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Rétrospective 2013

Séparation : l’obstacle de la tenue de marché

Créé le

11.12.2013

-

Mis à jour le

24.12.2013

Protéger les dépôts que reçoivent les établissements bancaires : c'est l'objectif principal des multiples initiatives visant à modifier la structure des banques, qu'il s'agisse du rapport Liikanen, de la règle Volcker ou des lois française, allemande ou anglaise. À chaque fois, l'activité pour compte propre est dans le viseur : elle est interdite ou séparée de l'entité qui reçoit les dépôts. Mais quel sort réserver à la tenue de marché ?

Cette activité est difficile à distinguer du pur compte propre, comme le montre l'exemple suivant. Une entreprise a recours à une émission obligataire pour se financer ; la banque place les titres auprès d'investisseurs qui attendent d'elle qu'elle assure une certaine liquidité : ils veulent pouvoir revendre, 3 mois plus tard par exemple, les obligations à la banque ou, au contraire, lui en acheter davantage. Pour cela la banque est amenée à détenir un stock d'obligations. Quelle doit être la taille exacte de ce stock ? Jusqu'où la banque sert-elle son client et à partir de quand mise-t-elle sur l'évolution du titre afin d'en tirer délibérément profit ? Pas facile de savoir où s'arrête le market making et où commence le compte propre…

Selon le rapport Liikanen, la distinction étant trop difficile, la tenue de marché doit être placée dans la filiale hébergeant le compte propre. La France s'est quant à elle lancée dans l'aventure qui consiste à définir la tenue de marché. Le risque ? Créer une machine à gaz identique à la règle Volcker qui cherche elle aussi à identifier le market making. La stratégie française est de se contenter d'énoncer dans la loi bancaire de grands principes, comme l'utilité de cette activité au financement de l'économie. Ce sera aux banques et au superviseur (l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR) de les mettre en œuvre sur le terrain. L'Allemagne a adopté une voie très proche, les deux pays espérant préempter le débat européen. Une règle doit en effet être adoptée à l'échelle de l'Union, à la suite du rapport Liikanen, mais la Commission n'avait encore produit aucun texte au début du mois de décembre 2013.

L'approche franco-allemande a la préférence des établissements européens qui redoutent la mise en œuvre d'une séparation « liikanienne ». Quant à Finance Watch, l'ONG destinée à contrer le lobby bancaire, son président, Thierry Philipponnat estime que « les Anglais sont les seuls à préparer une vraie loi de séparation » (Revue Banque n° 761, juin 2013). Outre la loi qui s'élabore outre-Manche en s'inspirant des recommandations formulées par Sir John Vickers, le rapport Liikanen trouve également grâce aux yeux du poil à gratter de la finance. En revanche, il juge très sévèrement les lois française et allemande, qui « ne sépare rien, ou si peu ».

 

Ils ont dit

En étant pionnier, l'Hexagone donne le « la »

Sur la définition de la tenue de marché : « À priori, l'approche française sera plus qualitative (comparée à la règle Volcker, ndlr). Il s'agit davantage d'énoncer des principes (comme la notion de service à la clientèle donc d'utilité pour l'économie) qui seront précisés et devront être respectés, plutôt que d'énoncer des règles dont l'application serait très automatique. Nous donnerons des indicateurs, mais nous ne rédigerons pas un texte aussi touffu que celui qui doit permettre de mettre en œuvre la règle Volcker. Notre approche plus qualitative va contraindre les banques à respecter l'esprit de la loi. Elles ne pourront pas le contourner en se réfugiant derrière le respect formel de règles très précises, mais qui pourraient être vidées de leur sens. »

Sur les banques françaises qui seront parmi les premières à mettre en œuvre une loi de séparation : « Ce sera certainement le cas en effet, car l'Angleterre et les États-Unis ne semblent pas prêts pour la mise en œuvre avant une longue période ; mais c'est en étant pionnier qu'un pays peut donner le “la”. Ainsi, l'Allemagne adopte un modèle et un calendrier de mise en œuvre très proches des nôtres et nos deux pays vont peser sur la direction qui sera prise au niveau européen. »

Delphine d'Amarzit, chef du Service du financement de l'économie, Direction générale du Trésor, Revue Banque n° 761, juin 2013, p. 26.

Seuls les Anglais préparent une vraie loi de séparation

« Nous avons d'un côté une logique Liikanen dont le rapport Vickers est très proche et de l'autre une approche défendue par la France à laquelle l'Allemagne a emboîté le pas. Ces deux pays se contentent de séparer les activités de marché qui ne se font pas avec un client. Dès lors, les lois ont peu d'impact sur les établissements. Par exemple, Frédéric Oudéa a parlé de 0,75 % de l'activité du groupe Société Générale et BNP Paribas serait touchée à hauteur de 0,5 % ».

Sur la loi Vickers : « Les Anglais sont les seuls à préparer une vraie loi de séparation qui est désirée aussi bien par les travaillistes que par les conservateurs, mais elle est encore loin d'être adoptée. Le débat va se prolonger jusqu'à fin 2013 ou début 2014. De plus, les dissensions entre l'Angleterre et l'Union européenne n'aident pas la vision britannique à s'imposer ».

Sur la règle américaine Volcker : « Elle se contente d'interdire le trading pour compte propre, ce qui ne résout pas la question du too big to fail. Le market making demeure avec les dépôts et sa définition est devenue trop complexe, car il est impossible de dissocier le market making du compte propre. Enfin, quand j'ai demandé à Paul Volcker si l'épisode de la baleine de Londres aurait pu avoir lieu si sa règle avait été appliquée, il m'a répondu : “Oh, you know, with the lawyers, everything is possible” », Thierry Philipponnat, Secrétaire général, Finance Watch, Revue Banque n° 761, juin 2013, p. 26.

Les banques françaises devront démontrer que leurs activités sont en lien avec l'intérêt de la clientèle

« Nous conserverons dans la maison mère les activités utiles à l'économie pour continuer à servir nos clients. Nous allons adapter le mode de pilotage de notre activité de tenue de marché en fonction des critères que va fixer l'ACP. Dans la loi, une série de critères est retenue pour définir la tenue de marché (présence régulière, activité minimale, exigences en termes d'écarts de cotation, limites de risque), mais ils doivent être traduits en indicateurs quantifiables. Nous vérifierons à tout instant que nous respectons les nouvelles contraintes. Et nous devrons toujours être en mesure de démontrer que nos activités sont en lien avec l'intérêt de la clientèle. J'espère toutefois qu'en matière de critères, la France ne suivra pas l'exemple américain, car les 17 indicateurs de la règle Volcker constituent une usine à gaz. »

Séverin Cabannes, directeur général délégué, Société Générale, Revue Banque n° 761, juin 2013, p. 34.

Loi bancaire française : les banques ont tout intérêt à jouer le jeu

Sur la frontière entre ce qui est utile à l'économie et ce qui ne l'est pas : « Trois éléments déterminent cette frontière de l'utilité. Premièrement, le législateur a prévu que certains indicateurs seront fixés par voie réglementaire. […] Deuxièmement, les banques vont jouer un rôle essentiel. La logique suivie par le législateur est de constater que seules les banques connaissent leur activité suffisamment finement pour pouvoir déterminer de façon précise si l'application des critères conduit à considérer qu'une activité est spéculative ou ne l'est pas. Pour le législateur, une activité de marché est utile au financement de l'économie dès lors qu'elle est en lien avec l'activité clientèle. Les banques doivent donc effectuer un travail de clarification à l'intérieur de l'ensemble de leurs activités, en attribuant des mandats précis aux différentes unités opérationnelles (les desks). […] Troisièmement, l'ACP interviendra pour vérifier que ce travail correspond bien à ce qu'ont fixé la loi et le règlement. […] Bien entendu, nous partons du principe que les banques vont respecter la loi et donc donner des instructions conformes ; elles ont tout intérêt à jouer le jeu, car la loi de séparation est équilibrée. Elle introduit cette notion d'utilité au lieu d'énumérer explicitement ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Le travail d'objectivation des limites reposant d'abord sur les banques, elles ont tout intérêt à agir de façon responsable. ».

Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général adjoint, ACP, Revue Banque n° 761, juin 2013, p. 35.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº767