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Stratégie

« Le système bancaire français est un îlot de stabilité dans un monde d'incertitude »

Créé le

19.12.2016

-

Mis à jour le

22.12.2016

Situation de taux inédite, élections américaines, Brexit… 2017 sera une année marquée par de nombreuses incertitudes. Mais l'année commencera par un rallye réglementaire, dans l'attente des conclusions du Comité de Bâle sur l’achèvement de la réforme du cadre prudentiel bancaire post-crise.

Quels sont les faits marquants de 2016 ?

Avant d'évoquer les faits marquants, je ferai tout d’abord le constat que nous avons, en France, un système bancaire solide, stable, qui finance l’économie dans des proportions plus élevées que le reste de l’Europe et avec des niveaux de taux et de marges très faibles pour les emprunteurs. Cela ne lui est pas toujours reconnu, mais les chiffres permettent de l'observer objectivement.

2016 a d'abord été marquée par l’accentuation des taux très bas, voire négatifs. Même si, au moment où nous commentons ces faits, nous assistons à une possible inversion sur les taux qui ont commencé à remonter. Ce niveau de taux bas demeure une situation qui, historiquement, n’a jamais été vécue.

Le deuxième événement fut probablement le vote du Brexit, dont il est difficile de prévoir encore aujourd'hui dans quelles conditions concrètes il s’opérera réellement.

Enfin, l’année 2016 a été caractérisée par la crainte de subir un durcissement supplémentaire, et à notre sens inutile, des réglementations via les travaux du Comité de Bâle, car ce durcissement pénaliserait essentiellement le modèle de financement de l’économie européenne.

De façon générale, nous sommes dans un monde d’incertitude au sens objectif du terme ; c’est-à-dire pas nécessairement négatif, mais avec beaucoup d’imprévisibilité. Cet environnement devrait constituer une raison de plus d'apprécier l'îlot de stabilité qu’est le système bancaire français.

Quelles sont les craintes de la profession dans les négociations de Bâle IV ?

En 2008, à la suite de la crise des subprime américains, le G20 a décidé de fixer des règles internationales plus dures. Depuis, les banques européennes, qui financent largement l'économie sur leur bilan, contrairement aux banques américaines, subissent une énorme pression sur leur bilan qui se traduit par un niveau toujours croissant de fonds propres. Et de facto, les fonds propres des banques françaises ont quasiment doublé depuis la crise.

Tout le monde admet désormais que le niveau de sécurité n'est plus un sujet : il ne faudrait donc pas que pour des raisons d’uniformisation, les banques européennes soient obligées de changer de modèles, et qu'au final l’Europe ait du mal à se financer car elle ne peut pas compter, comme aux États-Unis, sur des marchés financiers très profonds, et encore moins sur une titrisation massive de ses crédits immobiliers.

Quelles sont les perspectives pour 2017 et au-delà ?

Nous avons tous en tête les décisions qui seront prises en janvier par le Comité de Bâle. Il faut clairement rappeler que le système bancaire français accueille favorablement toutes les règles qui sécurisent la finance. C’est précisément ce que nous défendons dans Bâle IV : les modèles internes développés par les grandes banques françaises sont des modèles d’appréciation du risque beaucoup plus pertinents et adaptés à la situation de nos établissements, et qui ont des effets vertueux sur les politiques que nous menons. Pour modéliser les Risks Weighted Assets (RWA) les plus bas possibles, nous conduisons des politiques qui par nature « dérisquent » ou déflatent le niveau des RWA ; ce qui paradoxalement a été pointé du doigt comme étant un effet excessif de « faible densité » [1] , qui montrerait que nous abuserions des modèles, en sous évaluant les risques. C’est tout le piquant de l’histoire : cela fait 10 à 15 ans que l’on nous demande des politiques de meilleure sélection des risques à partir de nos modèles internes, et quand nous y parvenons avec un coût du risque très bas, on nous dit que ce n’est pas crédible d’avoir des risques aussi faibles et qu’il faut changer de modèle ! Ce nouvel accord est sans doute destiné à poser une stabilité et une visibilité réglementaire, mais cela ne peut pas se faire au prix du sacrifice des modèles internes au profit de méthodes plus rustiques. Bâle IV ne doit pas aboutir à une forme d’archaïsme, par le retour aux modèles standards soit en direct, soit par la détermination d’un output floor qui aurait au final les mêmes effets.

Si les recommandations bâloises étaient par trop défavorables aux banques européennes et françaises en particulier, peut-on envisager de ne pas les appliquer ?

Le principe même de Bâle IV ne peut pas être favorable aux banques françaises. Au mieux il sera possible d’en limiter les impacts négatifs. Les banques françaises ont un savoir-faire mondialement reconnu dans les financements d’actifs et d’infrastructures : si elles doivent se plier à des modèles internationaux ou américains qui ne prennent pas en compte la valeur des collatéraux, comme par exemple la valeur d’un avion ou d’un bateau, cela va générer pour elles un surcoût considérable en fonds propres, et probablement fragiliser leur position de leaders. Cela concerne directement l’économie française quand il s'agit de financer la vente d’un Airbus, la fabrication d’un bateau, la création d’un réseau autoroutier ou d’un aéroport.

Le système bancaire français s’est extraordinairement professionnalisé dans l’appréciation des risques et toute règle d’homogénéisation internationale risque d’affaiblir ce dispositif ou de pénaliser les meilleurs élèves. Le vocabulaire bâlois a ainsi identifié les « outliers » comme étant les établissements un peu en dehors de la zone commune, mais qui sont en fait les meilleurs élèves parce qu’appliquant avec le maximum d’investissement et de sérieux les principes de Bâle II. Une façon de reconnaître ces efforts, serait de faire en sorte que si des contraintes étaient mises sur la reconnaissance des modèles internes, elles ne devraient pas s’appliquer aux grandes banques de la zone euro dont les modèles ont bénéficié d’une double évaluation : validation au niveau national, et aujourd’hui revue par le SSM [2] .

Au final, déroger aux accords de Bâle serait juridiquement possible, mais politiquement compliqué.

La position du nouveau président américain qui veut détricoter certains aspects réglementaires, peut-elle influer sur ces discussions ?

Si les autorités américaines s’inscrivent dans le sens d'une moindre régulation ou d’un ralentissement de la production réglementaire, il faudrait en tenir compte en Europe. Ne soyons pas naïfs : cette position du futur président américain n'est probablement pas destinée à aider au progrès collectif mais plutôt à réaffirmer l'autonomie des États-Unis, ce qui peut créer une distorsion dans la compétition entre les grandes zones du monde.

Les États-Unis se recentrent sur eux-mêmes, comme la Grande Bretagne en raison du Brexit, l’Europe ne pourrait-elle pas affirmer plus sa spécificité et mettre en avant son propre « chromosome » ?

La zone euro a été construite en commençant par un objectif limité, la monnaie unique, qui dans l’esprit de ses pairs européens, devait obliger à aligner beaucoup d’autres éléments, comme les politiques économiques, sociales ou fiscales. Cela ne s’est pas passé ainsi. Nous avons construit l’Europe bancaire du fait de la crise, mais cela reste une Europe de la régulation bancaire. L’Union bancaire ne s'est pas bâtie sur une ambition large qui aurait consisté à établir une cible politique, en définissant une vraie stratégie du financement de l’économie européenne. Au lieu d'un objectif politique, nous n’avons que des contraintes techniques. On peut espérer que ce sursaut d’ambition politique européenne soit un enjeu des élections qui vont se dérouler en 2017, en France et en Allemagne.

Quels autres textes réglementaires seront mordants pour 2017 ?

Il faut répéter que la profession bancaire n'est pas hostile à la réglementation. Celle-ci donne un cadre et une sécurité aux acteurs mais elle doit être pertinente, ce qui veut dire qu’elle ne doit pas être instrumentalisée par des jeux de concurrence entre différents modèles.

Un autre risque est qu’elle devienne excessivement technocratique. Par exemple, l'objectif de la directive MIF2 [3] est clair : il s'agit de fixer un cadre de loyauté dans le comportement commercial, mais il ne faut pas que cela aboutisse à un excès administratif, qui ne protège pas les clients mais les ensevelit sous les formalités. Pour cela, il faut un dialogue étroit entre les régulateurs et les professionnels qui doivent accepter d’aller dans le sens de ces régulations mais expliquer comment les traduire pour être opérantes dans le vrai intérêt des clients.

Un autre risque aujourd'hui est celui de confondre la protection générale des consommateurs et le consumérisme individuel. En sacrifiant tout à l’intérêt de chaque individu, la réglementation démutualise les processus. L'évolution des dispositions de l’assurance décès emprunteur en est un exemple : les contrats collectifs peuvent être coûteux pour certains individus, mais moins pour d’autres ; ainsi des emprunteurs de plus de 45 ans auraient du mal à trouver dans des contrats individuels des tarifs équivalents aux contrats collectifs. Protéger les consommateurs ne veut pas dire se convertir à l'individualisme total, car le risque est alors non seulement de démutualiser les processus, mais aussi d'aboutir au déni de la valeur ajoutée de la relation commerciale.

Cet éparpillement ne permet pas de créer des relations « gagnant-gagnant » dans la relation banque client. La valeur ajoutée de la relation ne se limite pas à des bénéfices de prix, d’offres liées ou de reconnaissance de la fidélité, elle s'étend aussi à des comportements par rapport à l’accompagnement des clients dans tous les événements de leurs vies.

Qu'attendez-vous de l’évolution des taux en 2017 ?

L'enjeu est de réinstaller une courbe des taux qui rende possible une intermédiation entre les taux courts et longs, nécessaire pour le bon fonctionnement du système bancaire européen, mais aussi pour que les épargnants retrouvent des lignes conductrices. Aujourd’hui, les taux bas sont indiscutablement favorables aux emprunteurs, mais cette situation crée une instabilité de l’épargne car les épargnants cherchent de la rémunération. La question des taux en 2017 est centrale, au moment où la BCE a annoncé l’allégement de son système d’intervention monétaire.

Comment voyez-vous le Brexit ?

C’est aux politiques de donner les conditions de sortie du Royaume-Uni. Le système bancaire français n’est pas concerné directement ; notre enjeu n'est pas celui d'un accès à l'Europe, comme pour les banques internationales et américaines. En revanche, l'enjeu important est celui de la Place de Paris, qui a indubitablement une carte à jouer, compte tenu de son tissu économique et financier, de ses infrastructures de transport ou sociales. Mais il faut aussi un cadre d’attractivité fiscale, sociale et réglementaire clair. Certaines décisions vont dans le bon sens, notamment concernant les impatriés [4] , mais si, parallèlement, la taxe sur les transactions financières est augmentée, cela devient une incitation majeure à ne pas venir s’installer sur la Place parisienne. Le pouvoir politique doit faire apparaître un cadre global cohérent et durable.

Les banques italiennes sont-elles une menace pour le système bancaire européen ?

Le problème des banques italiennes est celui de leurs créances douteuses. Il n'est pas nouveau. Cependant, des encours élevés de créances douteuses, qui seraient suffisamment provisionnés et qui n’augmenteraient pas, n'impacteraient pas le coût global du risque. Et, de fait, les banques italiennes ont continué de dégager des résultats d'exploitation positifs. Par ailleurs, il faut noter que la régulation mise en œuvre depuis 2008 fait que toutes les banques ont quasiment entre 6 mois et 1 an d'autonomie de liquidité dans leur bilan et ne sont plus dépendantes du marché interbancaire. La situation de banques italiennes réellement en difficulté pourrait donc être traitée sans incidence pour le reste du système bancaire.

Un autre sujet d’importance pour 2017 est la digitalisation, qui transforme de plus en plus les pratiques des banques de détail. Jusqu’où peut aller ce mouvement ?

Il s’agit d’une accélération dans la continuité et non d'une rupture. En effet, depuis 30 ans déjà, les banques encouragent l’autonomisation de leurs clients et l’usage du digital : elles les ont massivement équipés de cartes bancaires avec des réseaux denses de DAB, elles ont créé des sites web, au début des années 2000, pour que les clients réalisent des transactions à distance. Ce ne sont pas les FinTechs qui sont à l'origine de ce mouvement. De plus, ce sont les banques qui nourrissent aujourd’hui le terreau économique des FinTechs, les accueillent dans des incubateurs, travaillent avec elles sous forme de partenariat, ou encore les financent.

La digitalisation n’est pas un nouveau monde qui vient frapper orthogonalement le système bancaire, même si les questions de sécurité et d’égalité de concurrence se posent avec les nouveaux acteurs ; elle est plutôt en train d’amplifier une multicanalité et une transformation de la relation client qui étaient déjà présentes. Le système bancaire français a montré depuis longtemps qu'il savait innover. Il convient de faire passer ce message d’une réelle modernité de ce système, qui conquiert sans cesse de nouveaux territoires : la banque des années 2010-2020 n’a plus grand-chose à voir avec celles des années 1990. C’est plutôt enthousiasmant : il ne s'agit pas d'un mouvement par la contrainte, mais par l’acte entrepreneurial.

 

1 Rapport des RWA au total des actifs.
2 Single Supervisory Mechanism ou Mécanisme de supervision unique.
3 Marchés d’instruments financiers.
4 La loi « Macron » d’août 2015 a étendu le régime fiscal favorable des impatriés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº803
Notes :
2 Single Supervisory Mechanism ou Mécanisme de supervision unique.
4 La loi « Macron » d’août 2015 a étendu le régime fiscal favorable des impatriés.
3 Marchés d’instruments financiers.
1 Rapport des RWA au total des actifs.
RB