de manière silotée, posant des problèmes de cohérence inter-reporting et inter-métrique (e.g. cohérence des données liquidité LCR avec le FINREP) ;
  • une redondance des données déclarées entre certains reportings nationaux et supranationaux (e.g. données financières déclarées à la fois dans RUBA et FINREP) ;
  • un manque de réactivité nécessaire à une supervision précise et efficace, ne permettant pas de disposer de données détaillées en cas de crise, et conduisant à la mise en place de collectes ad hoc, à l’image du reporting Covid pour le suivi des défauts et des prêts garantis par l’état durant la crise sanitaire ;
  • une conception rigide et statique des données collectées qui requiert des évolutions régulières de l’ensemble de la chaîne de production pour y intégrer de nouvelles données ou de nouveaux axes d’analyse. La majorité des reportings ont ainsi des évolutions majeures tous les deux à trois ans ;
  • les banques tirent un bénéfice métier très limité de leurs efforts pour fournir ces reportings réglementaires, en raison de périodicités et de chaînes de production décorrélées d’un pilotage au quotidien ;
  • la fonction reporting est un important poste de coûts sans bénéfice compétitif, que ce soit pour les acteurs historiques ou pour les nouveaux acteurs souhaitant se lancer sur le marché, par exemple des succursales de banques étrangères ou des néobanques et fintechs souhaitant se développer sur un nouveau territoire
Un poste de coût important pour le secteur financier

En témoignent les résultats d’une étude publiée par l’EBA en juin 2021, qui visait à évaluer le coût pour les établissements de crédit des reportings sous sa supervision, en particulier les COREP (rapports prudentiels) et FINREP (rapports financiers).

D’après cette étude, à laquelle plus de 4 600 établissements ont participé à l’échelle européenne, la production des reporting à destination de l’EBA engendre un coût annuel moyen de 5,3 M€ en RTB (Run the Bank) pour les établissements systémiques, à laquelle s’ajoute un coût de transformation de 3 M€ en CTB (Change the Bank) pour déployer les nouvelles exigences de reporting.

Les établissements de taille intermédiaire font face à des coûts du même ordre de grandeur (respectivement 5 M€ et 2,5 M€). Pour les petits établissements, la charge de reporting représente 1,5 M€ en RTB et 0,5 M€ en CTB.

Dans cette étude, l’Autorité européenne mentionne que l’une des pistes les plus prometteuses, à terme, pour réduire les coûts des reportings est la mise en place de reportings granulaires, en remplacement des reportings agrégés. Un tel modèle permettrait de réduire la charge de travail, tant pour les établissements financiers que pour les autorités de contrôle. Le rapport recommande de promouvoir les études et travaux sur les modèles intégrés-granulaires de reporting.

Notre vision de l’évolution des reportings vers un modèle granulaire

Nous avons acquis la conviction forte que le modèle de production des reportings va évoluer vers un modèle granulaire, sous forme de cubes de données. Différents paramètres permettent d’être confiants sur la maturité du secteur à opérer cette transition :

  • l’évolution technologique qui permet désormais de traiter, d’échanger et de stocker d’importants volumes de données sans nécessité de les agréger ;
  • un début de maturité sur la gestion d’infrastructures big data, tantcôté remettants que côté régulateur ;
  • une amélioration de la qualité de la donnée, notamment grâce aux principes de gouvernance BCBS 239 largement déployés ;
  • les coûts des dispositifs de reporting qui ne cessent d’augmenter malgré d’importants programmes d’efficacité opérationnelle, de mise en place de centres de services partagés et de recours à la délocalisation near-offshore, voire à l’externalisation de certaines fonctions ;
  • des reportings EBA granulaires déjà opérationnels, tels qu’AnaCredit (collecte d’informations sur les crédits aux entreprises) et Securities Holding Statistics (collecte sur la détention de titres) ;
  • de certains superviseurs nationaux faisant déjà appel à des modèles granulaires depuis plusieurs années, à l’image de la collecte brute de données en place en Italie et en Autriche (via la plateforme mutualisée AuRep couvrant 80 % du marché).
Pour l’industrie financière, ce changement de paradigme vers un modèle de collecte granulaire se traduirait par une nette réduction de la pesanteur administrative et des coûts de la fonction reporting. La mise en place d’entrepôts de données à une maille fine, outre un niveau faible de transformation pour les déclarants, comparativement à des reportings agrégées évoluant à chaque réglementation, offre par ailleurs la possibilité de développer d’autres usages en interne, en particulier pour les fonctions régaliennes (risque, finance, conformité, audit).

Les bénéfices sont également significatifs pour les autorités de supervision, avec une augmentation de la qualité et de la valeur ajoutée des données collectées, nécessaire pour une supervision précise, efficace et évolutive, tout en limitant le recours à des demandes récurrentes de données complémentaires adressées aux établissements.

BIRD et IReF : deux initiatives ouvrant la voie à un format européen harmonisé de reporting

Le régulateur bancaire européen a lancé deux initiatives complémentaires visant à expérimenter la mise en place de dispositifs de remise de données détaillées et granulaires, sous forme de cubes de données (clients, contrats, transactions, etc.) :

  • BIRD (Banks' Integrated Reporting Dictionary) : un modèle et un dictionnaire de données harmonisés à la sortie des systèmes d’information bancaires, visant à faciliter la production des reportings prudentiels actuels, à travers des règles de transformation et des contrôles standards et communs aux différents établissements financiers. BIRD est une étape intermédiaire, avant un reporting granulaire, mais n’a pas de caractère réglementaire. Il s’agit uniquement d’une proposition de transposition des exigences réglementaires à un niveau opérationnel ;
  • IReF (Integrated Reporting Framework) : dispositif de reporting visant à remplacer l’ensemble des reportings réglementaires statistiques européens existants et très hétérogènes au sein de la zone euro – 19 systèmes de collecte différents. IReF étant un cas d’usage natif de BIRD, il pourrait être une formidable incitation pour les banques à implémenter ce dernier. La BCE estime pour le moment que l’entrée en vigueur d’IReF aura lieu entre 2024 et 2027.
Ces deux initiatives au potentiel prometteur suscitent un fort intérêt du marché, mais force est de constater qu’hormis quelques expérimentations limitées à certaines briques du BIRD et à un nombre réduit de reportings réglementaires, leur adoption par les banques commerciales européennes se fait encore attendre. La majorité des acteurs adoptent une posture de veille et n’ont, à ce jour, pas encore lancé leurs études d’impact et projets d’implémentations sur le sujet.

Les défis majeurs à relever par les banques et régulateurs afin d’opérer avec succès ce changement de paradigme

Cette transformation en profondeur du mécanisme de reporting réglementaire suppose de lever un certain nombre d’obstacles :

  • s’accorder sur un modèle de données stable, universel et harmonisé entre les différents groupes de travail de l’EBA, de la BCE et des régulateurs nationaux ; 
  • clarifier la gouvernance de ce modèle de données, notamment les interactions entre les régulateurs nationaux et supranationaux, ainsi qu’avec l’industrie financière ;
  • promouvoir et accompagner cette transformation auprès de l’industrie financière, voire opter pour une réglementation contraignante, tout en dressant une trajectoire de sortie du modèle actuel de remise ;
  • poursuivre le déploiement d’outils big data au sein des banques,pour leur permettre de conserver la maîtrise des données déclarées à un niveau granulaire et d’assurer leur alignement avec les indicateurs de pilotage de la banque (e.g. ratios de solvabilité, liquidité, etc.) ;
  • renforcer les ressources et moyens dédiés aux travaux de calcul et d’analyse de données granulaires au sein des organes de régulation et de supervision
Etant donné les exigences en la matière nées ces vingt dernières années, le modèle actuel de reporting, complexe et couteux, n’est plus soutenable par le secteur financier. Sa transformation vers un mécanisme de reporting harmonisé et granulaire, sous forme de cube de données, nous apparaît comme une suite logique, offrant des perspectives très prometteuses en matière de rationalisation et de réduction des coûts de reporting réglementaire, mais également de valeur ajoutée des données collectées pour l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur. Les défis à relever sont encore nombreux et nécessiteront un important travail de collaboration entre les autorités supranationales et nationales et l’industrie financière pour opérer ce virage, qui devrait se matérialiser, selon nous, d’ici la seconde moitié de cette décennie.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº865