La réglementation française des bitcoins en trois questions

Les cryptomonnaies, encore appel&eacute;es monnaies virtuelles, ont connu un d&eacute;veloppement fulgurant depuis 2010 ainsi qu&rsquo;en atteste le fait que plus de 2000 cryptomonnaies sont aujourd&rsquo;hui recens&eacute;es. Au-del&agrave; de leur nombre, c&rsquo;est surtout leur place dans le syst&egrave;me financier qui interroge, notamment l&rsquo;entr&eacute;e &agrave; Wall Street, sur le march&eacute; des valeurs technologiques du Nasdaq, de la plateforme de trading des cryptomonnaies, Coinbase, associ&eacute;e &agrave; une valorisation boursi&egrave;re de plus de 140 milliards de dollars. Parmi les cryptomonnaies, la plus embl&eacute;matique des monnaies virtuelles demeure le bitcoin ; premi&egrave;re cryptomonnaie apparue en 2008, le bitcoin, qui valait 0,001 dollar &agrave; l&rsquo;origine a vu, ces derniers temps, sa valorisation exploser pour atteindre 64 829 dollars avant de retomber &agrave; 40 500 dollars suite au krach des cryptos le 18 mai dernier, devenant alors un pur produit d&rsquo;investissement. C&rsquo;est dans ce contexte quelque peu sp&eacute;culatif que l&rsquo;Agence fran&ccedil;aise de gestion et de recouvrement des avoirs (l&rsquo;Agrasc) vient de r&eacute;aliser sa premi&egrave;re vente aux ench&egrave;res de bitcoins qui avaient &eacute;t&eacute; saisis &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;une proc&eacute;dure judiciaire et que le lot le plus important de la vente, comprenant 20 bitcoins, a &eacute;t&eacute; adjug&eacute; au prix de 802 250 euros. Il importait, d&egrave;s lors, qu&rsquo;un minimum de r&eacute;glementation accompagne cette &eacute;volution pour le moins rapide. Aussi le l&eacute;gislateur fran&ccedil;ais s&rsquo;&eacute;tait-il saisi de la question d&egrave;s la loi PACTE n&deg; 2019-486, entr&eacute;e en vigueur le 22 mai 2019, puisque celle-ci a introduit, dans le Code mon&eacute;taire et financier, un chapitre consacr&eacute; aux prestataires de services sur actifs num&eacute;riques (PSAN). Elle a, par ailleurs, instaur&eacute; une r&eacute;glementation des cryptomonnaies &agrave; deux niveaux avec l&rsquo;objectif de prot&eacute;ger les investisseurs tout en conservant une certaine attractivit&eacute; pour les PSAN. C&rsquo;est ainsi le choix d&rsquo;un enregistrement obligatoire aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF et un agr&eacute;ment optionnel qui a &eacute;t&eacute; arr&ecirc;t&eacute;, dont la pr&eacute;sente note vise &agrave; dresser les principales caract&eacute;ristiques apr&egrave;s avoir d&eacute;termin&eacute; la qualification juridique qui a &eacute;t&eacute; retenue pour les bitcoins. Quelle est la qualification juridique des bitcoins ? Ni monnaie, ni instrument financier, les bitcoins r&eacute;pondent &agrave; la d&eacute;finition d&rsquo;actifs num&eacute;riques pos&eacute;e &agrave; l&rsquo;article L. 54-10-1 du Code mon&eacute;taire et financier, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; celle de jetons de protocole. Il sera, en effet, rappel&eacute; que les actifs num&eacute;riques comprennent, tout &agrave; la fois, dans leur d&eacute;finition, tant les jetons dits d&rsquo;application que les jetons dits de protocole. Il s&rsquo;agit, pour les premiers, de tout bien incorporel repr&eacute;sentant, sous forme num&eacute;rique, un ou plusieurs droits pouvant &ecirc;tre &eacute;mis, inscrits, conserv&eacute;s ou transf&eacute;r&eacute;s au moyen d&rsquo;un dispositif d&rsquo;enregistrement &eacute;lectronique partag&eacute; permettant d&rsquo;identifier, directement ou indirectement, le propri&eacute;taire dudit bien, tel le pinakion du projet Kleros. Cette plateforme exploite la technologie de crowdsourcing et de blockchain pour cr&eacute;er un protocole de r&eacute;solution des litiges rapide, dont les jur&eacute;s sont r&eacute;mun&eacute;r&eacute;s sous forme de jetons appel&eacute;s &laquo; pinakions &raquo;. Les jetons de protocole correspondent, pour leur part, &agrave; toute repr&eacute;sentation num&eacute;rique d&rsquo;une valeur qui n&rsquo;est pas &eacute;mise ou garantie par une banque centrale ou par une autorit&eacute; publique, qui n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement attach&eacute;e &agrave; une monnaie ayant cours l&eacute;gal, qui ne poss&egrave;de pas le statut juridique d&rsquo;une monnaie mais qui est accept&eacute;e par des personnes physiques ou morales comme un moyen d&rsquo;&eacute;change et qui peut &ecirc;tre transf&eacute;r&eacute;e, stock&eacute;e ou &eacute;chang&eacute;e &eacute;lectroniquement, tel que le bitcoin ou encore l&rsquo;&eacute;ther. Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;enregistrement obligatoire aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF ? L&rsquo;article L. 54-10-2 du Code mon&eacute;taire et financier dresse la liste des services sur actifs num&eacute;riques. Parmi ces services, quatre d&rsquo;entre eux n&eacute;cessitent un enregistrement pr&eacute;alable aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF &ndash; si tant est qu&rsquo;ils soient fournis sur le territoire fran&ccedil;ais. Il s&rsquo;agit de la conservation d&rsquo;actifs num&eacute;riques, l&rsquo;achat ou la vente d&rsquo;actifs num&eacute;riques en monnaie ayant cours l&eacute;gal, l&rsquo;&eacute;change d&rsquo;actifs num&eacute;riques contre d&rsquo;autres actifs num&eacute;riques et l&rsquo;exploitation d&rsquo;une plateforme de n&eacute;gociation d&rsquo;actifs num&eacute;riques. Le fait d&rsquo;exercer la profession de prestataire de services sans s&rsquo;&ecirc;tre pr&eacute;alablement enregistr&eacute; aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF est punissable de 2 ans d&rsquo;emprisonnement et 30 000 euros d&rsquo;amende, par application de l&rsquo;article L. 572-23 du Code mon&eacute;taire et financier alin&eacute;a 2. A contrario, les autres services (&agrave; savoir la r&eacute;ception et la transmission d&rsquo;ordre sur actifs num&eacute;riques pour le compte de tiers, la gestion de portefeuille d&rsquo;actifs num&eacute;riques pour le compte de tiers, le conseil aux souscripteurs d&rsquo;actifs num&eacute;riques, la prise ferme d&rsquo;actifs num&eacute;riques, le placement garanti d&rsquo;actifs num&eacute;riques et le placement non garanti d&rsquo;actifs num&eacute;riques) peuvent &ecirc;tre propos&eacute;s sur le territoire fran&ccedil;ais sans qu&rsquo;il ait &eacute;t&eacute; proc&eacute;d&eacute; &agrave; un enregistrement pr&eacute;alable aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF. Sont consid&eacute;r&eacute;s comme &eacute;tant fournis sur le territoire fran&ccedil;ais, les services susvis&eacute;s pour lesquels le PSAN sollicite des clients r&eacute;sidants ou &eacute;tablis en France, et cela de mani&egrave;re directe ou indirecte. Tel sera le cas, par exemple, et sans que cela soit limitatif, si le PSAN installe un ou des automates offrant des services sur actifs num&eacute;riques en France, adresse une communication &agrave; caract&egrave;re promotionnel &agrave; des clients r&eacute;sidant ou &eacute;tablis en France (et ce, quel qu&rsquo;en soit le support), s&rsquo;il dispose d&rsquo;une adresse postale ou des coordonn&eacute;es t&eacute;l&eacute;phoniques en France ou encore un nom de domaine en .fr [1] . Les pr&eacute;requis pour b&eacute;n&eacute;ficier d&rsquo;un enregistrement aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF sont de deux sortes. Le PSAN devra justifier d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments relatifs &agrave; l&rsquo;honorabilit&eacute; et &agrave; la comp&eacute;tence de ses dirigeants ainsi que de ses actionnaires majoritaires, notamment en fournissant un extrait de leur casier judiciaire de moins de trois mois ou son &eacute;quivalent &eacute;tranger, outre tout &eacute;l&eacute;ment justifiant de leur connaissance et d&rsquo;une comp&eacute;tence suffisante pour exercer leurs fonctions en communiquant un curriculum vitae pr&eacute;cisant les &eacute;tudes, les formations et exp&eacute;riences professionnelles pertinentes qui ont &eacute;t&eacute; suivies. Pour le cas o&ugrave; le PSAN proposerait des services de conservation d&rsquo;actifs num&eacute;riques ou encore ceux d&rsquo;achat ou de vente en monnaie ayant cours l&eacute;gal, il devra, en outre, justifier d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments quant au dispositif mis en place afin de lutter contre le blanchiment d&rsquo;argent et le financement de terrorisme (r&eacute;glementation LCB-FT). Ce dispositif devra notamment comporter une classification des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, des proc&eacute;dures internes d&rsquo;identification des risques (classification de la client&egrave;le, mises en place de mesures de vigilance pour les op&eacute;rations pr&eacute;sentant un risque &eacute;lev&eacute; de blanchiment de capitaux et de financement de terrorisme). Il devra &eacute;galement d&eacute;terminer les modalit&eacute;s de mise en œuvre des obligations d&eacute;claratives aupr&egrave;s de TRACFIN. Si l&rsquo;organisation du dispositif LCB-FT peut &ecirc;tre externalis&eacute;e par le PSAN vers des sous-traitants, les obligations d&eacute;claratives &agrave; TRACFIN incombent, pour leur part, au PSAN qui ne peut donc les externaliser. Si l&rsquo;enregistrement est r&eacute;alis&eacute; aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF, c&rsquo;est toutefois sous r&eacute;serve de recueillir l&rsquo;avis conforme de l&rsquo;ACPR. Qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;agr&eacute;ment optionnel ? Il existe une proc&eacute;dure dite d&rsquo;agr&eacute;ment, qui est optionnelle, &eacute;tant pr&eacute;cis&eacute; que l&rsquo;enregistrement obligatoire et l&rsquo;agr&eacute;ment optionnel peuvent tout &agrave; fait se cumuler [2] . L&rsquo;agr&eacute;ment optionnel n&rsquo;est toutefois offert qu&rsquo;aux PSAN &eacute;tablis ou r&eacute;sidents en France, &eacute;tant pr&eacute;cis&eacute; que cette condition peut &ecirc;tre satisfaite par l&rsquo;installation, sur le territoire fran&ccedil;ais, d&rsquo;entit&eacute;s ayant la personnalit&eacute; morale (filiales) ainsi que de succursales. Le PSAN devra alors respecter les conditions fix&eacute;es par l&rsquo;article L. 54-10-5 du Code mon&eacute;taire et financier parmi lesquelles figurent l&rsquo;obligation de disposer d&rsquo;une assurance responsabilit&eacute; civile professionnelle ou d&rsquo;un niveau de fonds propres fix&eacute; par d&eacute;cret, un dispositif de s&eacute;curit&eacute; et de contr&ocirc;le interne ad&eacute;quat, un syst&egrave;me informatique r&eacute;silient et s&eacute;curis&eacute; ou encore un syst&egrave;me de gestion des conflits d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. L&rsquo;agr&eacute;ment peut &ecirc;tre retir&eacute;, &agrave; la demande du PSAN ou d&rsquo;office par l&rsquo;AMF si le PSAN ne remplit plus les conditions requises pour l&rsquo;agr&eacute;ment ; dans ce dernier cas, le retrait peut alors &ecirc;tre prononc&eacute; jusqu&rsquo;&agrave; ce que le prestataire agr&eacute;&eacute; satisfasse de nouveau les conditions de l&rsquo;agr&eacute;ment. Enfin, le fait de laisser croire au public qu&rsquo;un PSAN est agr&eacute;&eacute; aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF est punissable, en application de l&rsquo;article L. 572-26 du Code mon&eacute;taire et financier d&rsquo;une peine maximale de 6 mois d&rsquo;emprisonnement et de 7 500 euros d&rsquo;amende. Les avantages attach&eacute;s &agrave; l&rsquo;agr&eacute;ment sont nombreux et l&rsquo;on peut citer, en premier lieu, le fait d&rsquo;&ecirc;tre inscrit sur la liste blanche de l&rsquo;AMF, celle-ci publiant, en effet, la liste des prestataires agr&eacute;&eacute;s, avec la mention des services sur les actifs num&eacute;riques pour la fourniture desquels ils sont agr&eacute;&eacute;s, par application de l&rsquo;article L. 54-10-5 VII du Code mon&eacute;taire et financier. Le PSAN agr&eacute;&eacute; b&eacute;n&eacute;ficie, par ailleurs, des r&egrave;gles protectrices du droit au compte, lui assurant d&rsquo;acc&eacute;der &agrave; des services bancaires efficaces et le pr&eacute;servant des entraves non justifi&eacute;es ; en effet, le refus d&rsquo;ouverture d&rsquo;un compte bancaire pour le PSAN agr&eacute;&eacute; devra &ecirc;tre fond&eacute; sur des r&egrave;gles objectives, non discriminatoires et proportionn&eacute;es, par application de l&rsquo;article L. 312-23 du Code mon&eacute;taire et financier, &eacute;tant observ&eacute; que ce droit au compte est aussi assur&eacute; pour les PSAN enregistr&eacute;s aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF. L&rsquo;agr&eacute;ment permet &eacute;galement aux PSAN et par d&eacute;rogation, de recourir ou de se livrer &agrave; une activit&eacute; de d&eacute;marchage sur le territoire fran&ccedil;ais ou de quasi-d&eacute;marchage (i. e. le fait de diffuser des publicit&eacute;s dans le but de collecter des informations personnelles en vue d&rsquo;engager par la suite un d&eacute;marchage), ce qui est un atout suppl&eacute;mentaire pour accro&icirc;tre son d&eacute;veloppement. Les dispositions adapt&eacute;es par le l&eacute;gislateur tout autant que leur mise en œuvre par l&rsquo;AMF contribuent indiscutablement &agrave; l&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;un cadre qui n&eacute;cessitent d&rsquo;&ecirc;tre tout &agrave; la fois rigoureux et sp&eacute;cifique. Il a &eacute;videmment vocation &agrave; &eacute;voluer, ce qui devrait &ecirc;tre le cas si l&rsquo;on consid&egrave;re que le secteur en est &agrave; ses pr&eacute;mices puisque, &agrave; date, seul treize PSAN ont &eacute;t&eacute; enregistr&eacute;s aupr&egrave;s de l&rsquo;AMF et qu&rsquo;un seul d&rsquo;entre eux est de nationalit&eacute; &eacute;trang&egrave;re. 1 Position AMF ; DOC-2020-07 ; questions-r&eacute;ponses relatives au r&eacute;gime des prestataires de services sur actifs num&eacute;riques, point 3.2. 2 Position AMF ; DOC-2020-07 ; questions-r&eacute;ponses relatives au r&eacute;gime des prestataires de services sur actifs num&eacute;riques, point 2.1.

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